« Le monde est stable à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils veulent, et ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. (…)Et si par hasard quelque chose allait de travers, il y a le soma. » C’est ainsi qu’Aldous Huxley décrivait Le meilleur des mondes et le rôle capital qu’y jouait un anxiolytique puissant dans le maintien de l’ordre social. Si Huxley fixait la date de sa société future en l’an 632 après Ford, soit dans les environs du XXVIème siècle, c’est le 15 octobre 2015 qu’un décret paru au Journal Officiel, qui a soulevé assez peu d’échos au bout du compte, nous en a rapprochés singulièrement : les consommateurs de cannabis pourront désormais s’acquitter d’une simple amende auprès de la police et échapper au tribunal, ce qui, d’après L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, ressemble à une dépénalisation déguisée pour « 4,6 millions de consommateurs occasionnels et 700 000 consommateurs quotidiens ».[access capability= »lire_inedits »]
En dehors d’Huxley, un certain nombre d’écrivains de SF ont pensé que l’usage de la drogue était le meilleur auxiliaire de police possible dans une société vécue comme insupportable et postulé qu’il n’y avait pas de raison pour le pouvoir de se priver des camisoles, chimiques ou autres, plébiscitées par les consommateurs eux-mêmes. Dans Le dieu venu du Centaure le D-Liss, Philip K. Dick, lui aussi un géant de la science-fiction, imagine une drogue qui permet à des colons envoyés sur des planètes hostiles de vivre par procuration des aventures intenses grâce à des petites figurines et des jouets miniatures. Voilà qui ressemble furieusement aux jeux vidéo dans un roman qui date de cinquante ans. Et comme pour lui donner raison, selon une enquête de l’Inpes[1. Inpes : Institut national de protection et d’éducation pour la santé.] publiée au début de l’année, nombre de psychiatres estiment que pour l’adolescent « confronté à la dureté du réel et son culte de la performance, le jeu peut constituer une solution, une sorte d’antidépresseur ».
On voit en fait que le discours libérateur de la beat generation sur la drogue comme moyen d’explorer de nouveaux univers a été assez cyniquement retourné par un monde qui a tout intérêt à ce que le citoyen vive dans une réalité altérée, ce que Huxley, encore lui, formulait ainsi dans Retour au Meilleur des Mondes : « Si le soma n’existe pas encore, d’assez bons produits de remplacement pour certains de ses aspects ont déjà été découverts. Il existe aujourd’hui des tranquillisants, des hallucinogènes et des stimulants à bon compte, physiologiquement parlant. »[/access]
*Photo: Pixabay.
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