Accueil Édition Abonné Exception sexuelle: au diable la preuve, pourvu qu’on ait l’accusé!

Exception sexuelle: au diable la preuve, pourvu qu’on ait l’accusé!


Exception sexuelle: au diable la preuve, pourvu qu’on ait l’accusé!
Photo: Chamussy/SIPA

Pour les partisans de l’imprescriptibilité, les règles classiques du droit pénal ne doivent plus s’appliquer lorsque le crime ou le délit est sexuel. Certes, on sait qu’après vingt, trente ou quarante ans, la preuve sera difficile ou impossible à apporter. Mais qu’importe, si c’est pour la bonne cause ?


« Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante », disait Montesquieu. Plus encore en matière de délinquance sexuelle… C’est sans doute en raison de la noblesse de la cause, mais aussi de l’impossibilité de faire entendre des voix contraires, que sans trembler et avec une belle détermination, la secrétaire d’État « réfléchit à l’impunité des crimes sexuels ». Et s’est vu pour cela remettre un rapport par la psychiatre et traumatologue Muriel Salmona, proposant entre autres mesures phares l’imprescriptibilité des crimes sexuels. Plus réservée, l’animatrice Flavie Flament (!) ne proposait en matière de viols sur mineurs qu’un allongement du délai de prescription : vingt ans après la majorité, c’est court, quand il faut parfois des décennies, voire toute une vie, pour recouvrer la mémoire du traumatisme enfoui ou, si on ne l’a pas perdue, trouver le courage de parler. Ce qui, en novlangue, pourrait se traduire par : pour que la parole se libère.

Non, la justice n’est pas complaisante

Les féministes de l’aile furieuse se réjouissent : « libération de la parole », « loi du silence », « impunité des criminels sexuels » sont égrenées au fil des articles, telle une litanie de poncifs laissant pour la plupart entendre que la législation et la justice françaises (sans parler de la police) font preuve, vis-à-vis des délinquants sexuels, d’un coupable laxisme. Sans que nul ne s’en étonne, ou ne s’en indigne, des statistiques hasardeuses, des propos militants (et jargonnants) abondent dans un rapport qui devrait se vouloir avant tout scientifique. « Culture du viol et impunité, déconstruire (sic) le déni et la loi du silence » Comment les magistrats français peuvent-ils ainsi laisser dire et écrire, par tous les médias confondus, que la justice française est aussi désarmée, quand on ne la dit pas complaisante ? Tout simplement parce que la cause et les slogans qui la résument sont trop consensuels pour que l’on puisse s’y opposer. Et surtout trop binaires.

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« Slogan » : formule courte, destinée à propager une idée, soutenir une action. Si l’on critique un manifeste « contre » l’impunité des crimes sexuels, cela signifie-t-il qu’on est « pour » cette impunité ? Peut-on s’indigner des outrances ou des sophismes militants sans être suspecté de faire partie des partisans de la « loi du silence », terme autrefois consacré aux enfants victimes d’abus sexuels et désormais étendu aux femmes victimes ?

Ou plaignantes. Car tel est bien le problème et l’immense difficulté de la chose : nul, parmi les militants, ne semble faire la différence entre victime et plaignant(e). Aucune autre explication ne peut être proposée au fait que 93 % de femmes disent avoir été harcelées sexuellement au cours de leur existence. Si chacune d’entre elles avait déposé une plainte, aurait-il fallu condamner la totalité des harceleurs mis en cause (ce qui aurait réglé dans le même temps les problèmes de circulation) ? Ou aurait-il fallu, comme l’exige le Droit, tenter de réunir les preuves, à défaut les témoignages ou un faisceau d’arguments ? Cette rigueur juridique est intolérable à « celles et ceux » qui s’indignent de la proportion de classements sans suite, assimilée à une impunité.

De l’« exception sexuelle du droit »…

C’est dans le même élan bien-pensant, et surtout sous les mêmes pressions militantes, que la loi contre le harcèlement sexuel au travail, votée en 2002, avait considérablement élargi l’infraction introduite en 1992 dans le Code pénal. Nous avions à l’époque critiqué la nouvelle définition, si floue qu’elle semblait inapplicable[tooltips content=’Jacques Barillon et Paul Bensussan, Le Désir criminel, Odile Jacob, 2004′]1[/tooltips]. Les Sages du Conseil constitutionnel avaient d’ailleurs décidé, le 5 mai 2012, d’abroger ce texte de loi et ce délit. Leur décision avait fait l’effet d’un coup de tonnerre et, à la veille du second tour des élections présidentielles, avait déclenché la réaction immédiate des deux candidats, promettant de concert le vote d’une nouvelle loi. De fait, le délit de harcèlement sexuel n’existait plus dans le Code pénal, du moins le temps du remaniement de sa définition : une nouvelle loi sera promulguée le 6 août 2012, sans satisfaire les militants.

Tout se passe en effet comme si, lorsque le crime ou le délit est sexuel, les règles classiques du droit pénal ne pouvaient plus s’appliquer. C’est bien cette « exception sexuelle du droit », selon la belle expression de Marcela Iacub, que promeuvent aujourd’hui les partisans de l’imprescriptibilité : certes, on sait qu’après vingt, trente ou quarante ans, la preuve sera difficile ou impossible à apporter. Mais qu’importe, si c’est pour la bonne cause ? L’avocat Claude Katz disait ainsi, à propos de la suppression du délit de harcèlement sexuel : « Cela est frustrant pour la victime, pour qui la déclaration de culpabilité est très importante, cela lui permet en effet de se reconstruire. » Le procès-thérapie, en quelque sorte. À la condition, cela va sans dire, qu’il se termine par la « reconnaissance du statut de victime ». Autrement dit, par la condamnation du mis en cause.

…à la pression « victimologique »

Ces poncifs psychologisants, faisant de la réparation judiciaire le préalable indispensable à la réparation psychologique, sont une véritable injonction à condamner, dans un domaine où la preuve fait souvent défaut.

La prise en compte de la violence psychologique par les tribunaux est un progrès essentiel : elle suppose la reconnaissance d’une violence invisible ; et le fait que le harcèlement devienne, à la faveur d’une actualité, un débat de société est une avancée que nous saluons et qu’il ne s’agit surtout pas d’éluder. Mais lorsque la psychiatrie et la psychologie se caricaturent elles-mêmes et envahissent le prétoire – contaminant jusqu’au discours des avocats, exigeant que le sentiment d’avoir été victime suffise à obtenir une condamnation –, et que la délation devient une compétition nationale, toutes les dérives sont à craindre.

Ce sont ce terrorisme intellectuel et cette pression « victimologique » qui avaient poussé le législateur à satisfaire, en 2002, les revendications féministes en élargissant à outrance le champ du harcèlement sexuel. Espérons qu’en 2017, le sens critique ne lui fera pas défaut.

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Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale de La Haye. Dernier ouvrage paru : Le Nouveau Code de la sexualité (avec Jacques Barillon), Odile Jacob.

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