Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché débattent de l’école.
Ah que la vie serait simple si chacun jouait sa partition. À droite il y aurait les réacs scrogneugneus, partisans des coups de règles sur les doigts, de la blouse grise et de l’autorité, à gauche les pédagos joyeux, défenseurs d’une école ouverte sur la vie, des profs sympas et des méthodes innovantes. Les uns construiraient des prisons, les autres de chouettes collèges baptisés « Steve Jobs », les uns brandiraient Racine, les autres la théorie du genre. On assisterait à la lutte entre la droite de l’ordre et la gauche de la justice, entre l’école des héritiers et l’université pour tous et nos certitudes à tous seraient bien gardées.
Tout fout le camp, même les idées simples et les clivages rassurants. Je ne sais pas s’il y a une austérité de droite et une rigueur de gauche mais en matière d’éducation, le clivage se résume à « Modernes contre Modernes », selon la formule de Philippe Muray. La destruction de l’Ecole de la République aura été l’œuvre commune de la droite et de la gauche, et en réalité, de la nation tout entière. Le collège unique devait restaurer l’égalité en supprimant des différences entre filières qui avaient une sale tête de distinctions, il n’a fait que creuser les inégalités entre les établissements de centre-ville et ceux des quartiers pudiquement qualifiés de difficiles. Nous voulions, conformément au mot d’ordre de Jean-Pierre Chevènement, amener 80 % des élèves au bac, nous avons aujourd’hui un bac descendu au niveau de 80 % des élèves et des étudiants de premier cycle universitaires incapables d’écrire un français correct. À défaut d’honorer l’exigence du savoir, au moins respecte-t-on leur « droit au diplôme ».
« C’est aux jeunes de former la jeunesse », proclamait il y a quelques années une campagne de recrutement des enseignants. Nous y sommes : les élèves sont désormais des « enfants » ou des « ados ». Quant aux profs, il reste, il est vrai, une petite différence entre la droite qui voudrait en faire des DRH de la petite entreprise appelée « classe » et la gauche qui aimerait les transformer en animateurs socio-culturels chargés de réparer les injustices de la vie et de diffuser les idées nouvelles. Grâce au « livret de compétences », les parents peuvent se rassurer : si leur enfant est ignare en histoire de France ou nul en calcul, il sera formé à la « consommation responsable » et sera capable « d’identifier une situation de discrimination ». De toute façon, l’histoire de France, c’est dangereux et le calcul inutile puisqu’il y a des ordinateurs. Et pour penser, il y a des ordinateurs, aussi ?
Heureusement, l’UMP propose de rétablir le port de la blouse pour effacer les différences entre ceux qui ont « de la marque » et ceux qui n’en ont pas. Ce sera une grande satisfaction pour les profs de se faire agresser par des gamins vêtus de blouse plutôt que de joggings. Et pendant qu’on amuse la galerie avec cette brillante idée, le ministère de l’Education nationale prépare une réforme de l’évaluation des profs. Celle-ci serait confiée au chef d’établissement qui devrait noter son « salarié » selon quatre critères : la capacité à faire progresser chaque élève ; les « compétences dans sa discipline »; la « pratique professionnelle dans l’action collective de l’établissement » ; et la « qualité du cadre de travail ». En clair, on jugera les profs sur leur capacité à « tenir leur classe » et à ne pas faire de vagues. Quant aux « compétences dans la discipline », il faudra expliquer comment le chef d’établissement devenu patron de PME sera à même de les apprécier. Chichis-pompons que tout cela : si nos profs parviennent à faire en sorte que les gamins ne deviennent pas des petits barbares, ils auront mérité de la patrie.
On espère que la gauche montera au créneau dans la foulée des syndicats. De toute façon, François Hollande a trouvé la solution-miracle : demain on recrutera gratis. Comme Hollande est un type sérieux, il promet qu’il trouvera un Pierre à déshabiller pour habiller Paul. Fort bien. Sauf que si le problème tenait aux moyens, ceux qui ont été engloutis dans l’Education nationale auraient dû améliorer les choses. Le PS ne va pas froisser une population qui constitue son cœur de cible en s’interrogeant sur la qualité des enseignants plutôt que sur leur quantité. Certes, de nombreux profs résistent à la démagogie générale dans des conditions héroïques. En attendant, cette année, près de mille postes ouverts au CAPES n’ont pas été pourvus, ce qui signifie que les jurys n’ont pas trouvé de candidats conformes à leurs exigences – plutôt modérées au demeurant. Mais allez draguer l’électeur avec ça.
J’ignore s’il se trouve encore des sociologues pour affirmer que « le niveau monte » mais la publication par l’Insee du Portrait social 2011 de la France n’a pas fait les gros titres des journaux. On y apprend que depuis une dizaine d’années, la proportion d’élèves en difficulté « face à l’écrit » a augmenté et concerne aujourd’hui « près d’un élève sur cinq en début de 6e ». Pour les élèves les plus faibles, « la maîtrise des mécanismes de base de la lecture est stable, mais les compétences langagières (orthographe, vocabulaire, syntaxe) sont en baisse, ce qui explique l’aggravation des difficultés de compréhension des textes écrits. » Ce constat déprimant devrait résonner comme un appel à la mobilisation générale pour l’ensemble de la classe politique. On repassera. Sur l’école, il n’y a plus ni droite ni gauche, il n’y a plus que le Parti de la jeunesse. C’est-à-dire celui du renoncement.
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