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DSK en zone grise


Crédits photo : FMI

Lors de mon premier stage en cabinet d’avocats, alors que j’étais tout jeune étudiant, mes collègues me soumirent les deux dossiers les plus glauques du cabinet, probablement pour tester ma résistance. La première affaire était un double meurtre perpétré par un médecin qui, par jalousie, avait arrosé d’essence puis mis le feu à son associé et à son épouse. Évidemment, le dossier comportait les photos de l’autopsie… qui n’évoquaient plus des corps humains que par une forme d’ensemble.

On me confia également une affaire de viol. Le billet d’Elisabeth Lévy évoquant l’affaire DSK et la « zone grise des rapports humains » me l’a remis en mémoire. Une jeune femme d’une naïveté confondante affirmait alors avoir été violée par un homme, qui se trouvait être un para en permission. Cliché, me direz-vous. Il n’empêche, la situation pouvait aussi illustrer l’affrontement de deux mondes : Blanche Neige contre « une femme qui dit non veut dire oui ». Pour parfaire le tout, le para imputait les lésions internes de la jeune femme à la taille remarquable de son pénis, de surcroît coudé à 45 degrés à partir du milieu. Là aussi, photos à l’appui. Bien sûr, ce dossier m’avait été soumis en raison de l’existence des photos dudit pénis, comme si je n’en avais jamais vu.

Pourquoi ce détour ? Parce qu’à l’époque, si le viol me semblait établi, j’avais néanmoins le sentiment d’être dans cette « zone grise », dans laquelle le viol pourrait presque résulter d’un choc sincère de cultures. « Presque » dis-je car le fait d’être un bourrin n’est pas une cause d’exonération pénale. Tenez-vous le pour dit.
Dans l’affaire DSK, le schéma est différent, ici. Elisabeth Lévy a raison : le scénario « d’une sainte violentée par un salaud » a fait long feu. Même une salope peut se faire violer. C’est d’ailleurs un message que l’on entend fréquemment. Ce n’est pas parce qu’une fille porte une mini-jupe qu’il s’agit un appel au viol. Ici, c’est une menteuse. Et parce que c’est une menteuse, son éventuel agresseur ne sera pas jugé.

On voudrait DSK « blanchi ». Il ne l’est pas. Il ne fait qu’échapper au procès. Certes, la motion to dismiss (en VO et en VF) du Procureur Vance relève les nombreux mensonges de Nafissatou Diallo. De ce fait, il ne pourra pas convaincre les douze jurés de la culpabilité de Dominique Strauss-Kahn « beyond any reasonable doubt » (au-delà du doute raisonnable). Diallo a menti sur le viol qu’elle aurait subi en Guinée, menti sur ses ressources financières (quoiqu’il s’agisse de celles de son fiancé), menti pour obtenir un logement social, menti sur ce qu’elle a fait immédiatement après le viol qu’elle dit avoir subi.

Mais le procureur ne dit pas qu’elle ait menti « sur l’incident ». Lorsqu’il mentionne « les incessants récits contradictoires de la plaignante sur l’incident », il n’évoque en réalité que ses versions contradictoires des faits postérieurs à l’incident. Compte tenu de l’application du procureur à relever les contradictions de Nafissatou Diallo, on en déduit que son récit de l’ « incident » stricto sensu, n’a pas varié[1. On pourrait également noter qu’après avoir annoncé que DSK ne pouvait pas se trouver sur les lieux, ses avocats ont eux aussi changé de version pour évoquer une relation consentie…].

Qui plus est, il n’y a pas de preuves médicales et scientifiques d’un rapport sexuel contraint. Par ailleurs, le procureur écarte un peu rapidement un autre point. Il observe ainsi que :

La relative brièveté de la rencontre entre l’accusé et la plaignante a d’abord suggéré que l’acte sexuel n’était probablement pas consentant. Spécifiquement, les enregistrements des passes d’accès à l’hôtel indiquaient que la plaignante avait d’abord pénétré dans la suite 2806 à 12h06. Les enregistrements téléphoniques ont montré plus tard que l’accusé avait téléphoné à sa fille à 12h13. Par conséquent, il apparaissait que, quoi qu’il se soit passé entre l’accusé et la plaignante, les événements s’étaient déroulés approximativement entre sept et neuf minutes. Mais à la lumière des défaillances de la plaignante à offrir un récit précis et constant de l’immédiat après-rencontre, il est impossible de déterminer la durée de la rencontre elle-même. Que l’accusé ait pu passer un bref coup de fil à 12h13 n’indique pas de manière infaillible quand la rencontre a eu lieu, quelle que soit sa durée, ni où se trouvait la plaignante entre 12h06 et 12h26. Toute déduction qui pourrait se concevoir quant à la chronologie de la rencontre est nécessairement affaiblie par l’impossibilité de consolider la chronologie elle-même.

Sept à neuf minutes pour convaincre une parfaite inconnue de succomber à votre charme et de vous faire une gâterie à titre gracieux, c’est en effet d’une « relative brièveté ». C’est d’ailleurs ce que fait valoir son avocat.
Que reste-t-il comme faits certains ? Nafissatou Diallo a pénétré dans la suite à 12h06. A 12h26, elle est entrée dans une autre suite. Dominique Strauss-Kahn a effectué son check-out à 12h28.

Certes, j’ai peut-être tort de ne me fier qu’à mon relatif pouvoir de séduction et néglige peut-être le goût des nigérianes pour les fellations inopinées. Or, même s’il s’agit de vingt minutes au lieu de neuf, pour convaincre une inconnue de vous en prodiguer une, caser un « hello » suivi d’un « would you be so kind as to suck my dick ? Vigorously please, my daughter is waiting for me and I have a flight afterwards » [2. Mais je vous l’accorde, les preuves médicales et scientifiques ne permettent pas d’établir qu’ils se soient trouvés dans l’obligation de parler.], pour vous rhabiller, prendre votre valise, l’ascenseur, et descendre à la réception faire votre check-out, cela me parait relativement bref, contrairement à l’opinion du procureur (certes probablement plus doué que moi avec les femmes).

Il faudrait aussi que Nafissatou Diallo se soit comportée en comédienne émérite à la présence d’esprit redoutable auprès de ses responsables hiérarchiques (qu’elle a immédiatement rencontrés), des médecins et psychologues qui l’ont examiné, et des enquêteurs, ce que la motion to dismiss du procureur ne laisse pas vraiment supposer, bien au contraire.
On pourrait avancer que 20 minutes suffisent à une relation tarifée. Mais malgré ses mensonges, aucun élément relevé par le procureur ne suggère que Nafissatou Diallo y soit disposée. Dominique Strauss-Kahn n’a jamais prétendu qu’il ait payé. Et il n’a jamais été dementi que Nafissatou Diallo se soit trouvée affectée par hasard au ménage de la suite 2806.

Alors, soit. Comme le relève le procureur, même si les preuves établissent l’existence d’un « acte sexuel précipité », « mis à part la plaignante et l’accusé, il n’y a pas d’autre témoin de l’incident ». Sans preuve, il reste les affirmations persistantes de la plaignante et une chronologie suspecte. Le procureur ne pourra pas convaincre l’ensemble des douze jurés au-delà de tout doute raisonnable mais, en l’absence de procès, il reste pour le moins un doute, qui n’a pas été levé.

Pourquoi en reparler ? Pourquoi remuer la fange ? Vous vous foutez de savoir que j’ai hésité, mais je vous le dis quand même. D’abord parce que je suis loin d’être convaincu par le classement de l’affaire et qu’en l’occurrence, une femme a peut-être été violée avant d’être humiliée publiquement. Pire, cette femme risque aujourd’hui de perdre son logement et d’être expulsée des Etats-Unis.
Enfin, il est odieux de constater que, à peine le non-lieu prononcé, certains se sont empressés d’envisager le retour de Dominique Strauss-Kahn en politique, ou de tirer des leçons grandiloquentes sur le sens de la justice.

De fait, il y a fort à parier qu’une fois encore un homme politique français va considérer qu’on peut toujours se refaire en politique.
Après avoir déjà exprimé son « immense joie » de voir la version de la plaignante mise à mal, l’absence de procès pour DSK a tiré ce commentaire à Martine Aubry : « c’est du bonheur »[3. Rejoignant en cela Jean-François Copé qui aurait été bien inspiré de respecter la consigne de retenue qu’il fait passer à ses troupes]. C’est l’évocation d’un « long cauchemar », celle d’« un soulagement » pour Manuel Valls, pour François Hollande, etc. sans parler de ses plus proches soutiens Le Guen et Cambadélis qui parlent carrément de « déni de justice » (à l’encontre de Dominique Strauss-Kahn).

Avec Philippe Bilger, on désespère de voir régner « un peu de pudeur ». Le quotidien britannique de gauche The Guardian ne s’y d’ailleurs est pas trompé, en titrant « Dominique Strauss-Kahn : left without honour » (DSK : la gauche sans honneur) et en s’interrogeant : « Dans quel monde vivent les dirigeants du parti socialiste ? Personne ne peut, en lisant les 25 pages de la demande du procureur, faire des remarques aussi imprudentes. (…) Il y avait des preuves médico-légales fiables d’une relation effective rapide et Nafissatou Diallo a rapidement rapporté l’incident. L’affaire s’est arrêtée parce qu’elle est devenue une affaire « parole contre parole » et que la fiabilité de Mme Diallo en tant que témoin s’est effondrée. (…) Abandonner l’affaire était toutefois la bonne décision judiciaire. Mais elle ne justifie pas le ton de victoire totalement inapproprié de tant de socialistes français ni la tendance des gouvernants français à débattre de l’affaire DSK comme d’une affaire purement politique dépourvue de portée morale. (…) Une réhabilitation de M. Strauss-Kahn déshonorerait la gauche française. Le parti socialiste a suffisamment de problèmes pour ne pas s’humilier d’une façon aussi dérangeante ».



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