La littérature s’accommode mal de la demi-mesure. Elle s’exprime pleinement dans la démesure. Le Grand écrivain, personnage jadis central de notre pays, avait des manières excessives, une puissance de travail démiurgique et le sens du faste, du grandiloquent aussi. Il y a parfois du panache à être ridicule, à braver jusqu’à l’entêtement les bonnes gens. C’est la réaction saine d’un être entier donc hautement estimable. Aujourd’hui, les auteurs longent les murs des librairies, tirent à la ligne et se font oublier par peur du scandale. Ces serviles agents d’écriture ont endossé le costume transparent de l’homme normal. De discours œcuméniques en fadaises scripturales, leur insignifiance qui cache souvent une profonde aigreur s’étale partout. On barbotte dans la fausse bienséance.
Evidemment, Maurice Druon (1918-2009) n’était pas un homme à freiner ses ambitions, ni à taire son admiration pour ses amis puissants (Edgar Faure, Pompidou, Hassan II, Poutine, Sarkozy, etc.). Il fonçait sans se soucier des dommages collatéraux. Une équipe de communicants ne venait pas brider ce tempérament éruptif ou polir les déclarations de cet irréductible duelliste. Les combats perdus d’avance ne sont-ils pas les plus beaux ? Et, puis quel spectacle, ces joutes d’un autre temps ! Son expression libre manque terriblement au paysage littéraire français qui étouffe sous l’édredon des convenances. Que l’on soit d’accord ou non avec ses positions sur la langue, la culture ou l’exercice du pouvoir, peu importe, Druon, c’était, avant tout, une certaine idée de la France et un destin national forgé à la pointe de la plume. « Ma principale ambition était d’écrire, d’avoir un certain nombre de livres sur un rang de bibliothèque » confessait-il, en 1969, à Jacques Chancel dans Radioscopie. Hervé du Boisbaudry et Philippe Verdin lui consacrent une biographie passionnante intitulée « Le partisan » aux Editions du Cerf.
Instructif, clair, équilibré, n’omettant aucune étape de ce parcours hors-norme, leur travail est remarquable de justesse et non dénué d’une tendresse pour ce flamboyant héros. Les deux auteurs aiment Druon l’impétueux et nous font découvrir un Druon plus paradoxal, à la fois insatiable quémandeur de gloire(s) et cependant, toujours agitateur féroce du système. Le ressentiment n’est jamais propice à l’établissement de la vérité. Les biographes de la détestation produisent souvent des livres périssables. Dans « Le partisan », on suit, avec plaisir, cette ascension menée tambour battant, cette volonté acharnée d’accumuler toutes les distinctions et bien sûr, le talent nécessaire à l’accomplissement d’une telle œuvre. Du Prix Goncourt pour Les Grandes Familles aux millions d’exemplaires vendus partout dans le monde des Rois Maudits, sans parler de l’adaptation télévisée, en passant par la charge de Ministre des affaires culturelles au Secrétariat perpétuel de l’Académie, Druon, amateur de réussites, aura tout raflé sur son passage. Des ennemis, il en avait moins que de lecteurs, des scrupuleux qui auront taclé ses approximations historiques et surtout des jaloux. Dans une époque blanche de sentiments, Druon et son style de vie « Grand Siècle », ne pouvaient qu’heurter. Il était transgressif par nature, par son port de tête aristocratique, ses cannes à pommeaux d’argent, cette belle crinière blanche venue d’Oural et son air satisfait d’Homme de la Renaissance. Mais, dans sa voix traînante, appuyée sur certaines syllabes, on pouvait déceler des intonations populaires celles d’un Paris poulbot. Alors, oui, Druon était impossible et ne cadrait pas avec nos mœurs « exemplaires ». Avec son oncle Kessel, le futur immortel avait rejoint Londres en 1943 et rencontré le Général. En un après-midi, ils avaient écrit les paroles du Chant des partisans. « L’air est martial et facile à retenir. Les paroles de Jef et de Maurice sont parfaitement adaptées à ce qu’on attend, la fraternité, le courage, la détermination » soulignent les deux auteurs. Qui n’a pas ressenti aux premières notes, cette boule monter dans la gorge et cette communion d’âmes s’élever a le cœur sec.
Maurice Druon. Le partisan, Hervé du Boisbaudry et Philippe Verdin – Editions du Cerf.
*Photo : DALMAS/SIPA. 00577626_000001.
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