L’été, on aura beau dire, c’est toujours la saison des surprises. Une fille qui danse sur le sable et vous rappelle votre premier amour, une petite ville blanche et bleue qui pourrait être une retraite idéale ou bien, au hasard d’une connexion Internet aléatoire, un texte sur l’Europe et la Grèce avec lequel vous êtes d’accord à 80, voire 90%. La chose est assez rare pour être signalée. Ce n’est pas parce que vous avez désespérément apporté un soutien sans faille à la Grèce et à Tsipras que vous êtes d’accord avec tous ceux qui ont apporté comme vous un soutien sans faille à la Grèce et à Tsipras. Entendons nous bien : encore une fois, c’est au nom d’une certaine idée de l’Europe que nous avons cru, et que nous croyons encore, finalement, à l’expérience Syriza.
D’ailleurs, il n’y a pas eu à proprement parler d’« échec » de Syriza. Il y a un échec quand on est libre de mener une politique et que cette politique échoue. Il est aussi absurde de parler d’échec de Syriza qu’il serait absurde de parler d’échec d’Allende au Chili en 73 ou de Dubcek à Prague en 68. Et donc, ce soutien à Syriza n’était pas pour nous, contrairement aux souverainistes ou aux eurosceptiques même de gauche, même très à gauche comme l’ami Aurélien Bernier, un moyen d’en finir avec l’Union Européenne mais plutôt de la réorienter vers plus de démocratie, de social, d’entente entre les peuples.
Ça, il est sûr que pour le moment, c’est raté et bien raté. Tsipras a connu un week-end de défaite et d’humiliation et, comme à Munich, il ne pouvait choisir qu’une solution tragique, au sens premier du terme, c’est-à-dire une alternative entre une fin effroyable, – le Grexit non préparé – et un effroi sans fin, -la soumission honteuse, l’acceptation d’exigences qui vont bien au-delà de la rationalité économique (même dans une perspective libérale) mais qui s’apparentent à une vengeance dont le sadisme est à la mesure de la peur éprouvée devant ces bolchéviques hellènes qui ne voulaient pas lâcher l’affaire. Bref, au cœur de l’été, lire un texte qui ne soit pas du genre gauchiste NPA sur l’air « On vous l’avait bien dit, Syriza, c’est des réformistes » ou bien souverainiste « La démocratie et l’UE sont incompatibles par essence, l’euro est par définition une monnaie qui ne peut servir qu’à de vieux Allemands retraités », cela nous a donné de l’air. Sauf que nous avons éprouvé une surprise au carré en apprenant que celui qui l’avait signé s’appelait Dominique Strauss-Kahn.
Pour commencer, le titre nous a bien plu : « A mes amis allemands ». Parce que déjà, un titre comme ça ne confond pas un peuple et son gouvernement. La germanophobie n’est pas notre sport favori, pour tout dire, et nous préférons nous souvenir de Jean-Pierre Timbaud, le copain de Guy Mollet qui, devant son peloton d’exécution nazi, criait « Vive le parti communiste allemand ! » ou encore de Manoukian, le poète arménien, chef des FTP-MOI de l’Affiche Rouge qui, dans sa dernière lettre à sa femme avant d’être exécuté, écrivait : « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand. » Finalement, la germanophobie est un comportement symétrique à l’hellènophobie de la CDU et du SPD. On n’est pas obligé, en effet, pour se faire entendre des ordo-libéraux d’Outre-Rhin, de parler des Allemands comme Wolfgang Schaüble parle des Grecs. Personne n’est obligé de s’abaisser à ce niveau-là, vraiment.
C’est un des aspects intéressants du texte de DSK qui explique bien que ce mépris, géopolitiquement, est en plus une belle bêtise. Et que vouloir réduire l’Europe à l’Allemagne et quelques satellites dans un genre de nouvelle Ligue Hanséatique, c’est se condamner à un bien petit destin : « Jamais le repli sur le Nord ne suffira à vous sauver. Vous, comme tous les Européens, avez besoin de l’ensemble de l’Europe pour survivre, divisés nous sommes trop petits. (…) L’enjeu est de taille. Une alliance de quelques pays européens, même emmenée par le plus puissant d’entre eux, sera peu capable d’affronter seule la pression russe et sera vassalisée par notre allié et ami américain à une échéance qui n’est peut être pas si lointaine. »
Car un des étonnements pour qui se souvient du DSK patron du FMI sous les ors de Washington est que ce texte, s’il fait un sort aux souverainistes, en fait un aussi, et de quelle belle manière, aux atlantistes de tout poil : « Il y a aussi ceux qui ont la vue trop longue. Ceux qui sont capables de voir plus loin que leurs propres frontières mais qui ont choisi de renoncer à faire vivre cette communauté qui leur était pourtant la plus proche. Ils se tournent vers d’autres, plus à l’ouest, auxquels ils ont accepté de se soumettre. »
Ce tropisme atlantiste de plus en plus répandu dans les grands partis de gouvernement en France, on pouvait penser que DSK le partageait et envisageait l’Europe comme un appendice américain, où pouvait s’ébattre le capitalisme sans la moindre règle. Eh bien non, il y a chez DSK une vision de l’Europe comme culture dont les racines, précisément, sont… grecques : « Qui sait d’où affleure ce continent ? L’Europe est-elle née dans les poèmes homériques du IXe siècle avant notre ère ? Est-elle née dans les tranchées de fange et de boue où tous les sangs du monde vinrent se mêler, mélanger leurs couleurs, brasser leurs rêves, croiser leurs ambitions ? »
Et c’est au nom de cette vision, précisément, qu’il condamne sans ambages la méthode du gouvernement allemand et qu’il pointe, très clairement, qu’il s’est agi là de punir la Grèce bien plus parce qu’elle s’était choisi un gouvernement de gauche que pour ses errements passés : « Mais ces dirigeants politiques me semblaient jusqu’alors trop avertis pour vouloir saisir l’occasion d’une victoire idéologique sur un gouvernement d’extrême gauche au prix d’une fragmentation de l’Union. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. A compter nos milliards plutôt qu’à les utiliser pour construire, à refuser d’accepter une perte – pourtant évidente – en repoussant toujours un engagement sur la réduction de la dette, à préférer humilier un peuple parce qu’il est incapable de se réformer, à faire passer des ressentiments – pour justifiés qu’ils soient – avant des projets d’avenir, nous tournons le dos à ce que doit être l’Europe, nous tournons le dos à la solidarité citoyenne d’Habermas. »
Alors, bien sûr, on pourra toujours penser que DSK joue sa propre partition, qu’il se rachète une virginité, qu’il cherche à revenir dans le jeu. Il n’empêche que le voir aujourd’hui dénoncer le coup d’état des créanciers, cela fait du bien. Parce que justement, à gauche, nous avions pris l’habitude de voir en DSK, avant même ses déboires privés, l’archétype du « social-traître ». Et que, dans ce camp là, il était bien le dernier que nous pouvions imaginer condamner en termes aussi vigoureux la mise à mort du « printemps grec » et poser la seule question qui fâche vraiment : que restera-t-il d’idéal européen dans une Union européenne qui se construit de cette manière ?
*Photo : Flickr.com
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