Porcs-épics, belettes et renards écrasés, vous êtes bien sur la route de Dreux. Nationale 12. En pleine campagne. Les champs se succèdent quand, soudain, trois tours HLM couronnent la cime des arbres. Ci-gît une ville de banlieue à 100 kilomètres de Paris. Ancienne cité gauloise, Dreux a longtemps été un point d’accès au royaume de France, mais la porte a cédé, et la ville est aujourd’hui peuplée à 40 % d’étrangers. « C’est Sarcelles », « Fais attention à toi ! », tels sont les encouragements prodigués à quiconque projette de s’y aventurer. La ville de 31 000 habitants est aujourd’hui plus connue pour être l’une des plaques tournantes nationales du trafic de drogue que pour la chapelle royale qui la domine du haut d’une colline. Entourée de plateaux, Dreux est un creux, pas seulement géographique. Près d’un habitant sur quatre est au chômage, et l’écart entre les revenus les plus hauts et les plus faibles y est presque deux fois plus important que dans l’ensemble du pays. En 2010, elle était même classée dixième ville la plus pauvre de France.
Si la France entière connaît le nom de Dreux, c’est parce que, il y a trente ans, le Front national y réalisait sa première véritable percée. Nous sommes le 4 septembre 1983, et à Dreux, c’est jour d’élection municipale, celle du printemps précédent ayant été invalidée. Le « tonnerre de Dreux » résonne sur la France : la liste menée par Jean-Pierre Stirbois, numéro 2 du FN, recueille plus de 16 % des voix – un score qu’on trouverait aujourd’hui faiblard ! [access capability= »lire_inedits »] C’est assez pour inquiéter la droite classique et inaugurer une alliance RPR-FN qui emporte la mairie, dix élus FN intégrant la majorité municipale. Premier avertissement. La gauche n’a pas encore fait du FN son principal fonds de commerce électoral – ni congédié le prolo. Un an avant la création de SOS Racisme, l’antifascisme d’opérette que l’on connaîtra ensuite est à peine balbutiant. Certes, à Paris, les people commencent à s’offusquer : Yves Montand, Simone Signoret, Simone de Beauvoir… À Dreux, quelques enjoués brisent des vitres à coups de « Stirbois salaud, le peuple aura ta peau ». Un accident suffira : en 1988, Jean-Pierre Stirbois, 43 ans, meurt au volant.
Deuxième avertissement seize ans plus tard, en 1999 : invitée par le maire RPR de la ville, Gérard Hamel, à enquêter sur place, Michèle Tribalat, démographe à l’INED (Institut national d’études démographiques), publie son bilan. Dans Dreux, voyage au cœur du malaise français, elle décrit une ville en proie au morcellement ethnique où le racisme « antiarabe » et son double mimétique, le racisme « antifrançais », organisent la vie sociale. Vexé, le maire et commanditaire rejette férocement des conclusions « partisanes » qui, selon lui, « remettent en cause la crédibilité de l’étude ». « Nous avons affaire, là, à des affirmations gratuites qui ne reposent sur aucun fondement », écrit-il dans la postface. Il est même convaincu que Dreux sera « l’Exemple français ». Avec un grand « E ». Il est toujours maire de Dreux, mais on ne saura pas s’il pense toujours que sa ville est un modèle pour la France, nos demandes de rendez-vous n’ayant pas reçu de réponse, même négative.
Dreux , c’est la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf. En 1943, quand Christian Lévêque, 77 ans, agent d’assurances en retraite, s’y installe, ce n’est qu’ « une petite ville de province, qui ne compte pas plus de 14 000 habitants », se souvient-il. Mais à partir des années 1950, elle s’étend, et s’enfle, et se travaille. Les maires successifs œuvrent à transformer la ville, qui n’abritait que quelques fonderies,
