Malheur à la ville dont les princes sont des adolescents. Bennasar, lié à DSK dans une conjuration de hasard (cette providence des imbéciles), nous en administre une preuve. Quel meilleur moment, en effet, pour publier ses Catholiquaires, que celui où le roi des libertins tombe sous le coup de ses pulsions qu’aucune éducation ne lui a appris à réfréner ou que l’usage du pouvoir a définitivement délivrées de toute entrave morale ? Quel sens de l’à-propos que celui de Bennasar et comme les Iraniens jouiraient, s’ils en avaient connaissance, de l’ajout de cette pièce au dossier déjà chargé de la condamnation de l’Occident judéo-croisé dégénéré. Que DSK ait gardé de sa trique d’adolescent sinon la vigueur, au moins le souvenir puissant, voilà qui devait réconforter les identitaires lubriques façon Cyril-le-menuisier. Jusqu’à aujourd’hui. Car nul ne doute que Bennasar condamne aussi vigoureusement qu’il chevauche ses dulcinées le viol de l’employée du Sofitel. Le problème est qu’il ne voit pas de de relation de cause à effet entre sa diatribe soixante-huitée et le comportement présumé coupable de l’ancien maître du monde.
Revenons un peu en arrière, c’est-à-dire vers l’an 0 de notre ère. Bennasar, pour peu qu’il eût réussi à s’introduire parmi les dominants, y eut été assurément heureux. L’homme en tant que mâle n’était alors pas trop éloigné du singe – quoiqu’il ait déjà une bite largement plus volumineuse. Il mariait qui il voulait et il répudiait quand il le souhaitait. Dans certaines civilisations qui s’imposèrent à nous, il n’avait même pas besoin de recourir bêtement à l’IVG, il lui suffisait de refuser l’ennuyeux rejeton que lui présentait la femme qu’il avait tronçonnée neuf mois plus tôt pour qu’on l’en débarrassât incontinent. Dans certaines autres, il pouvait user à son gré de la prostituée de service et la lapider lui-même une fois qu’elle était hors d’usage. La liberté de mœurs qui n’a pas été inventée par Cohn-Bendit – désolé de te décevoir, Cyril – était telle qu’on pouvait pédéraster sans se croire obligé de se marier. La liberté de jouir si intense qu’on fabriquait sans vergogne des eunuques qui surveillaient mieux ta femme en ton absence que ton meilleur pote que son gros paquet parfois aussi démange. L’amour, cet emmerdant phantasme de magazines féminins, n’existait pas – ou si peu. À la donzelle dont la mère ou le chaperon avaient conservé autant que possible la virginité pour satisfaire le plaisir de domination du mâle qui la prendrait avec la dot, nul ne demandait si elle était amoureuse. Pour tromper son ennui de sensitive préromantique, elle se pouvait se raconter les Mille et Une nuits sa vie durant. Enfin la jouissance était sacrée, elle faisait office de religion et procurait des transes que le moderne va maintenant chercher ailleurs.
Ah ! comme les églises seraient pleines si, comme en ces temps bénis dans les temples, on y organisait force orgies, lupercales et autres bacchanales. Bennasar serait au premier rang, prêt à oublier, pour un cul baalique ou astartéen, les paroles de YHWH que sa maman lui aurait pourtant apprises entre six et sept ans. Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi.
Ah, quelle belle époque que celle-là où trousser une domestique était un acte d’hygiène. Qu’on y était gaillard, gaulois, vaillant, conquérant. Pas comme sous ce régime de chrétienté qui a fait de nous des peine-à-jouir, des châtrés, des demi-hommes. Bennasar retrouve d’ailleurs dans cette analyse aussi bien Zemmour que Soral, Nabe que Dantec, ces Adonis au braquemart toujours levé à qui suffit un battement de cil pour séduire la gonzesse de passage. Quatre expressions de la puissance occidentale accomplie, en quelque sorte.
Et voilà la réalité : Bennasar, qui réclame de l’Occident chrétien le bouclier, ne comprend pas le christianisme dont le dernier mot est la protection des faibles – de tous les faibles. Le reproche qu’il fait aux cathos de gauche soucieux du destin des immigrés est dans ce sens le même que celui qu’il fait aux cathos de droite lorsqu’ils songent à l’enfant à naître.
C’est sans doute ça, « l’ordre moral ». Mais nous, nous n’oublions pas qu’il y a un ordre plus violent que l’ordre moral, qui est là depuis le commencement de l’humanité : c’est l’ordre du mal, celui de ces sociétés préchrétiennes et postchrétiennes que Bennasar chérit tant. Et le mot de cet ordre, c’est toujours la domination.
Voilà pourquoi, quand il crache sur les chrétiens, l’ami Cyril oublie étrangement de leur reprocher d’avoir donné un statut aux femmes. Il devrait se demander pourquoi nous autres ne couvrons pas nos femmes, pourquoi nous ne les marions pas contre leur gré, pourquoi ne les répudions pas ni ne les lapidons, pourquoi elles jouissent de leurs pleins droits d’adultes (fors durant l’infâme période qui va de Bonaparte aux années 70), pourquoi elles ne sont pas des objets à prendre quand bon nous semble, enfin.
Pourquoi nous les aimons tant que nous ne nous résolvons pas à les battre ni à les tromper. C’est ainsi que comme disait mon ami Robert qui est plus anarchiste que Bennasar parce que plus chrétien : « Chaque jour ma femme m’affame, et sa chatte m’enchante ».
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