Dans les pays émergents en particulier, le droit constitue un vecteur d’influence économique pour des organisations internationales et les États qui les portent.
L’intérêt de puissances économiques pour une même zone de conquête apporte une diversité normative et juridictionnelle dont les investisseurs peuvent tirer avantage, mais qui peut également s’avérer source d’insécurité. L’élargissement de la portée de son droit par un acteur dominant et sa pratique agressive à laquelle les adversaires ne font pas obstacle relève d’une autre dimension : elles ont pour effet voulu leur éviction durable de zones stratégiques. C’est le dessein d’une administration américaine que l’on voit toujours plus déterminée et organisée pour altérer durablement les relations entre entreprises européennes et acteurs politico-économiques d’États institutionnellement faibles. Depuis le milieu des années 1990, elle conçoit cette guerre économique par le droit aussi méthodiquement qu’une intervention armée, tandis qu’en Europe entreprises et États semblent avoir renoncé à se battre.
De bonne guerre ?
La confrontation de corpus normatifs et de systèmes juridictionnels sur les marchés internationaux est naturelle, inhérente à l’activité humaine et économique. Elle découle de la multiplication des investissements étrangers dans et à travers les continents, de la difficulté de puissances grandes ou moyennes à préserver leurs pré-carrés et de leurs velléités à altérer ceux de leurs rivaux. C’est le jeu de la compétition internationale, il peut s’avérer vertueux.
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L’Afrique, devenue un terrain de chasse entre acteurs étatiques et politiques, non plus seulement européens, mais aussi chinois, américains ou encore russes, est par là même devenue un terrain d’observation de ces rivalités normatives croissantes. Créée au début des années 1990 en vue d’apporter un espace de sécurité juridique aux investisseurs étrangers en Afrique, l’organisation OHADA s’emploie à harmoniser le droit des affaires de ses membres, à ce jour plus d’une quinzaine de pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Véhiculant le droit latin – et au départ exclusivement la langue française – elle constitue un vecteur d’influence pour les acteurs politico-économiques européens et français en premier lieu.
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À la jonction de deux régions anglophones au dynamisme économique particulièrement reconnu (l’Afrique de l’Est et la péninsule arabique), convoité par maintes puissances pour son emplacement géostratégique, Djibouti a joué ces dernières années de ces rivalités et, dans le domaine judiciaire, en a plutôt fait les frais. Son désamour avec la France, son engouement pour les Émirats arabes unis et pour Dubaï en particulier, ont initié une bascule vers le monde des affaires et le droit anglo-saxon. Sa matérialisation : l’arrivée patente de cabinets d’avocats anglo-saxons, défendant les intérêts non seulement d’entreprises locales, mais aussi de l’État, la rédaction de la plupart des contrats en anglais et selon la Common Law, et la distance prise à l’égard de l’OHADA. Or, les contentieux avec Dubaï – au premier rang desquels « l’affaire Boreh » – se sont succédé et, pas encore familier de ces contrats, Djibouti a perdu la plupart des arbitrages sollicités. Le pays revient au droit latin et en français.
La montée en puissance économique et politique des pays du golfe persique et l’extension à la sphère économique et financière des principes islamiques, voire dans leur pratique islamiste, ont pour leur part fait de la charia une source de droit qui se diffuse dans le droit des affaires en Afrique et au Moyen-Orient, jusqu’à être reconnu hors du monde musulman sur certaines places de la finance islamique comme Londres.
La concurrence des normes s’accompagne et se double de la diversification et de la multiplication d’instances de règlements alternatifs des conflits, traitant de litiges entre acteurs internationaux privés et/ou publics : centres de conciliation, de médiation et d’arbitrage. Pour prolonger l’illustration précédente, remarquons que ce double phénomène a précisément fourni l’occasion à ces nouveaux entrants d’intégrer à leur stratégie d’influence un volet juridique et judiciaire : dès la seconde moitié des années 2000 les différents émirats constituant les EAU se sont livré concurrence en se dotant chacun de leurs propres centres d’arbitrage ; dix ans plus tard, Dubaï proposait à son allié de la Corne de l’Afrique d’implanter sous sa houlette un centre international d’arbitrage, composé d’Anglo-saxons et de Dubaïotes, dans la zone franche de Djibouti.
Globalement, la rapidité de ces développements et de certains revers ainsi que le défaut d’unicité des droits et de leurs pratiques (notamment en phase d’exécution des décisions judiciaires ou sentences arbitrales) ne sont pas un gage évident de sécurité juridique pour les investisseurs
Ces stratégies d’influence par le droit, ces manières ou puissances dites douces (soft power pour les anglophiles) car indirectes et non coercitives, sont le fait d’États, d’organisations internationales et d’acteurs économiques (entreprises, cabinets d’avocats d’affaires). Malgré leur qualification de douces, elles peuvent s’avérer redoutables. Mais c’est toutefois « de bonne guerre », c’est-à-dire menées dans le respect des conventions, honorablement, qu’elles sont employées par ces adversaires voire ennemis.
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Conflit asymétrique
Il en va tout autrement d’une nouvelle manière de concevoir et de conduire la guerre économique, qui consiste à en brandir l’arme juridique, de manière directe et en plein jour. On pense immédiatement à ce phénomène auquel il semble impossible d’échapper : la généralisation de normes américaines à caractère extrêmement contraignant à l’ensemble des acteurs économiques mondiaux.
L’extraterritorialité de lois américaines, assorties de rétroactivité, leur mise en application sans concessions, font désormais frémir tous les dirigeants d’entreprises (européennes, surtout) comme leurs directeurs internationaux, juridiques et responsables de la conformité (fonction devenue critique en quelques années). Cette forme et cette pratique du droit par les Américains impactent désormais considérablement le développement international et l’organisation interne de nos entreprises.
Ce dont on parle ici n’a rien à voir avec…
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