Jadis, les timbres-poste des républiques socialistes s’ornaient fièrement de paysages industriels, cheminées d’usines crachant la fumée dans le soleil levant, armées de tracteurs nivelant les collines et comblant les vallées afin d’y implanter des nœuds ferroviaires ou des habitations sociales. Jusque dans leurs symboles les plus modestes, les démocraties prolétariennes affirmaient ainsi leur ancrage dans une idéologie du progrès qui donne à l’homme, « maître et possesseur de la nature », le droit de la remodeler, voire de la détruire, s’il y trouve son avantage. Dans cette perspective, la nature, quelle qu’elle soit, n’a pas à être respectée : elle n’a aucune valeur en soi, n’étant qu’une matière première indéfiniment manipulable et utilisable. À l’inverse, la pensée de droite, fondamentalement méfiante à l’égard de l’idée de progrès, se présentait comme profondément attachée à la préservation du patrimoine, au respect de la nature et de ses lois, et se montrait hostile à toute artificialisme systématique : ses principaux théoriciens reconnaissaient que l’on doit, certes, humaniser la nature, mais en aucun cas l’anéantir, sous peine de perdre ses repères, ses racines et son identité. En somme, à l’origine, la nature constitue, à côté du rapport au temps, l’un des marqueurs décisifs du clivage droite/gauche : dans cette perspective, on peut dire que l’écologie est foncièrement traditionaliste.[access capability= »lire_inedits »]
Ce n’est que par suite d’une confusion intellectuelle assez typique de notre temps que l’on a assisté, spécialement au cours du dernier tiers du XXe siècle, à un renversement des fronts – l’écologie se trouvant paradoxalement récupérée par les héritiers du progressisme marxiste tandis qu’à l’inverse, les descendants des conservateurs renonçaient haut et fort à conserver quoi que ce soit, se présentant comme les héros de l’innovation scientifique et de l’industrialisation à tout-va. C’est ainsi qu’au début des années 2000, le patronat s’engagea furieusement contre l’introduction, dans la Constitution française, du fameux « principe de précaution » – c’est-à-dire d’un conservatisme minimum en matière environnementale, qui se borne à prévoir que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement », il appartient aux autorités publiques de veiller « à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Contrainte scandaleuse !, s’insurgèrent alors les représentants du Medef, se réclamant pour l’occasion de l’irréversibilité du progrès, de la mondialisation de la concurrence et du primat absolu des considérations économiques : qu’importent les dommages environnementaux s’ils permettent de réduire la facture pétrolière et de relever le cours du CAC 40 ? Qu’importe la longue durée, lorsque que l’on peut tout avoir, et tout de suite ? Qu’importe le maintien de l’héritage si sa destruction peut procurer aux héritiers une satisfaction immédiate ? Et qu’importe l’endroit où auront lieu lesdits dommages lorsqu’on peut le quitter quand on veut, sans regrets, pour s’installer à l’autre bout du monde − dans un pays encore préservé où l’on pourra peut-être recommencer l’opération ? Dans le même temps, en dépit de la logique et de l’idéologie, l’écologie officielle s’ancrait franchement à gauche – se partageant désormais entre des Verts associés au gouvernement, qui en représentent la branche modérée, un Front de gauche mélenchoniste qui semble vouloir la préempter et une ultragauche trostskysante engagée dans les actions les plus radicales ou les plus spectaculaires.
Pourtant, au moment où la droite renoue avec le droit naturel pour contester les projets socialistes relatifs au mariage homosexuel, peut-être pourrait-elle revenir aussi à ses fondamentaux et réinvestir franchement la problématique de la défense de la nature, malencontreusement délaissée au nom d’un réalisme à courte vue et d’une vision intégriste du primat de l’économie. On songe ici à l’affaire de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, dans laquelle les seuls arguments avancés en faveur du projet par son promoteur, Jean-Marc Ayrault, consistent à mettre en avant la nécessité impérieuse de « désenclaver » la région « Grand Ouest » (laquelle, comme chacun sait, n’est accessible qu’à dos de mulet ou au moyen de frêles esquifs pratiquant le cabotage, d’où sa misère et son obscurantisme religieux), et relèvent d’un modernisme de pacotille (seul un tel aéroport permettra à la région d’entrer de plain-pied dans le troisième millénaire). Sur un tel dossier − et beaucoup plus largement, sur l’ensemble des questions écologiques −, la droite ne devrait pourtant pas avoir honte du beau mot « conservateur », ni craindre les foudres des gourous de la mondialisation, ni se sentir illégitime au point d’abandonner le bébé à la gauche de la gauche : c’est à elle qu’il revient de maintenir. Et en l’occurrence, de s’opposer à ce que l’on sacrifie 2000 hectares de prés et de bois aux idoles du marché et aux appétits de bétonneurs se dissimulant sous l’étiquette du « développement durable ». Une réappropriation qui pourrait prendre exemple sur la figure du prince Charles, que «ses compatriotes ont fini par […] surnommer le « prince vert », et qui incarne comme nul autre une écologie traditionaliste et spiritualiste »[1. G. Rivière, « Charles, le prince vert », Le Spectacle du monde, juin 2012.].[/access]
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