Le véritable talon d’Achille de tout pouvoir est le manque de légitimité, une affaire de symbole avant tout. La droite devrait s’en souvenir si elle veut un jour revenir au pouvoir.
La désolation sociale qui s’annonce, après l’épisode sanitaire en cours, pourrait conduire la France au bord de l’insurrection, ouvrant ainsi une fenêtre d’opportunité pour tous ceux qui rêvent d’un « grand soir du conservatisme »…
Ce contexte inédit pose deux questions essentielles aux oppositions de droite : est-il pour bientôt, le moment tant attendu où le progressisme, idéologie dominante, succombera à son désastreux bilan ? Faut-il agir en conséquence et provoquer une crise politique majeure qui ne laisserait aucun autre choix à l’équipe en place que le départ pur et simple ?
On ne va pas encore laisser passer deux ou trois décennies
Il faut remarquer d’abord que le pouvoir jouit du soutien des classes moyennes et de la haute bourgeoisie, qui ne sont pas près d’envisager une alternative au progressisme. Dans un pays comme la France, ces deux catégories sociales sont incontournables de par leur poids dans la population et leur capacité à marquer l’imaginaire collectif. Sans leur ralliement préalable, tout tentative de prendre le pouvoir serait vouée à l’échec.
Par ailleurs, il semble avéré que seul un chef véritable serait à même d’amener les plus lucides parmi ces électeurs à appuyer un projet de changement. Grâce à son charisme et sa vision, il saurait atténuer leur aversion au risque et les faire rêver au lieu de leur faire peur. Pour l’heure, cette figure ne s’est pas manifestée. Dans cette attente, le verrou bourgeois demeure et bloque tout changement.
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Que fait donc la droite depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le président progressiste ? Elle tente de faire du gramcisme avec Zemmour, voire Onfray. Inconvénient : ces choses prennent du temps, et la droite n’a pas vingt ou trente ans devant elle pour gagner la bataille culturelle, d’autant plus que les oligarques, tout autant que l’Etat, tiennent par la laisse les milieux artistiques et journalistiques qu’ils gardent le plus souvent affamés et précarisés, pour mieux les contrôler.
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Par ailleurs, la droite, du moins sa composante populaire, a tenté aussi la voie de la désobéissance civile : ça a donné les gilets jaunes et l’on connaît l’ampleur du désastre. Pas de chef, pas de figure charismatique, pas de programme détaillé, cela veut dire œil crevé et rêve brisé.
En résumé, la droite fait fausse route, tandis que le pouvoir en place prépare le monde d’après : loi Avia, officialisation de l’islamisme comme parrain des banlieues (pensez à l’adhan prononcé dans plusieurs quartiers de France durant le confinement)…
Entre la guerre culturelle, qui mettra du temps, la désobéissance civile, dont nous avons vu l’échec, et l’absence de leaders identifiés, la droite est-elle condamnée à l’impuissance ?
A ces questions, David Galula (1919-1967), un stratège français, que le général américain David Petraeus considère comme l’un des plus grands stratèges de tous les temps, peut apporter des réponses.
L’art de Galula
Galula a consacré sa vie à étudier les conditions de permanence d’un régime politique aux prises avec un mouvement subversif qui veut conquérir le pouvoir par tous les moyens, licites ou illicites. Il a montré comment une subversion bien menée peut venir à bout d’un régime fragile sans avoir forcément à tirer ne serait-ce qu’un seul coup de feu.
Il nous apprend ainsi que l’actif le plus précieux d’un régime n’est pas son pouvoir politique, mais sa légitimité.
Plus la légitimité est forte, plus la relation entre gouverneur et gouvernés s’inscrit dans le registre de l’allégeance. Plus elle est faible, plus cette relation se dégrade et confine au consentement passif, un consentement qui peut dériver vers l’aigreur, le mécontentement manifeste ou même la haine (ou la peur), au fur et à mesure que les doléances s’accumulent.
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Galula nous apprend que le consentement, même fragile, suffit pour maintenir en place l’ordre établi. Tant qu’il y a un peu de légitimité, le régime garde de bonnes chances de tenir.
Vous l’en privez, il se transforme en une fiction légale qui jouit des attributs du pouvoir (impôts, police, armée, médias subventionnés) mais qui est vide de l’intérieur. Il perdure comme une maison posée sur le sol nu, sans fondations : à la moindre secousse, elle sombre et se brise sous son propre poids.
Il ne sert donc à rien de s’insurger contre un régime qui jouit encore de légitimité aux yeux d’une part significative de la population. Ceux qui veulent cesser d’obéir en suivant la maxime de La Boétie (« Soyez résolus de ne servir plus, et vous serez libres ») sont écrasés. Le régime les broie en silence, car la frange de la population qui le soutient encore le croit irremplaçable.
Le coronavirus a encore affaibli la légitimité du pouvoir en place
Galula nous apprend enfin que la légitimité d’un régime repose, au final, sur sa capacité à protéger la population. Une affaire aussi matérielle que symbolique. Ni Dieu ni le peuple (le vote démocratique) ne sont des assurances de légitimité. Ils permettent simplement, selon le régime politique en place, de gérer la transmission du pouvoir d’une manière pacifique et raisonnée. Ils assoient la légalité d’un pouvoir, sans plus. La légitimité, elle, se gagne tous les jours en servant la ou les causes du peuple. Lesquelles se résument inéluctablement à la protection.
Protéger s’entend au sens large, à savoir protection intérieure (protéger les biens et les personnes par le recours à l’ordre et la justice), et extérieure (repousser les menaces venant de l’étranger et défendre les frontières).
Où en est le régime français en place en termes de légitimité ?
Durant l’épisode du coronavirus, beaucoup se sont persuadés que l’équipe gouvernementale a contribué à ajouter au désordre, à l’injustice et à l’insécurité. Ils pensent que les décisions prises ont aggravé la crise et probablement causé des morts supplémentaires (impréparation, retards, déni initial concernant le port du masque, tergiversations concernant la distribution de la chloroquine). Cela aura certainement pour effet de diluer le consentement des classes moyennes.
Toutefois, même un consentement a minima peut suffire au pouvoir, la machine médiatique veillant à ce que l’épidémie de l’apathie et de la peur (du changement) perdure le temps nécessaire. Autrement dit, l’édifice est clairement fissuré mais il ne repose pas que sur du vent.
Subversion!
Si Galula était parmi nous, il suggérerait probablement à la droite française de changer de braquet et d’adopter une feuille de route nouvelle, plus astucieuse et moins prévisible. Elle consisterait à détruire ce qui reste de légitimité au régime et à se revendiquer comme légitime à sa place sur tous les sujets qui touchent la protection des Français : l’ordre, la justice et la protection extérieure.
Telle pourrait être le corps de doctrine que pourrait se donner globalement l’opposition, en dépit de ses divergences et de son déficit de leadership. Il suffit d’un carnet et d’un stylo (et de quelques bonnes idées) pour dépeindre, d’une manière convaincante, le cataclysme que le pouvoir en place est susceptible de faire déferler sur la France : désordre, ruine, chamboulement des hiérarchies sociales. Il suffit d’un peu de talent pour composer le tableau vivant d’une France en voie d’être dévastée par la politique de la « terre brûlée » qui est l’autre nom du confinement et de son corollaire absurde : le déconfinement désorganisé et à pas lents. C’est autre chose que la critique, c’est de la subversion.
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A la manière des insurgés décrits par Galula, les opposants assumeraient, pour de bon, leur rôle d’outsider et se comporteraient comme tel en cherchant à dévitaliser le pouvoir symbolique du régime en place. A leur disposition, des armes parfaitement licites et légales dans une démocratie comme la dérision, ou le détournement systématique de la propagande officielle à des fins satiriques, toutes armes que la gauche (dont l’ADN reste fondamentalement insurrectionnel, à cause de son passé marxiste), a abondamment utilisées avant d’être au pouvoir, et qu’elle pratique encore pour y rester.
Les banlieues françaises s’efforcent, depuis trente ans, de détruire la légitimité du pouvoir. Les images traumatisantes des véhicules de police renversés et des policiers brûlés ou lynchés annihilent ce qui reste de majesté à l’Etat et aux classes dirigeantes. La mort symbolique de l’autorité légale donne lieu à l’établissement d’une nouvelle légitimité, celle des islamistes alliés aux voyous. Elle repose sur une promesse de protection (toujours la protection !) : « tu me fais allégeance, et c’est moi qui te garantis désormais un transit pacifique entre ton lieu de vie, le parking, l’école et le marché ».
A bon entendeur
Il est bien entendu hors de question de répliquer ces pratiques, mais il est essentiel de reconnaître l’efficacité du mécanisme qui les sous-tend, un mécanisme intrinsèquement politique, « politico-symbolique », pourrait-on dire.
La question des chefs reste, bien entendu, entière. Le chef tant attendu, homme ou femme, existe peut-être déjà, mais pour l’instant, il n’est pas encore descendu dans l’arène. Dans cette attente, il existe malgré tout pour la droite française une alternative sérieuse à la dispute, à la désobéissance civile, à la soumission ou à l’inaction, et c’est loin d’être anodin.
Cet article a ete corédigé par Francois Martin et Driss Ghali.
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