Il n’y a pas d’affaire Carlton. C’est l’exacte signification du jugement rendu vendredi par le Tribunal correctionnel de Lille, qui a relaxé treize prévenus, dont Dominique Strauss-Kahn, et condamné un quatorzième à une peine avec sursis. Rien, dans les investigations des policiers et des magistrats-instructeurs, ne permettait d’étayer l’accusation de « proxénétisme aggravé ». Bref, ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu – au lieu de chercher des poux dans la tête de mon Premier ministre pour 20.000, pardon 17.500 malheureux euros, on pourrait se demander combien le contribuable a dû débourser à cause des lubies d’un lobby hargneux qui voulait la peau de DSK. Dodo la Saumure, les milliers de pages de procédures, les heures d’interrogatoires, les services de l’Etat mobilisés, c’était un écran de fumée, la cible, c’était lui. Dans cette phalange disparate, chacun avait ses raisons – trop riche, trop puissant ou trop blanc, ou trop socialiste, et surtout trop mâle. Il fallait faire un exemple.
L’inénarrable Stéphanie Ausbart dirigeait le trio des magistrats instructeurs. Dans son réquisitoire, en février, le procureur avait cruellement noté leur intérêt démesuré pour la sexualité de monsieur Strauss-Kahn. Nul n’ignore désormais que, pour cette dame, la perversion commence à la sodomie, les femmes honnêtes ne font pas ça. Croit-on que son administration, après cela, lui conseilla de se mettre au vert ? Que nenni ! Son ordonnance de renvoi, qui figurera certainement un jour dans les annales de la dinguerie judiciaire, ne l’a pas empêchée d’être nommée professeur à l’École nationale de la Magistrature de Bordeaux où elle peut instruire nos futurs juges sur la bonne et la mauvaise sexualité.
Pour transformer l’affaire Carlton en affaire Strauss-Kahn, il fallait des victimes, rôle dévolu aux associations qui prétendent parler au nom des prostituées, mais ne représentent que les repenties. Il fallait surtout l’artillerie médiatique. Pendant trois ans, toute la presse s’est partagée avec gourmandise, les anecdotes salaces, les textos, les récits les plus crus. Tout en s’offusquant, bien sûr. C’était du porno éthique, en quelque sorte.
Avec l’inconséquence qui fait leur charme, la majorité des médias dénoncent aujourd’hui le « fiasco judiciaire » dont ils faisaient hier leurs gros titres. Mais la pointe avancée du parti de la vertu n’en démord pas : on a eu raison d’avoir tort. C’est ce que disent, presque avec les mêmes mots, l’éditorial du Monde et celui de Libération (qui ose par ailleurs en « une » un titre finaud : « La relaxe du mâle »). Je résume : primo, relaxé, ça ne veut pas dire innocent, ça veut dire que la justice n’a pas de preuves – nigaud, la justice n’a pas non plus de preuves pour toi ou moi ou 60 millions de Français, DSK est donc aussi innocent que toi et moi ; deuxio, peu importe qu’ils aient juridiquement raison, ils ont moralement tort. Nous sommes fiers d’avoir étalé la vie privée d’un homme, sali son honneur, blessé ses proches, c’était pour la bonne cause, c’était pour l’information (DSK a perdu un procès pour atteinte à la vie privée contre L’Obs au motif hallucinant que tout ce qui était divulgué dans le quotidien se trouvait dans le dossier d’instruction). La France devait savoir – savoir quoi, que des adultes consentants participent à ce qu’on appelle vulgairement des partouzes? Et ça s’arrête où l’information? Si la façon dont je vis ne te revient pas, t’as le droit de balancer? Et qui décide de ce qui est convenable, madame Ausbart? On va se marrer…
Après l’annonce du jugement, je ne sais plus qui a eu ce propos terrifiant : « Il y a un avant et un après Carlton. Désormais, les hommes vont devoir faire attention à ce qu’ils font ». Ça veut dire quoi, exactement, qu’on pourra punir la lâcheté, le mensonge, la muflerie, peut-être même le silence, c’est une idée, ça, d’interdire le silence – Madame le Juge, ce salaud ne répond pas à mes textos. On peut compter sur l’infinie créativité du féminisme punitif. Après la relaxe, le procès continue.
*Photo : Christophe Ena/AP/SIPA. AP21748671_000002.
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