Samedi, Abdallah Ahmed Osman, un trentenaire soudanais, a tué deux personnes et en a blessé cinq autres, au hasard de son parcours meurtrier dans la ville de Romans-sur-Isère. Que cette ville soit touchée par ce que les médias ont bien du mal à qualifier d’égorgements islamistes n’est pas forcément un hasard. L’essayiste Céline Pina reproche l’inaction des politiques face au phénomène du djihad de proximité.
Ce samedi 4 avril 2020, la France, confinée et suspendue, s’est rendue compte que le coronavirus n’arrêtait pas la violence qui devient ordinaire depuis 2012 dans notre pays : celle des attentats islamistes. Pourtant l’histoire et les légendes nous le disent, l’existence d’un péril nouveau ne fait pas disparaître les dangers anciens et on n’échappe souvent à Charybde que pour tomber en Scylla.
Si l’on n’exige pas des personnes accueillies qu’elles acceptent la culture du pays d’accueil et si on ne leur donne pas, via l’éducation, les moyens de la connaître, ils seront pris en main par d’autres…
C’est ainsi que le confinement n’a pas mis fin à l’offensive islamiste. Certes Al Qaïda a appelé ses militants à reporter les actes terroristes, mais cela n’est pas le cas pour l’État islamique. Si ses tueurs sont invités à ne pas se rendre dans les pays contaminés, ceux qui sont déjà sur place, eux, ont un rôle à jouer. D’abord s’ils sont infectés, en répandant la contamination, puisque dans la logique des islamistes, le Covid est une punition de Dieu. Ensuite en poursuivant le jihad surtout à une période où « la sécurité et les institutions médicales ont atteint les limites de leurs capacités » comme le recommande le bulletin d’information de Daesh, Al-Nada.
Parcours macabre, édulcoré par les médias
Et le message a été parfaitement entendu. À Romans-sur-Isère, un réfugié soudanais s’est livré à un parcours macabre que nous commençons à bien connaître : armé d’un couteau l’homme tue tous ceux qui ont le malheur de croiser sa route, en criant Allah Akbar pour ponctuer et signer ses crimes.
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Il a ainsi égorgé un homme devant sa femme et son fils, selon France bleu, et tué une autre personne à l’intérieur de la boucherie. Seule France bleu mentionne l’égorgement, précision qui disparaîtra bientôt au bénéfice de la sémantique “coups de couteaux”. Force est de constater que comme dans d’autres affaires, comme celle de la préfecture de police de Paris, l’évacuation du terme égorgement, même quand le geste est avéré, est un classique. Alors ici: erreur du journaliste ? ou volonté d’éliminer un terme qui renvoie à une pratique culturelle orientale et fait référence au geste pratiqué lors de l’Aïd ? En tout cas le refus de l’employer, malgré sa récurrence, notamment dans le cas du jihad de proximité, interroge.
Commence ensuite le ballet habituel auquel le confinement n’a rien changé : l’agresseur est un déséquilibré que l’enfermement aurait aigri et bien sûr on ne prononce que difficilement le mot islamisme, au nom du « padamalgame ». C’est le cas de bien des élus, que ce soit le président de la République comme le maire de la ville endeuillée. Pourtant la démarche de l’homme était claire : des écrits ont été trouvés chez lui, où il se plaint de vivre dans un pays de mécréants, son parcours meurtrier est marqué par une grande détermination, et il emploie la signature qui lui permet d’inscrire son acte dans une logique communautaire et religieuse en le dédiant à Allah. Il était dès lors difficile de ne pas confier l’affaire au Parquet national anti-terroriste. Le meurtrier est désormais à Levallois-Perret.
Romans-sur-Isère, tout sauf un hasard
Mais une fois que l’on a dit cela, il faut nous demander :
– Est-on en face d’une situation impossible à appréhender, où le hasard est roi ?
– Ou bien est-on en face d’un aveuglement qui fait nous payer au hasard le coût de la naïveté politique, à plus ou moins longs intervalles ?
Pour un spécialiste de l’islamisme, le fait que cette affaire ait eu lieu à Romans n’est pas le fruit du hasard. La ville est connue pour être un important pôle du salafisme saoudien. Au moment où celui-ci pensait implanter le pôle salafiste européen en France, un certain nombre de mosquées furent construites, notamment à Marseille, Paris, Lyon, Roubaix et… Romans-sur-Isère (lire Le salafisme en France de Samir Amghar).
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Parlons aussi un peu du Soudan. Ce pays a été entre les mains des milices islamistes jusqu’à fort récemment et les affrontements entre groupes islamistes ont été nombreux. Difficile de savoir si un réfugié quitte le Soudan parce qu’il appartient à un groupe islamiste en perte de vitesse ou parce qu’il revendique plus de liberté. Toujours est-il que les Soudanais ont vécu jusqu’en 2019 dans un bain de culture islamiste. Certes les islamistes soudanais sont plutôt dans la mouvance des frères musulmans… mais la Ligue Islamique Mondiale – qui a pour tâche de répandre le salafisme saoudien à travers le monde – ne rechigne pas à soutenir des groupes fondamentalistes comme les frères musulmans si c’est pour combattre « le polytheïsme et l’atheïsme occidental ». On le voit, que ce soit dans son pays ou dans la ville où il s’était installé, le back ground islamiste était puissant sur le terroriste que la France accueillait comme réfugié. Et lorsqu’on est exilé, on a le réflexe de rechercher ce qui est familier : une proximité ethnique et religieuse. À Romans, cela avait peu de chance de le mener vers l’intégration et le respect des mœurs et habitudes françaises. Cela aussi est une réalité : si l’on n’exige pas des personnes accueillies qu’elles acceptent la culture du pays d’accueil et si on ne leur donne pas, via l’éducation, les moyens de la connaître, ils seront pris en main par d’autres. Les associations qui s’occupent des réfugiés sont souvent animées par des gens généreux et empathiques, mais souvent plein de candeur. Des gens qui peuvent ne pas voir ce qui se passe sous leur nez et être dans une démarche tellement christique qu’ils ne peuvent même pas imaginer que des réfugiés puissent être mauvais. Or, si le malheur transformait chaque individu en saint, nous le saurions.
L’islamisme attire puis manipule les plus paumés
Aujourd’hui l’assassin – retrouvé au terme de son périple sanglant en train de prier dans la rue, à genoux ! – explique qu’il ne se souvient de rien, qu’il n’est pas religieux et que le confinement l’a perturbé. Le problème c’est que nous pouvons concevoir que des personnes perturbées par le confinement se précipitent au dehors, fassent des crises d’hystérie ou se comportent bizarrement… Mais massacrer toutes les personnes que l’on croise reste une réaction peu habituelle.
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Mais surtout, à votre avis, qu’est-ce-qui est plus facile ? Retourner la tête d’une personnalité fragile et en manque de repères pour la faire passer à l’acte en l’invitant à faire ce que son fond d’écran culturel et religieux juge légitime : tuer des kouffars ? Ou essayer de transformer en jihadiste quelqu’un d’équilibré qui a trouvé sa place dans la vie ? La chair à canon du jihad, ce sont justement les déracinés, les fragiles, les aigris, les rageux, les ratés, les neuneus, les paumés ou les voyous. Les théologiens islamistes, eux, construisent les grilles de lecture et de pensée qui feront en sorte que la bombe à retardement du mal-être, les énergies négatives s’en prennent aux cibles qu’ils désignent. Ils canalisent et donnent un sens et un débouché à la violence. Le meurtre n’est plus un but mais un moyen. Celui de devenir quelqu’un et d’exister aux yeux de Dieu. C’est à cela que nous sommes confrontés. Et si le pouvoir continue à faire semblant de croire que ce type d’attaque vient de nulle part, se résume à un coup de folie, il passe à côté de l’essentiel : ce qui s’est passé à Romans ne peut être détaché de la forte présence de l’islamisme dans cette ville.
Pour transformer la fragilité humaine en source de carnage, l’idéologie meurtrière des islamistes est très efficace. Combien de temps encore ferons-nous semblant de ne rien voir ?
À écouter, la réaction d’Elisabeth Lévy sur Sud Radio
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