Après le Samedi noir, et après le soutien timide des Français pour son pays d’adoption, Israël, petite démocratie isolée et cernée d’ennemis, notre contributrice se pose bien des questions.
J’ai quitté la France pour Israël il y a dix ans. Malgré une éducation ancrée dans les valeurs juives et sionistes, mon départ a principalement été motivé par les logiques insondables du cœur. L’homme qui allait devenir mon mari est israélien, ne parle pas un mot de français. Bien qu’émerveillé par l’architecture grandiose de notre chère capitale, il ne se retrouvait pas dans un Paris où il est compliqué d’aller acheter son pain quand on ne parle pas la langue de Molière. Nous avons donc décidé, disons-le, un peu à reculons pour ma part, de nous établir à Tel Aviv, ville dynamique certes, mais aux antipodes de mon Paris policé, où vie culturelle foisonnante, gastronomie alléchante et Mode avec un grand M remplissaient mon quotidien de bobo patentée. Les années passant, un mariage et deux enfants à mon actif, la France me manquait encore et toujours. Je n’ai pas fait partie de ces Français installés en Israël qui clamaient leur retour sur la terre de leurs ancêtres, tentant de s’intégrer à une population israélienne, faite d’un tout informe où multiples cultures s’imbriquent bon an mal an pour faire société. Moi, je suis restée attachée à ma francité, la revendiquant dans toutes les strates de mon quotidien, jusqu’à tendre parfois vers le ridicule. Dans ma manière de me vêtir d’abord : qui a déjà passé quelques jours à Tel Aviv sait que déambuler dans les rues de la ville en talons vous colle immédiatement l’étiquette de touriste (“Les Israéliens sont des ploucs, je ne me plierai pas au diktat de la tong”…). De me nourrir ensuite (“Quoi! ça du fromage? Nawak, c’est plutôt un pot de yaourt”). Et dans mes rapports sociaux évidemment (“pfff, la politesse et les Israéliens, ça fait dix”). La France a irrigué mon quotidien pendant toutes ces années passées chez les “sabras”, branchée à France Culture ou France Inter selon les jours, à l’affût du moindre film français programmé à la cinémathèque, présente à toutes les manifestations culturelles françaises se déroulant dans les environs. Je rentrais en France – et je dis bien “rentrais”, car c’est le verbe qui spontanément me vient aux lèvres- tous les trois mois, pour me ressourcer, et remplir mon chez moi de produits de première nécessité : dentifrice, tampons, fromages. Bref, n’importe quoi me donnant l’illusion d’avoir toujours un orteil posé dans notre chère patrie. Jour après jour, j’ai bataillé pour prodiguer à mes enfants bi-nationaux une éducation française aussi marquée que possible: “On baisse ses genoux quand on est à table, mon ange”. Ancrer la bienséance à la française chez un petit être israélien, c’est une bataille de tous les jours, croyez-moi ! J’ai dépensé tous mes deniers à coups de cours de français, abonnement aux revues comme “J’aime Lire” et autres outils renforçant un français déjà truffé de fautes de syntaxe (“Quoi on mange ce soir maman?”… Au secours!). Et tous ces efforts pour faciliter le doux rêve d’un possible retour en France. Formulé comme ça, je me ferais arracher les yeux par l’Agence Juive (“figure of speech”, évidemment, je ne voudrais pas être la source d’une fake news accréditant la thèse que Hamas et État d’Israël, c’est kif-kif…). Mais oui, il y a en moi le rêve, formulé à demi-mot, de voir mes enfants s’installer en France à l’âge adulte, faisant alors le choix de l’élégance et du bon goût. Il fallait donc les y préparer à tout prix. Mais aujourd’hui, ce rêve est-il encore possible ?
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Depuis le 7 Octobre, le doute me traverse et il fait mal. Mes enfants pourront-ils vraiment s’établir dans un pays où l’on tague des étoiles de David sur les frontons de maisons qu’on sait juives ? Pourront-ils vivre en paix dans un pays où l’on sonne à la porte d’un appartement marqué d’une memouza ? Est-il possible de s’établir là où une partie de la gauche se refuse obstinément à qualifier le Hamas d’organisation terroriste suite aux indicibles horreurs du 7 Octobre ? Après ce Samedi noir, bon nombre de mes amis en France ont manifesté leur inquiétude pour moi et mes proches. Je les en remercie infiniment. Mais d’autres, à ma grande déception, sont restés quasi-muets. Au mieux, j’ai reçu de leur part des “ça va?” brefs, qui ne manifestaient aucune désolation face à l’étendue de l’horreur. Comme s’il était impossible, voire dangereux, de marquer son empathie quand Israël est à terre. Alors je retiens mon souffle depuis le 7 Octobre. Comme habitante d’un pays – Israël – dont l’existence et la sécurité – sont sans cesse remises en cause. On a tendance à oublier la géographie minuscule de ce pays. Gaza, c’est à peine à 70 km de Tel Aviv. Quand on dit que l’horreur est arrivée dans le Sud, entendons-nous bien, le Sud, c’est en bas de la maison, en bas de chez nous tous. Comme Française juive et expatriée aussi – puisque je me sens déniée dans mon droit de rentrer en France et d’y vivre en sécurité. Ma bonne amie Blandine me rappelait la dernière fois, sur une de ses notes vocales à rallonge qu’elle adore me laisser tard le soir et moi lui rendre, vie de famille surchargée oblige! : “Ton pays, c’est la France! Tu es née ici, tu as grandi ici. Israël ou pas, tu es la plus parisienne des bobos parisiennes que je connaisse !”. Le 12 novembre, environ 180 000 personnes ont marché en France, contre l’antisémitisme. Malgré l’absence remarquée d’un certain Emmanuel Macron, les images de cette foule, calme et digne, m’ont émue. Douce France, il y a peut-être de l’espoir. Ton peuple se lève et marche contre la haine du peuple juif car il sait que “toucher à un juif, c’est toucher à la République” pour reprendre les mots de Jacques Chirac, répétés ensuite par moult ministres. Mais dès le lendemain, ce vague espoir est retombé comme un soufflet. La foule était là, mais quelle foule? Quels groupes de la population ont manifesté et qui est resté chez soi ? Surtout, ce sursaut sera-t-il suivi d’effets, de changements? Marches, comités de réflexion, commissions et rapports, la France sait faire. Mais va-t-elle agir? En a-t-elle le courage? Au vu de la constante montée de l’ antisémitisme en France depuis l’éclatement de la Seconde Intifada et la triste léthargie gouvernementale face à ce problème, j’en doute. Rappelons que depuis l’année 2006, onze personnes sont mortes sur le sol français parce que juives (Ilan Halimi, Jonathan – Gabriel et Ariel Sandler, Myrian Monsonego, Yohan Cohen, Philippe Braham, François Michel Saada, Yohan Hattab, Sarah Halimi et Mireille Knoll). Alors Douce France, cette marche contre l’antisémitisme, elle était belle, mais qu’en restera-t-il, à part de jolies photos pour les livres d’Histoire, si tant est que l’on puisse encore aborder ce sujet à l’école ?
Douce France, je commence à me dire, la mort dans l’âme, que mes enfants n’ont plus leur place en ton sein. Moi qui caressais le doux rêve de revenir un de ces quatre, suis-je condamnée à l’exil ? Je t’implore de me prouver le contraire.