En droitisant sa politique, le président français est perçu comme double, sinon faux par les citoyens… Mais il reste paradoxalement favori pour sa réélection.
Le destin droitier du macronisme était prévisible dès l’apparition du phénomène.
Progressiste affiché, Emmanuel Macron n’a néanmoins jamais manqué une occasion de rappeler ses aspirations verticales. De son surnom de « Jupiter » à ses déclarations relatives à « l’absence de la figure du roi » dans l’inconscient politique français, l’auteur du XVIII Brumaire du centrisme savait bien que ses origines socialistes ne lui suffisaient pas. Il a d’ailleurs nommé Edouard Philippe pour être son Premier ministre dès son arrivée à l’Elysée.
Macron a été bien aidé par Laurent Wauquiez lorsqu’il était à la tête des Républicains…
Stratégie et opportunisme
Depuis lors, la synthèse originelle entre les centristes des deux rives a très largement penché vers la droite à la faveur des évènements des dernières années et du délitement profond des Républicains, coupés en deux par les marcheurs et le Rassemblement national. Ce glissement progressif du discours macroniste vers la droite, du moins dans son versant hédoniste sécuritaire, a été autant le fruit d’une stratégie politiquement semble-t-il choisie qu’une marque d’opportunisme électoral après la mutation des gilets jaunes en fin d’année 2018.
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Un phénomène observable à l’œil nu dans la capitale lors du dernier scrutin continental, le vote Macron ayant alors muté des quartiers « bobos » proches du Canal Saint-Martin vers l’ouest parisien bourgeois et filloniste. Emmanuel Macron a donc déplacé sa base du centre gauche au centre droit, bien aidé par Laurent Wauquiez lorsqu’il était à la tête des Républicains. Ce dernier, par sa gouvernance rigide, a doublement échoué : il n’a évidemment rien pris au Rassemblement national, dont le socle est solidement arrimé, tout en perdant tout au centre en prenant des postures droitières qui étaient bien plus destinées aux militants qu’aux électeurs. Une situation qui se présentera aussi prochainement chez LREM, la bande de Poitiers venue du socialisme libéral de l’école Strauss-Kahn menaçant de quitter La République en Marche car s’estimant trahie, méprisée et même marginalisée.
Pierre Person n’est peut-être qu’un éclaireur.
Le bloc bourgeois
Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas commis le péché originel des deux astres morts de la politique française que sont le Parti socialiste et les Républicains: confondre la base militante avec l’électorat. Si les militants marcheurs ont longtemps penché à gauche, une analyse fine de l’électorat macroniste montrait dès 2017 qu’il s’agissait plutôt d’un « bloc bourgeois » institutionnellement conservateur simplement attiré à lui par un vide chez ses adversaires et séduit par la notion méliorative collant à la notion de « progrès ». En somme, une France centrale souhaitant tout changer pour que rien ne change vraiment !
Elle se trouve évidemment dans les métropoles mais aussi dans une partie non négligeable de la France de l’habitat dispersé, comme se plaît à la décrire Emmanuel Todd, qu’on trouve principalement dans l’ouest du pays. Une France portée par une sorte d’égoïsme rationnel, volontiers attachée à la terre et peu animée par les sentiments révolutionnaires.
C’est sur cette France que compte Emmanuel Macron pour se maintenir en 2022. Les gilets jaunes lui ont d’ailleurs fait la faveur d’incarner l’ordre, par opposition à la pagaille qu’ils sèment depuis qu’ils ont basculé dans la démagogie gauchiste, animée par cette passion française de l’égalité qui finit immanquablement par voir les têtes qui dépassent coupées net au ras du cou. Avec Emmanuel Macron, cette France bien insérée et à bon niveau d’études peut se penser ouverte sur le monde et tolérante tout en réclamant plus d’arsenal répressif et moins d’immigration. Elle a, grâce aux symboles véhiculés par une partie du macronisme, qui en la matière vit sur ses acquis de départ, moins de culpabilité à voir les libertés publiques se réduire. Tout ça est fait pour un « plus grand bien », pour sauver la République et la démocratie du danger séparatiste ou des forces politiques subversives regroupées en néo-bagaudes bruyantes.
Les Français en quête de protection
L’enquête Fractures Françaises réalisée pour Le Monde en septembre 2020 montre cette inflexion d’un électorat macroniste s’auto-définissant majoritairement comme tenant de la société ouverte, mais pourtant de plus en plus inquiet par les questions d’insécurité – auxquelles l’arrivée de Gérald Darmanin et son ton « populaire » sont censés répondre – par l’immigration ou par les changements anthropologiques à l’œuvre dans le pays.
Idem sur le volet économique, de plus en plus d’électeurs du président se montrent désormais sceptiques quant aux conséquences de long terme de la mondialisation ou quant au libéralisme économique, étant maintenant 68% à souhaiter renforcer le rôle de l’État dans les secteurs économiques stratégiques contre 41% en 2018 ! Pis, 49% d’entre eux se disent désormais protectionnistes, contre 20% en 2019…
Les journalistes conservateurs ont l’oreille de Macron
La réalité aidant, l’électorat macroniste s’est donc transformé et Emmanuel Macron avec. Est-ce dû à sa plasticité, à son machiavélisme ou à son pragmatisme ? Ancienne plume d’Emmanuel Macron citée dans Le Monde, Sylvain Fort estime comme bien d’autres que 2022 se jouera sur « les questions régaliennes », avec comme axe central l’identité. C’est aussi ce que pense Bruno Roger-Petit, conseiller souvent moqué dont l’intelligence stratégique a été clairement sous-évaluée, lui qui veut qu’Emmanuel Macron fasse une campagne « gaullo-miterrandienne ». Il se dit que le « conseiller mémoire » échange régulièrement avec plusieurs journalistes estampillés « conservateurs », tel que Geoffroy Lejeune.
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Il faut bien comprendre que Jean Castex a été nommé pour incarner physiquement cette ligne politique se voulant « enracinée », voire identitaire façon Fernand Braudel, qui gênait aux entournures l’ex-juppéiste Edouard Philippe. Une décision plutôt habile à première vue mais, qui risque de montrer ses limites. La communication et les effets de manche ne suffisent pas. Se débarrasser d’Aurélien Taché, non plus. Emmanuel Macron n’est pas l’homme providentiel de la France de la « cause du peuple ». Il a de bonnes intuitions – notons que ce que donne à voir la France de 2020 ne rend pas la tâche trop ardue pour qui a deux yeux et deux oreilles -, mais il n’y croit pas fondamentalement.
Un président perçu comme double, sinon faux
Son « ethos de droite » tient plus de la posture que de la conviction. Nicolas Sarkozy avait le même problème : il n’était pas animé par une transcendance, par les forces supérieures qui innervent la France. Il le croyait, mais rien de plus. En conséquence, de nombreux Français ne croient pas en eux, ni en leur conversion. Ils jugent Emmanuel Macron double, sinon faux, ce que ce dernier peut difficilement démentir sans s’aliéner ce qui lui reste d’électeurs de gauche. En prenant ce pari droitier que les évènements lui imposent, Emmanuel Macron est sur un fil extrêmement instable.
D’abord, il donne crédit à ses adversaires du Rassemblement national en avalisant leur discours en matière de sécurité, d’immigration ou de protectionnisme. Un problème qu’il pourrait aussi rencontrer, en matière économique, si son adversaire à gauche s’appelait Montebourg. Que pourrait lui répondre Emmanuel Macron si ce dernier l’accusait de l’avoir empêché de sauver Alstom de la catastrophe ? Rien, puisque c’est vrai. Ensuite, il s’expose à une incompréhension des marcheurs de la première heure et à de nouvelles divisions au sein de sa majorité parlementaire qui pourraient conduire à des régionales difficiles. Ces élections seront pourtant capitales, véritables répétitions générales du premier tour de l’élection présidentielle à venir.
Emmanuel Macron aura néanmoins pour lui un positionnement stratégique excellent, occupant le centre et le cœur de l’électorat français avec deux ailes face à lui. Son atout principal est le mode de scrutin. Au premier tour, sous la Vème, on choisit. Au second, on élimine…
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