Les mythologies littéraires continuent leur long travail de sape. La mondialisation n’y changera rien. Plus elle récure, nettoie, efface à la javel le moindre signe de vie, de dissidence, plus les réprouvés font de la résistance. Les écrivains bannis des lettres repoussent comme de la mauvaise herbe. Ils reviennent au galop piétiner nos « belles » valeurs, faire exploser notre « humanisme » en peau de lapin. Ce sont des salisseurs de mémoire. Avec eux, on respire enfin l’air de la discorde, des combats perdus, des âmes en peine. Ce parfum enivrant de la défaite. Les vainqueurs de l’Histoire nous débectent toujours un peu dans leur uniforme de bon samaritain. Le désespoir est plus salvateur que la victoire. Il y aura toujours dans une achélème mortifère ou dans une campagne désolée, un jeune homme qui lira dans le creux de la nuit, quelques auteurs couverts de déshonneur. Avec Drieu, Morand, Céline, Chardonne et consorts, les puritains s’étranglent. Leur prose fielleuse ravive les vieilles plaies. On ne se débarrasse pas si impunément des stylistes.
Les derniers jours de Drieu la Rochelle fascinent
Politiquement, ils eurent tort mais artistiquement raison. Lâches, fourbes, médiocres et sublimes à la fois. Les derniers jours de Drieu la Rochelle fascinent nos plumes actuelles fatiguées de se fader les mémoires des animateurs télé. Après Aude Terray chez Grasset, c’est Gérard Guégan qui s’y colle dans une fable éblouissante de références et de sincérité. Dans « Tout a une fin, Drieu » paru chez Gallimard, Guégan déploie son savoir-faire littéraire et il est grand. Ceux qui ont la chance de le lire chaque week-end dans les colonnes de Sud-Ouest, savent la pertinence et la profondeur de ses jugements. Ce procureur impitoyable qui a l’élégance d’écrire encore en français fait partie des derniers mohicans de la presse quotidienne régionale. Ecrivain, critique, inlassable passeur de livres qui perdure, surnage dans un océan de médiocrité. En Aquitaine, il garde le cap du style, seul aiguillon possible dans une société sous naphtaline. Sans se laisser émouvoir par les flonflons de la Libération, Guégan invente une autre fin pour Drieu et convoque ses maitres à penser dans un réquisitoire flamboyant. L’homme à femmes, passé du doriotisme au stalinisme, revenu à Paris, n’a plus que son pardessus de grosse laine anglaise pour donner le change. Il le portait lors du voyage d’octobre 1941 de la Propaganda Staffel. Durant cette nuit, Drieu est enlevé par un groupe de résistants en bordure de Parti. Il sera jugé devant ce drôle de tribunal populaire mené par un certain Marat, double de Roger Vailland. Il devra répondre de ses actes, en l’occurrence de ses écrits. Dans ce face à face, digne des meilleures pièces de théâtre (metteurs en scène, jetez-vous dès maintenant sur l’achat des droits !), Guégan met de la chair sur les mots, du vitriol sur les idées.
Drieu pitoyable se laisse porter, comme à son habitude, par les événements. Toujours spectateur de sa propre déchéance, il se complaît dans l’autodénigrement. « Mettez ça sur le compte de ma mollesse » lui fait dire Guégan qui exécute là, un portrait psychologique criant de vérité. On se régale des saillies, des mots d’esprit et de cette atmosphère de jugement dernier. « Les professeurs d’université, les officiers supérieurs, les académiciens, les critiques littéraires, toutes ces figures de papier mâché qui se sont pensées au-dessus de lui sans jamais faire preuve de savoir, d’audace, de créativité, Drieu les a vomies, et il les vomit encore davantage à l’approche de la mort » tonne-t-il d’une verve libératrice. Entre Marat et Drieu, une connivence s’installe, l’amertume des écorchés est un puissant rassembleur qui va bien au-delà des camps. A lire d’urgence !
Tout a une fin, Drieu, une fable de Gérard Guégan, Gallimard, 2016.
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