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Droit d’asile pour tous: comment on a aggravé la crise migratoire

L'hostilité à l'immigration vient aussi de là


Droit d’asile pour tous: comment on a aggravé la crise migratoire
Un demandeur d'asile à Paris, 2015. SIPA. 00715414_000008

L’hostilité qui s’est développée en Europe à l’égard de l’immigration a été alimentée par le dévoiement de la procédure d’asile. Une bonne partie des occupants des bateaux recueillis sur les côtes européennes, surtout des jeunes hommes, n’avaient aucun droit à l’asile mais savaient qu’il fallait en passer par là pour être à peu près assurés de rester en Europe.

La chose se déroulait sous les yeux de tous. L’asile est devenu la filière d’entrées illégales en Europe par excellence. Les déboutés du droit d’asile n’étant que rarement renvoyés dans leur pays, mettre un pied en Europe donne de bonnes chances de pouvoir y rester. En vertu de l’article 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, nul ne peut être expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements dégradants. C’est donc à travers les données sur l’asile que l’on peut se faire une idée de l’ampleur de ce qu’on a appelé la crise migratoire.

Eurostat présente des données sur les demandeurs d’asile, en principe harmonisées, à la mesure de ce que peuvent produire les États. Ainsi, la France communique les données recueillies par l’OFPRA.

Lorsque les procédures de réadmission sont éteintes – c’est-à-dire lorsque la France renonce à renvoyer, par la procédure Dublin, des demandeurs venus d’autres pays de l’UE -, ces demandes passent par l’OFPRA et figurent alors dans les statistiques communiquées à Eurostat. Mais, les « dublinés », c’est-à-dire ceux qui sont entrés dans l’UE par un autre État membre où ils ont été enregistrés, sans que la procédure de réadmission n’ait été éteinte, voient leur situation traitée en préfecture et n’y figurent pas.

Ce n’est pas le cas de tous les pays et des doublons (avec des demandes enregistrées avant ailleurs) sont donc possibles dans la statistique consolidée d’Eurostat.

Un nouveau système d’enregistrement a été mis en place en France à la suite de la loi Asile de 2015 et commence à fonctionner. Les données mises en ligne en juin 2018 pour l’année 2017 par le ministère de l’Intérieur indiquent qu’aux 95 800 premières demandes traitées par l’OFPRA (y compris les réadmissions éteintes) se sont ajoutées 29 200 procédures Dublin traitées par la préfecture, soit un total de 125 000.

Ajoutons que la France traite très peu de demandes d’asile déposées par des mineurs non accompagnés, car les étrangers qui se déclarent mineurs font l’objet d’une évaluation de minorité. Ils sont ensuite confiés par le ministère de la Justice à l’aide sociale à l’enfance, compétence des départements. Depuis la fixation d’un mécanisme de répartition entre les départements en 2013, la cellule dédiée du ministère de la Justice fournit des données sur les mineurs ayant fait l’objet d’un placement auprès d’un service d’aide sociale à l’enfance. Mais certains magistrats prennent des décisions de placement sans en référer à la cellule. Les statistiques fournies par le ministère sont donc sous-évaluées, sans qu’on sache si cette sous-évaluation est marginale. Par ailleurs, aucune statistique sans doublon n’existe sur le nombre de ceux dont la minorité a été évaluée et qui est plus important.

Le ministère de la Justice a eu connaissance de 14 908 personnes reconnues mineures non accompagnées confiées aux services d’aide sociale à l’enfance en 2017 (85 % de plus qu’en 2016). Et le nombre de ces enfants pris en charge par les départements au 31 décembre 2017 (« stock » en fin d’année) est estimé à 21 013. Un rapport de l’IGAS, de l’inspection de la Justice et de l’Assemblée des départements a estimé à 54 000 le nombre d’évaluations de minorité en 2017, dont un nombre incertain de doublons. Même en supposant que les doublons ne soient pas négligeables, les jeunes qui se disent mineurs alors qu’ils ne le sont pas sont donc très nombreux.

Ces mineurs non accompagnés ne figurent pas dans les demandes d’asile traitées par l’OFPRA et communiquées à Eurostat, contrairement à d’autres pays. Néanmoins, les données sur l’asile rassemblées par Eurostat donnent une assez bonne idée de la crise migratoire. Dans ce qui va suivre, sauf mention de ma part, ce sont les données sur les primo-demandeurs d’asile, c’est-à-dire ceux qui demandent l’asile pour la première fois dans un pays, qui seront considérées[tooltips content= »Des estimations ont été nécessaires pour certains pays et certaines années pour lesquelles seul était disponible l’ensemble des demandes d’asile, tous rangs réunis. Le principe a été d’appliquer la proportion des primo-demandes dans l’ensemble des demandes, calculée dans le reste des pays pour lesquels ce ratio est connu. »]1[/tooltips].

À l’échelle de l’UE28, la crise a été très concentrée sur les années 2015-2016, avec un pic en septembre-octobre 2015 au-dessus de 160 000 demandes mensuelles. La fièvre est retombée, mais on reste à un niveau qui est encore à peu près le double de celui des années 2010-2012.

Évolution du nombre de premières demandes d'asiles mensuelles dans l'UE28 de janvier 2010 à août 2018. Source : Eurostat
Évolution du nombre de premières demandes d’asiles mensuelles dans l’UE28 de janvier 2010 à août 2018. Source : Eurostat

La crise migratoire n’a pas touché tous les pays de la même façon

En première ligne se trouvaient la Suède, l’Allemagne et la Hongrie. Cette dernière, qui a connu, relativement à sa population, le pic le plus élevé avec près de 47 000 demandes d’asile en août 2015, est très vite « retombée sur ses pieds », d’autant que les demandeurs d’asile n’y sont pas restés.

Hongrie mise à part, c’est la Suède, avec ses 10 millions d’habitants, qui a reçu le plus de demandes d’asile, avec un pic très important proche de 40 000 en octobre 2015. C’est comme si, en un seul mois, nous avions enregistré en France près de 280 000 premières demandes d’asile, quand le maximum des demandes enregistrées l’a été en Allemagne avec 92 000 demandes en août 2016. La crise a été très concentrée en Suède et vite prise en mains. Quand 2016 démarre, le nombre de premières demandes d’asile a retrouvé un niveau proche de celui connu au début de la décennie. La Suède a reçu en 2015 156 000 primo-demandes d’asile. C’est comme si, nous en avions reçues 1,1 million en France. En Allemagne, les premières demandes d’asile ont été beaucoup plus étalées dans le temps : 1,5 million en quatre ans (2014-2017). En 2018, le mois d’octobre a retrouvé le niveau de celui de 2013.

Évolution du nombre de premières demandes d'asiles mensuelles en Allemagne, en Hongrie et en Suède de janvier 2010 à août/octobre 2018. Source : Eurostat
Évolution du nombre de premières demandes d’asiles mensuelles en Allemagne, en Hongrie et en Suède de janvier 2010 à août/octobre 2018. Source : Eurostat

L’Autriche et, dans une moindre mesure relativement à sa population, les Pays-Bas ont aussi connu ce pic. En 2018, l’Autriche est revenue au niveau de 2010-2013. Aux Pays‑Bas aussi, le gros de la crise est passé, même si une tendance haussière s’est manifestée en 2018 signalant, peut-être, des mouvements secondaires de demandeurs d’asile à l’intérieur de l’Europe (graphique ci-dessous[tooltips content= »Dans les graphiques qui suivent, l’échelle est différente de celle du graphique précédent. »]2[/tooltips]).

Évolution du nombre de premières demandes d'asiles mensuelles en Autriche et aux Pays-Bas de janvier 2010 à septembre/octobre 2018. Source : Eurostat
Évolution du nombre de premières demandes d’asiles mensuelles en Autriche et aux Pays-Bas de janvier 2010 à septembre/octobre 2018. Source : Eurostat

Certains pays n’ont été que très peu touchés par la crise migratoire. C’est le cas du Royaume-Uni où le pic de 2015 est resté relativement bas, même si le niveau du flux en 2016-2018 reste supérieur à celui connu au début de la décennie. La France, où le pic de 2015 est moins proéminent que dans d’autres pays, est destinataire de mouvements secondaires. Elle reprend des cas normalement touchés par la procédure Dublin, notamment en annulant des procédures de renvoi vers les pays de 1er accueil. D’où cette montée du nombre de demandes, une fois la crise passée. Ce sont donc, pour partie, des demandeurs d’asile qui ont déjà été comptés ailleurs. Ne sont pas comptés ici, on l’a dit,  les dublinés dont le cas est traité en préfecture. La tendance d’après crise est à la hausse.

Évolution du nombre de premières demandes d'asiles mensuelles en France et au Royaume-Uni de janvier 2010 à septembre 2018. Source : Eurostat
Évolution du nombre de premières demandes d’asiles mensuelles en France et au Royaume-Uni de janvier 2010 à septembre 2018. Source : Eurostat

Quant aux pays de l’UE qui « gèrent » la frontière maritime Sud, la Grèce a été un lieu de passage jusqu’à l’accord Merkel-Erdogan de mars 2016, l’Italie a connu des pics d’arrivée, particulièrement après l’accord avec la Turquie et quelque soulagement avec ceux pris avec les pouvoirs libyens, cependant que l’Espagne connaît une recrudescence d’arrivées sur ses côtes.

Évolution du nombre de premières demandes d'asiles mensuelles en Espagne, Grèce et Italie de janvier 2010 à août/septembre 2018. Source : Eurostat
Évolution du nombre de premières demandes d’asiles mensuelles en Espagne, Grèce et Italie de janvier 2010 à août/septembre 2018. Source : Eurostat

Surmasculinité des demandeurs d’asile

La surmasculinité des demandeurs d’asile[tooltips content= »Il s’agit maintenant des demandeurs d’asile tous rangs confondus. »]3[/tooltips] est visible à l’échelle de l’UE. Le sex-ratio n’est équilibré que pour les moins de 14 ans qui, la plupart du temps, sont des enfants qui arrivent avec leur parents, lesquels ne laissent pas leurs filles au pays.

C’est en juillet 2015 que le sex-ratio tous âges a atteint un maximum de 3 hommes pour une femme. Le déséquilibre est plus important pour les jeunes adultes et les adolescents, particulièrement au maximum des flux. C’est lors du pic d’octobre 2015 que le déséquilibre chez les 14-17 ans a été le plus grand : 6 garçons pour une fille.

En Suède, où le nombre de mineurs non accompagnés a été particulièrement important, c’est parmi les 14-17 ans que la présence masculine est écrasante. En octobre 2015, il y avait un peu plus de dix garçons pour une fille.

Cette surmasculinité fait douter de l’authenticité d’une partie des demandes d’asile. Pourquoi les familles chercheraient-elles à sauver à tout prix leurs garçons, tout en laissant les filles courir des dangers au pays ? On peut arguer que les garçons sont plus aventureux que les filles. Pour ma part, j’ai tendance à penser qu’une bonne partie de ces jeunes gens qui sont à la limite de la majorité, sans qu’on puisse toujours les croire sur parole, sont les nouveaux pionniers de la migration et portent un projet migratoire familial, soit pour des envois de fonds, soit comme tremplins de migrations futures.

La Suède et l’Allemagne ont cherché à se protéger de ces flux induits. Sur les 836 000 décisions positives en première instance rendues par l’Allemagne en 2015-2016-2017, près de 517 000 ont délivré un statut de réfugié, les autres correspondant à protection subsidiaire et quelquefois à une décision humanitaire.

En Allemagne, ceux qui ont obtenu le statut de réfugié ont trois mois, après la décision, pour demander un regroupement familial, dossier qui doit être déposé dans les consulats. Quant à ceux qui n’ont obtenu qu’une protection subsidiaire, le regroupement familial a été suspendu pendant deux ans, sauf situation exceptionnelle. Il vient d’être réintroduit en août 2018, avec un quota ne pouvant excéder 1000 par mois.

L’Allemagne a dû renforcer son personnel dans les ambassades et consulats des régions touchées par la guerre en Syrie, compte tenu des temps d’attente. Le nombre de visas délivrés pour le regroupement familial en Syrie et en Iraq a doublé en 2016 par rapport à 2015 (50 000 contre 25 000) et il aurait été de 17 000 pour le seul premier trimestre 2017.

La Suède a rendu 126 000 décisions positives en trois ans, dont plus de 60 % ont été une protection subsidiaire, laquelle n’a offert une possibilité de regroupement familial qu’en cas de demande déposée avant le 24 novembre 2015 (date à laquelle ont été prises de nouvelles dispositions). Pour les demandes postérieures, le regroupement familial a été exceptionnel.

graph six

Une crise migratoire derrière nous ?

Si certains pays comme la Suède sont sortis de la crise de l’asile, au sens étroit du terme, d’autres y entrent, sans atteindre les niveaux connus en Suède, à cause des mouvements secondaires des déboutés de l’asile. C’est ce qui se passe en France, avec une intensité réduite, il faut le souligner. 125 000 en 2017, ça reste très inférieur, en termes relatifs, aux 156 110 premières demandes d’asile reçues par la Suède en 2015. Ce qui représenterait en France plus d’un million de personnes !

On a tendance à dire que la crise migratoire est derrière nous, mais les effets se font et se feront sentir encore pendant des années. Tous ces nouveaux étrangers, pour beaucoup des jeunes hommes, qui se retrouvent en Europe et ont obtenu un statut sont et vont continuer d’être à l’origine de flux, légaux cette fois, même si certaines limites au regroupement familial ont été posées, comme en Allemagne et en Suède. Ces étrangers forment des diasporas qui sont des économiseurs de coûts pour les candidats à la migration.

>> Retrouvez Michèle Tribalat sur son blog



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Démographe. Retraitée depuis 2015, Madame Tribalat continue à s’intéresser au phénomène migratoire, notamment sur son site http://www.micheletribalat.fr

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