Drieu sur le divan


Drieu sur le divan
Dessin : Drieu La Rochelle par Soleil
Dessin : Drieu La Rochelle par Soleil
Drieu la Rochelle (1893-1945) a tout fait pour heurter ses semblables. Sa vie ratée d’abord. Une succession d’emballements pour les causes les plus mortifères suivie de phases d’introspection à la limite du pathétique. Son parcours politique est l’expression même d’un être flou, sans attaches, sans consistance. Une enfance déclassée pousse parfois à ce genre d’excès, cette recherche effrénée de force, de virilité, les atours factices d’un incurable mal intérieur. Dans cette obstination à se tromper de camp, il aura été d’une grande constance. Jusqu’à la fin, il n’aura pas retourné sa veste vert-de-gris bien qu’il ne croyait plus du tout aux vertus régénératrices du nazisme. Le dénouement serait impitoyable. Il en acceptait le prix quoique sa petite nature ne le pousse guère à l’héroïsme. Par le passé, son corps l’avait si souvent trahi dans le lit de ses maîtresses et ailleurs. Les derniers instants, il en était même réduit à idolâtrer le camarade Staline.

Reconnaissons cependant que Drieu n’a pas préparé sa sortie dès 1942-1943 comme tant de ses confrères. Mouillés jusqu’au cou, certains ont réussi à trouver de robustes canots de sauvetage et à se refaire une virginité médiatique après-guerre. Le monde des lettres, à quelques rares exceptions, n’avait pas particulièrement brillé par son refus farouche de collaborer. On publiait, on filmait et on déclamait joyeusement à Paris, kapitale des arts. Le personnage Drieu fascine donc autant par sa médiocrité que par son immense talent d’écrivain. Le Feu follet brûle encore dans nos têtes. Lire Drieu à l’adolescence, c’est prendre l’ascenseur pour l’échafaud.

L’historienne Aude Terray, après avoir consacré un livre à Claude Pompidou et à Madame Malraux (prix Geneviève Moll de la biographie 2014), raconte Les derniers jours de Drieu la Rochelle aux éditions Grasset. Entre le 6 août 1944 et le 15 mars 1945, entre l’échec du premier suicide de l’avenue de Breteuil et celui réussi de la rue Saint-Ferdinand, Drieu ressasse ses échecs, s’en délecte jusqu’à plus soif. La biographe réussit grâce à un style ramassé et rythmé, avec la nécessaire perspective historique pour comprendre cette période, à cerner une personnalité plus que trouble. On touche du doigt l’immense gâchis d’un auteur promis à une belle carrière qui se sera perdu dans ses méandres. Avoir été au firmament de la littérature et terminer sa vie, caché par ses femmes tel un vieil enfant, un destin ironique pour celui qui « s’est rêvé européen sous la coupe nazie ».

« Le fourvoyé se déteste et déteste l’Histoire » assène Aude Terray. Il avait choisi le fascisme, le PPF de Doriot et l’occupant allemand comme on s’amourache d’une fille facile, par une sorte de gloriole funeste. Fasciné par sa propre faiblesse, il n’a jamais su combattre sa mollesse de caractère. Il connaît trop ses errements, ce besoin de parader, d’admirer toute forme de puissance pour s’extraire pleinement de son cloaque personnel. « Il a aimé le luxe et les femmes riches. Colette Jéramec, Victoria Ocampo et Christiane Renault ont été ses mécènes » souligne-t-elle. Avec beaucoup de justesse et d’allant, elle saisit la vérité de Drieu dans le paysage très encombré des écrivains compromis. On est au cœur des procès d’épuration et les volte-face de la Libération. Les luttes à la NRF et les portraits croisés de Malraux, Brasillach, Paulhan sonnent très justes.

Qui était vraiment Pierre Drieu la Rochelle ? Cette biographie romancée très agréable à lire permet d’accéder aux mystères de cette âme damnée. « Ses rêves de puissance et de perfection ont sombré. Trahi par la mort. Dépassé par la vie. Il se déteste en déserteur de l’Histoire » écrit-elle.

Les derniers jours de Drieu la Rochelle

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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