Son dernier album, Tirer la nuit sur les étoiles, est un diamant noir qui mélange l’esthétique glam et celle du terrain vague.
Tirer la nuit sur les étoiles, le douzième album d’Etienne Daho, qui est sorti le 12 mai, comprend douze chansons. Douze, un nombre très symbolique : les 12 apôtres, les 12 coups de minuit, les 12 travaux d’Hercule ou le 12 ésotérique, nombre maudit, qui représente le Pendu dans le Tarot de Marseille… L’ombre et la lumière, à l’image d’Etienne Daho.
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Tirer la nuit sur les étoiles est un titre qui est inspiré d’un documentaire qui retrace les amours de Sinatra et d’Ava Gardner. Daho a toujours eu le génie des titres, ceux qui claquent : Blitz, Eden, Mythomane, et ceux qui nous racontent déjà une histoire : Chansons de l’innocence retrouvée. Il possède également le génie de la pochette de disque : la plus connue, celle qui a fixé pour l’éternité l’éternel jeune homme : la photo de Pierre et Gilles, marinière à la manière de Querelle, de Fassbinder, et perroquet sur l’épaule, pour l’album qui le consacra petit prince de la pop : La notte, la notte.
Couverture de son dernier album, Tirer la nuit sur les étoiles, et de La notte, la notte sorti en 1984.
Ambiance Trainspotting
Pour son dernier opus, il dit avoir eu l’envie de reconstituer une ambiance à la Trainspotting : poser dans un costume glam, mais dans un terrain vague. Cela le représente bien : le glamour et la poussière. À la Oscar Wilde. Car Etienne Daho est un Dorian Gray qui aurait signé un pacte avec les anges ; il ne vieillit pas, et sa fraîcheur et sa sincérité restent intactes.
Pourtant, il a eu mille vies. Il a enjambé des cadavres lorsqu’il rentrait de l’école, à Oran, pendant la sale guerre, a dîné en compagnie de Saint Laurent et de Sagan ; Warhol a dessiné sur un de ses tee-shirts, perdu depuis, dans un de ses nombreux déménagements, preuve pour lui que tout cela n’a pas vraiment d’importance, car seule la musique compte. Il confie même, dans un documentaire, Daho par Daho, en 2019, que sans elle, il serait mort. Sa légèreté n’est qu’apparente, c’est la politesse du désespoir, selon l’expression consacrée.
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Venons-en à la musique de ce dernier opus. J’ai longtemps tourné autour du sujet de ce dernier Daho, son omniprésence dans les médias me faisait peur, je ne voulais lire aucun article, et surtout pas ceux de la presse spécialisée. Les commentaires des critiques musicaux des réseaux sociaux me rendaient folle : on ne touche pas à Daho, on ne décortique pas ses chansons comme on le ferait avec des rats de laboratoire ! J’ai juste glané quelques informations indispensables pour pouvoir vous en parler. 1) La plupart des chansons de l’album ont été enregistrées à Abbey Road, le célèbre studio des Beatles 2) Il donnera des concerts à Paris en décembre, et 3) la production de Tirer la nuit sur les étoiles, est, comme à l’accoutumée, somptueuse…
Ne vous moquez pas de son filet de voix!
J’ai cependant trouvé une porte d’entrée en écoutant une émission de France Culture : Affaires Culturelles. Il raconte avoir hérité de son père sa voix un peu sourde, si souvent moquée, pourtant si parfaitement articulée et posée lorsqu’il chante sur scène. Son père, qui comme lui s’appelait Etienne, a déserté le foyer familial lorsque son fils avait cinq ans. Ce fut la blessure originelle, qui lui a cependant permis de transformer le plomb en or.
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Il est devenu celui qui a fait se rencontrer le meilleur de la pop anglo-saxonne (Syd Barrett, le maudit des Pink Floyd, est son héros), et les yéyés. « Quand j’aime une musique, je me fous du genre, et c’était très mal vu dans ma jeunesse, où tout ce qui n’était pas du rock était de la merde. » Et c’est en cela qu’il est absolument unique, c’est un alchimiste. Il a inventé un genre et un son. Celui qui interpréta magnifiquement le poème de Genet : Sur mon cou, mis en musique par Hélène Martin, est également un amoureux des mots, un chanteur « à textes » et cela, nous l’oublions trop souvent. Jusque dans ses chansons les plus légères, comme Tombé pour la France, où avec les mots les plus simples, il décrit merveilleusement la quintessence des amours adolescentes : « Pour te voir, cinq minutes encore à Sables d’or près des dunes, je te raconterai n’importe quoi. » L’ordre des chansons, dans chacun de ses albums, est pour lui extrêmement important. Il raconte des histoires, qui sont toujours des histoires d’amour, forcément autobiographiques, car à l’amour, celui qui fait se sentir vivant, il ne renoncera jamais.
Tirer sur les étoiles, bien sûr, ne parle que de cela. Ce n’est pas un album dans lequel on entre facilement, il faut plusieurs écoutes pour s’imprégner des diamants noirs que sont les chansons qui le composent, sous fond de pop orchestrale à la Burt Bacharach, où les sections rythmiques s’invitent peu à peu, pour provoquer cette sensualité à la fois discrète et lyrique, sa marque de fabrique musicale. Il y chante l’amour comme personne, entre la midinette et la tragédie. Chez lui, il ne se finit ni bien ni mal. Il est incarné dans sa plus pure vérité : souvent impossible et inachevé. Comme dans la plus grande littérature. D’ailleurs, le dernier titre de l’album, pour moi le plus beau, s’intitule : Roman inachevé. « Et tu me hurles à mi-voix, un je t’aime que je n’entends pas »…
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