Accueil Politique Droite/Gauche, c’est reparti !

Droite/Gauche, c’est reparti !


Droite/Gauche, c’est reparti !

droite paris chevenement

On n’en finira jamais avec le vieux couple droite/gauche. Longtemps je le crus, ou l’espérai dissous, l’impressionnante similitude des politiques qu’ont menées depuis presque quarante ans les gouvernements dits « de droite » et dits « de gauche », la succession de cohabitations somme toute pacifiques, enfin − bouquet final − l’installation de ce qu’il est convenu d’appeler le « système UMPS » − expression peut-être excessive mais fort pertinente pour pointer la connivence idéologique entre les états-majors des deux partis « de gouvernement » − confirmant, pour moi et quelques autres, l’idée qu’une opposition nouvelle entre mondialistes et antimondialistes se substituait à l’ancienne,  bouleversant la vieille structuration de l’échiquier politique. Semblable innovation se révélait de surcroît assez douce à mes oreilles gaullistes (« La France, ce n’est pas la gauche, la France, ce n’est pas la droite… ») caressant la nostalgie d’une grande politique qui réconcilierait les uns et les autres dans une même œuvre française. Hélas, au fil des années, j’ai peu à peu glissé de ce confortable fauteuil pour retrouver, en termes à peine renouvelés, la vieille opposition que j’avais cru dépassée.

Le premier doute naquit lorsque, élu député européen sur la liste dite « Pasqua-Villiers » de 1999, donc réputé « de droite », je n’en décidai pas moins de soutenir la candidature de Jean-Pierre Chevènement lors de l’élection présidentielle de 2002. Le piètre accueil que réserva à mes confrères droitiers la plus grande partie de l’entourage du « Che » en tous ses échelons (il n’est pas jusqu’à Régis Debray qui ne se pinça ostensiblement le nez), et la façon dont tourna la campagne de l’« Homme de la nation » revenu bien vite « à gauche » ( jusqu’à s’y abîmer), me convainquirent que celle-ci n’était pas prête à abandonner ses réflexes.[access capability= »lire_inedits »]

Je retrouvais Alain : « Celui qui prétend n’être ni de droite ni de gauche n’est certainement pas à gauche. » Et certes, il se voit plus couramment des hommes de droite faire appel à des hommes de l’« autre rive » que l’inverse (voir par exemple l’« ouverture » des gouvernements Sarkozy), comme on entend plus couramment les incantations au « grand rassemblement ni droite ni gauche » venir de la droite − c’est le cas  de Marine le Pen aujourd’hui, comme ce le fut  du fameux Général. De celui-ci, d’ailleurs, je m’avisais peu à peu qu’il fallait avoir le gaullisme bien hâtif pour ne pas voir qu’il fut, dès les premières années de Londres, entouré d’hommes de droite, et que tous les thèmes auxquels son nom reste attaché − défense de la souveraineté, autorité disciplinée de l’État, strict traditionalisme moral − en feraient aujourd’hui un homme de droite voire d’« extrême droite ».

Il y eut davantage encore : la vieille opposition, dont je croyais, comme tout le monde, qu’elle tirait son origine de la façon dont s’étaient distribués les députés sur les bancs des premières assemblées républicaines, se révéla bien plus ancienne. Une étude de l’architecte Louis Maitrier, « Gauche-Droite. La localisation urbaine et l’origine des partis politiques », montre que, de longue date (dès le XIVe siècle et l’émancipation de la Sorbonne), la rive gauche de Paris fut regardée comme le creuset des idées nouvelles (là étaient les universités, les écoles de philosophie, là s’installèrent bientôt les éditeurs, les galeristes), tandis que la rive droite fut assimilée en maint domaines  au classicisme, ainsi qu’aux valeurs marchandes. « Les catégories des opinions politiques « gauche et droite », écrit Maitrier, étaient homologues des goûts artistiques et culturels , et étaient donc l’expression d’une organisation plus fondamentale de la société » […]. Tout Parisien sait bien, sans faire d’enquête, que « Rive gauche » et « Rive droite » sont l’expression de styles de vie, de manières de penser, de sensibilités opposées.

Opposition ancienne et profonde, qui sépare les partisans de l’innovation, du progrès et de toute forme d’émancipation arrachée aux cadres contraignants de l’État royal à ceux de la tradition, du service de l’État, du primat national − Louvre, Tuileries, Élysée sont situés rive droite. N’est-ce pas cette opposition que cristallisa, à la toute fin du XVIIe siècle, la fameuse « querelle des Anciens et des Modernes », les premiers étant vite débordés à l’Académie française (elle, rive gauche) par les seconds, comme le classicisme le fut progressivement, dans la France entière, par les idées de progrès, de liberté individuelle et de cosmopolitisme ? On se demande si cette opposition bel et bien multiséculaire entre une gauche héritière des Lumières, triomphante et bientôt hégémonique, et une droite qui ne s’inscrit plus depuis lors que par « réaction » (devenue d’ailleurs son autre nom) ne donne pas ses mots, de nos jours encore, à ce vieux jeu droite-gauche qu’on dirait en somme permanent dans notre histoire.

S’expliquent ainsi bien des phénomènes − par exemple, la marginalisation du classique Chevènement enfermé dans les cadres d’une gauche méfiante envers les formes marquées de l’autorité de l’État, résolument cosmopolite, attachée à un internationalisme devenu mondialisme. Ou, bien, autre exemple, on comprend l’actuel éclatement d’une UMP dont la plupart des figures de proue sont intellectuellement converties  aux Lumières, mais dont la base reste en large partie littéralement réactionnaire − et  dont le premier essai de consultation lui fut fatal. Mais cela est une autre histoire, celle d’un siècle où, tandis que s’érodent les promesses du progrès et celles de la  mondialisation, la vieille opposition se fera sans doute plus nette, et peut-être plus violente.[/access]

*Photo : chevenement.

Décembre 2012 . N°54

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Francs-maçons : le nouvel os du Nouvel Obs
Article suivant Euthanasie : Laissez-nous vivre !
Paul-Marie Coûteaux est député français au Parlement européen, président du Rassemblement pour l’Indépendance de la France.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération