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Et voilà pourquoi votre droite est muette


Et voilà pourquoi votre droite est muette
Logo des Républicains à l'entrée du siège du parti, octobre 2015. Paris. SIPA. 00726471_000011

La plupart des bureaux sont déjà déserts, rendus à l’anonymat qui semble avoir été la première ambition de leurs constructeurs. Seules les affiches encore scotchées aux murs – celles de Fillon, intactes, celles de Macron agrémentées de toutes sortes de malices – rappellent que l’ensemble du bâtiment, planqué dans une petite rue du XVe arrondissement, était, la veille encore, une ruche bourdonnante mobilisée pour une victoire que tous, jusqu’au dernier moment, ont voulu croire possible. « Les gens du digital nous ont gonflés avec Filteris, alors on y croyait », murmure une conseillère qui suit Fillon depuis longtemps. La jeune femme évoque en se marrant les manigances des uns et des autres pour être sur l’image lors des meetings ou des débats télévisés. En même temps, on comprend : pour se fader trois heures de palabres sur une chaise en plastique, il faut que ça serve à quelque chose.

« Entre sarkozystes et fillonistes, on était en famille »

Ce mardi 25 avril, deux jours après le premier tour, il règne au QG de la campagne Fillon l’atmosphère très particulière des lendemains de défaite. L’excitation teinte la déception, et le bonheur d’être encore ensemble se mêle à la nostalgie de devoir se quitter bientôt. Malgré son air juvénile, Jean-Baptiste Doat en est à sa quinzième ou seizième campagne. Directeur de cabinet de Bruno Retailleau au Sénat et au Conseil régional des Pays de la Loire, ce garçon discret et d’un calme qui doit faire merveille dans les circonstances les plus électriques a donc participé dès le début à la longue marche de Fillon. Au QG, il a dirigé le pôle numérique, une vingtaine de jeunes gens qui passaient des heures, souvent en nocturne, rivés à leurs écrans pour diffuser la parole et forger la statue du candidat. Dans la « war room », les petits tas de canettes de bière, l’odeur de tabac et de pizza froide, sans oublier le dernier cubi de rosé tiède qu’on verse dans les gobelets en plastique, racontent l’histoire de ces semaines passées les uns sur les autres, dans une ambiance hésitant entre la salle de garde et la chambrée. « C’est comme ça une campagne, observe Doat. Des gens qu’on ne connaît pas deviennent vos meilleurs amis. »

Pour la dernière fois, toute la petite troupe va déjeuner chez les Portugais du coin où l’aristocratie, qui avait un accès direct au patron, en l’occurrence Myriam Lévy, l’omnipotente conseillère politique, et Igor Mitrofanoff, la plume, est attablée de son côté. Ce jour-là, beaucoup veulent encore imputer la défaite à la violence de la presse et à la félonie des juppéistes. « Ils ont été tellement violents sur les affaires qu’on était contents qu’ils partent, raconte Anthony Bressy, un autre jeune de l’équipe numérique. Non seulement ils ne nous donnaient aucune info, aucun fichier, mais ils essayaient en sous-main de gauchiser le propos. Un jour on a arrêté un tract qu’ils préparaient sur la diversité. Après le Trocadéro, quand ils ont lâché, ça s’est très bien passé entre sarkozystes et fillonistes, on était en famille. »

Fillon est tout sauf un manager

Au sommet du parti, c’était un peu moins le cas, observe Christophe Billan, le patron de Sens commun. Aujourd’hui, la haine fratricide entre l’ancien président et son ancien collaborateur n’intéresse pas la jeune génération, preuve peut-être qu’elle est en quête d’idées plus que d’écuries électorales. Quant à Billan et ses troupes, ils comptent bien peser sur l’avenir du parti auquel ils ont adhéré massivement, suscitant les pincements de nez de la droite qu’on aime aux Inrocks. Ainsi Thierry Solère s’est-il illustré en déclarant : « Sens commun, c’est le FN moins les bergers allemands. » Remarque doublement stupide il est vrai. « Tout le monde sait que nous ne sommes ni fascistes ni homophobes. Notre diabolisation a été l’alibi du refus de clarification idéologique », répond cet ancien légionnaire, qui dirige une entreprise de sécurité en même temps que Sens commun. Et s’il rêve d’ordre moral, il le cache bien. Mais c’est peut-être sa culture catholique (la joue droite) qui lui interdit de se plaindre de la façon dont Fillon les a débinés en déclarant dans sa première interview après la défaite qu’ils avaient pris trop de poids dans sa campagne. « Il m’a juré n’avoir jamais dit cela, je le crois », dit-il.

Aujourd’hui, la haine fratricide entre l’ancien président et son ancien collaborateur n’intéresse pas la jeune génération, preuve peut-être qu’elle est en quête d’idées plus que d’écuries électorales

Au QG, la plupart se refusent à accabler le candidat, même si certains admettent ses défaillances sur le plan humain. D’autres, dans le parti ou dans des cercles proches, pointent les conseillers, en particulier Myriam Lévy qui était, dit-on, « une machine à décourager les bonnes volontés ». On se demande ce que Pierre Danon, heureux chef d’entreprise dans les télécoms, est allé faire dans cette galère. Indigné par les attaques de François Hollande contre la famille Peugeot, il a contacté Fillon en novembre 2013 et a participé à l’élaboration de son projet. Deux ans plus tard, il mettait ses activités entre parenthèses pour se consacrer (bénévolement) à la campagne. En dix-huit mois, à la tête du Conseil national de la société civile, un réseau qui compte aujourd’hui 20 000 personnes, Danon a sillonné la France en tous sens et tous azimuts – entrepreneurs, retraités, agriculteurs, chercheurs, étudiants… –, sans oublier de labourer certains groupes comme la communauté asiatique, très filloniste en raison de son conservatisme de principe et parce qu’elle a une trouille bleue de l’islam.

Tout en conservant son admiration à Fillon, Danon reconnaît qu’il est tout, sauf un manager : « Déjà qu’il est plutôt renfermé de nature, ses conseillers créaient un écran entre lui et le monde. Cela dit, le parti, c’est Baron noir en pire. Il aurait fallu écraser un certain nombre de doigts de pieds au lieu de ménager les uns et les autres. Fillon a donné une circo en or à NKM au lieu de la laisser à sa suppléante et NKM l’a lâché à la première bourrasque. On connaît la suite. »

Priorité pour la droite: résoudre la question de son identité

Trois mois et une législative plus tard, la page Fillon est tournée. Dans ce qui reste de LR, certains jurent, désolés ou tentés, que Macron est là pour dix ans, mais beaucoup sont bien décidés à reprendre du service pour la cause. Il ne reste plus qu’à savoir laquelle.

Dans l’ancienne équipe de la rue Firmin-Gillot, on sait bien que ni les affaires ni la méchanceté du monde en général et des médias en particulier ne suffisent à expliquer la défaite. Deux points font consensus. Le premier, c’est que, au-delà des affaires, la ligne politique de la campagne a été désastreuse, faute de s’adresser aux classes populaires. Le second est que, pour une fois, la droite ne doit pas placer la charrue de la politique avant les bœufs de l’idéologie. Elle doit résoudre la question de son identité et de ses frontières avant de chercher son Macron – ou sa Macronne.

Sur la campagne, même Pierre Danon, pourtant inspirateur du sacro-saint projet et ardent défenseur de la réduction des dépenses publiques à la dure, reconnaît que Fillon s’est laissé enfermer dans un discours de père Fouettard. « J’en veux à la droite et au centre de se fourvoyer dans l’économisme alors qu’aujourd’hui, le véritable clivage porte sur les questions identitaires. On ne les entend pas sur l’immigration. On est encore prisonniers de la bienséance de gauche. » Danon donnera peut-être un coup de main à ceux qui reprendront le flambeau filloniste, mais après cette incursion exaltante et éprouvante en politique, il retourne au « paisible » monde des affaires.

L’économie, seul point de convergence à droite

Une chose est sûre, le grand rassemblement des droites a échoué. Entre les chèvres européistes et les choux souverainistes, les carpes multiculturalistes et les lapins républicains, l’eau progressiste et le feu conservateur (on inversera les termes au gré de ses préférences politiques et animalières), la mayonnaise n’a pas pris. Le seul domaine dans lequel les différents courants de LR soient encore à peu près d’accord entre eux, c’est l’économie. Seulement, comme le note Thierry Mariani qui vient de perdre son siège de député des Français de l’étranger, c’est aussi le domaine dans lequel ils ne sont pas très éloignés de Macron.

Dans un monde ordonné comme un livre de René Rémond, les choses seraient simples : la droite orléaniste, c’est-à-dire l’ancienne UDF, partirait chez Macron avec armes et bagages, les néo-bonapartistes ou populistes se regrouperaient au Front national et il resterait entre les deux un espace pour un conservatisme à la Fillon. Un autre scénario, tout aussi séduisant sur le papier, consiste à recréer, sur l’espace de l’ancien RPR, un parti de droite populaire qui rassemblerait de Laurent Wauquiez à Marion Le Pen. « On n’a pas besoin de poser immédiatement la question des alliances, mais arrêtons les exclusives, tempère Mariani, qui a décidé de mettre les pieds dans le plat en accordant un entretien à Minute. Christophe Billan pense pour sa part qu’il faut plumer la volaille frontiste. « Le FN ne devrait pas avoir plus de 8 à 10 % des voix et nous devons récupérer tous les autres. » C’est peut-être enterrer un peu vite Marine Le Pen. Après tout, on ne voit pas pourquoi la présidente du FN serait la seule dirigeante politique qui ne pourrait jamais se relever d’un ratage.

« Je ne vois pas comment on travaillerait avec un Solère »

Dans la vraie vie, bien sûr, les choses ne s’arrangent pas comme dans un jeu de construction. Les clivages entre libéraux, populistes et conservateurs sont mouvants et ne recoupent qu’imparfaitement les frontières entre courants ou organisations. Du reste, ces tendances, qui correspondent à différentes aspirations de l’esprit humain, peuvent coexister en chacun de nous. Le parti a beau se déchirer entre les constructifs-constructifs (Solère et les autres), les constructifs-opposants (Pécresse, Bertrand, NKM) et les opposants-opposants (Wauquiez, Peltier…), la séparation n’est pas encore certaine. À en croire Billan : « Je ne vois pas comment on travaillerait avec un Solère qui a déclaré : “Sens commun c’est le FN moins les bergers allemands”. » Remarque doublement idiote il est vrai.

Aussi la véritable urgence est-elle peut-être moins la clarification politique que la refondation intellectuelle. Et pour commencer, disent tous ceux qui s’activent en coulisses, il faut redéfinir ce qu’est être de droite. Que peut bien signifier une étiquette qui s’applique aussi bien à NKM qu’à Nadine Morano, à Édouard Philippe qu’à Éric Ciotti ? Pour se distinguer, il faut se nommer. Dans la constellation disparate formée autour de la campagne Fillon, on aime à s’auto-désigner comme « droite des valeurs » – par opposition à « la droite de l’argent ». Reste que cette désignation sous-entend une hiérarchie morale entre les bons citoyens qui ont des valeurs et les mauvais qui n’en ont pas et qui voudraient tout liquider. Pitié, après quarante ans de manichéisme de gauche, qu’on nous épargne la version de droite. Et puisque le président a désigné ses partisans comme des « progressistes », la droite qui n’est pas macronisée ni macronisable ne devrait-elle pas, tout simplement, se définir comme conservatrice ?

Un mensuel qui défendra « la ligne Marion »

Beaucoup, dans cette droite-là, ont en tout cas compris qu’ils payaient des décennies de paresse intellectuelle, comme le notent avec humour les fondateurs des Arvernes, deux quadras, technos et brillants (voir pages suivantes). « Jusqu’ici, la droite c’est tout dans la canine, rien dans le ciboulot, lance le premier. Elle méprise les idées et ne connaît que la force. » Dans un registre un peu semblable, la bande de copains qui a créé le site les Grognards pour soutenir la campagne Fillon sur un mode intello et rigolo compte bien reprendre du service.

Que cent fleurs s’épanouissent, comme disait l’autre. De multiples initiatives voient le jour, à l’intérieur et à l’extérieur du parti. Bernard Accoyer, qui expédie les affaires courantes à sa tête, a initié les ateliers de la refondation pour tirer les leçons de la défaite. Charles Millon veut relancer son groupe Ensemble pour la France, tandis que son épouse, Chantal Delsol, participera à la création d’un mensuel qui défendra « la ligne Marion », bien que celle-ci, en dépit d’une popularité qui dépasse largement les frontières du FN, ne donne aucun signe de vouloir revenir en politique. Enfin, Bruno Retailleau devrait, une fois réglés les petits contentieux financiers au sujet des dons reçus durant la campagne, récupérer Force républicaine, le micro-parti de François Fillon, dont il rêve de faire un Terra Nova de droite.

Le corps bouge encore…

Reste à espérer que cet enthousiasme ne s’enlisera pas, à la rentrée, dans les intrigues de couloir car la tâche est considérable. Il s’agit en effet d’élaborer une réponse politique à ce besoin d’enracinement dont Simone Weil (la philosophe) disait qu’il est l’un des plus profonds de l’homme. C’est bien l’objectif de Billan : « Sens commun veut faire obstacle à cette droite devenue macroniste, libéral-libertaire, qui ne veut mettre aucune limite au progrès. Nous devons parler pour la France silencieuse qui ressent de plus en plus la détresse civilisationnelle de notre pays et ne peut pas s’exprimer. » Seulement, il faut aussi être capable de réconcilier ce besoin d’enracinement avec l’entraînante aspiration du nouveau sans laquelle nous ne saurions vivre. Ce qui suppose d’affronter des questions ardues. Peut-on imaginer un conservatisme chimiquement pur qui irait de pair avec un retour à des cadres traditionnels, c’est-à-dire purement verticaux, de la vie sociale, comme le souhaite par exemple un Patrick Buisson, ou faut-il plutôt chercher le bon alliage entre libéralisme et conservatisme ? Mais dès lors que le marché, par nature, déteste la conservation (ennemie des affaires en tous domaines), peut-on résoudre les contradictions entre l’un et l’autre ?

Jean-Baptiste Doat, le dircab de Retailleau, estime, non sans optimisme, qu’une partie du travail a déjà été faite. « Ces dernières années, nous avons connu la génération la plus prolifique depuis longtemps d’intellectuels et de publicistes de droite et nous n’en avons rien fait. Commençons par les lire et par transformer leurs idées en éléments programmatiques. » On ne saurait trop recommander à tous ceux qui partagent cet appétit pour les idées de glisser dans leur valise le petit livre du philosophe polonais Leszek Kolakowski que les Belles Lettres ont eu l’excellente idée de republier cette année : Comment être socialiste + conservateur + libéral, dont l’un des textes fut inspiré à ce penseur polonais par l’injonction aboyée dans un autobus : « Avancez vers l’arrière ! » C’est un bon début pour continuer le débat. Finalement, votre droite n’est peut-être pas si muette que ça.

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Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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