Il n’aura fallu que d’un coup de feu pour que la France s’embrase… Céline Cléber, haut-fonctionnaire et plume de droite, décrit dans un roman sa vision d’une (inévitable?) rébellion des banlieues de notre pays… Et plonge aussi son lecteur au cœur du pouvoir, pour comprendre le fonctionnement de ces services de l’État qui laissent agir ceux qui ont la haine de la France… Mais rassurez-vous, ce n’est que de la littérature…
Par une belle soirée d’été, Mohamad, jeune beur désœuvré en mal de reconnaissance de la part de ses pairs, met la main sur un pistolet et décide de s’en prendre aux « kouffars » de la petite église de son quartier de Bagneux en banlieue sud de Paris. Quand il se retrouve nez à nez avec le jeune curé chaldéen de la paroisse, plus personne ne peut l’arrêter et il abat le prêtre à bout portant. La police surgit, des coups de feux sont échangés et un jeune de la bande est tué. Immédiatement, les banlieues s’enflamment, les armes sortent des caves et plus rien ne peut arrêter la guerre civile, pas même les forces de l’ordre, rendues impuissantes par la lâcheté, le cynisme et l’incompréhension des pouvoirs publics face aux évènements. Telle est la trame du premier roman de Céline Cléber, haut-fonctionnaire évoluant dans les hautes strates du pouvoir et manifestement bien informée du fonctionnement des services du ministère de l’Intérieur.
Vous n’aurez pas de sitôt le loisir de lire un compte-rendu de cet ouvrage dans Le Monde, Télérama et autres fleurons de la presse vivre-ensembliste, qui préféreront toujours faire la promotion de n’importe quel navet pour peu que celui-ci récite le catéchisme de la religion diversitaire. C’est bien dommage, tout d’abord parce que Céline Cléber fait montre dans ce premier opus de qualités littéraires tout à fait exceptionnelles. À la manière de nos plus grands écrivains du XIXe siècle, l’auteur décortique minutieusement les ressorts de l’embrasement à venir et analyse très finement les ressorts de l’âme humaine et les jeux d’acteurs, sans jamais sombrer dans le manichéisme, qu’il s’agisse des jeunes musulmans de nos banlieues en panne d’assimilation, des hommes politiques, des hiérarques des services de l’État, des agents des forces de l’ordre et des magistrats. Elle nous présente une galerie de personnages imprégnés à des degrés divers d’un besoin de considération sociale, et inégalement armés pour résister aux petites lâchetés et compromissions à la tentation desquelles les aléas de l’existence les exposent.
Certains passages relèvent probablement, de la part de l’auteur, de l’introspection : on songe à cet égard à un chapitre, situé presque à la fin de l’ouvrage, où l’auteur relate par le menu un dialogue entre Fabrice Luchini et un préfet de la République, dialogue dont on ne sait pas très bien jusqu’à quel point il est réel ou imaginaire, mais dont le contenu reflète les doutes et les craintes qui ne peuvent que traverser l’esprit d’un grand serviteur de l’État profondément animé du désir d’œuvrer pour le bien de son pays et soucieux du devenir de celui-ci.
À lire aussi : Le pèlerinage d’adieu d’Omar Youssef Souleimane
L’action est située en été mais l’année n’est pas précisée. S’agit-il d’une dystopie, d’un roman d’anticipation, d’une prophétie ? Céline Cléber laisse la porte ouverte à ces trois lectures possibles, tout en indiquant qu’elle a souhaité décrire ce qui peut apparaître comme le scénario du pire afin de le conjurer. On est évidemment tenté de faire le rapprochement et la comparaison avec certains ouvrages de Michel Houellebecq, quoi que le style soit ici plus soutenu.
L’œuvre est certes de fiction, mais l’auteur, manifestement bien informée, livre au lecteur une quantité impressionnante de détails et d’anecdotes sur les jeux de pouvoir, sur le fonctionnement des services de l’État, et sur l’expansion de la mouvance islamiste. Elle décrit ainsi par le menu, par exemple, la coexistence difficile, sur le terrain, entre une association d’aide scolaire aux jeunes et la bande du quartier de Bagneux où est située une partie de l’action, et l’impossibilité pour l’association scolaire d’intervenir en direction des adolescents, sauf à prendre le risque de « contrarier » les bandes, lesquelles ont régulièrement besoin de chair fraîche et qui ne sauraient tolérer qu’on ait des velléités de soustraire à leur apprentissage intensif de la délinquance les éléments qu’elles jugent les plus prometteurs… Dans un autre chapitre du livre, Céline Cléber décrit aussi en détails comment les réseaux musulmans du pays de Gex dans le département de l’Ain tirent parti de la localisation de l’aéroport de Genève, situé à cheval sur la frontière franco-suisse, pour s’approvisionner plus facilement en armes et en cash en provenance de pays du Moyen-Orient au nez et à la barbe des douanes helvétiques et françaises.
Certains des personnages de ce roman font inévitablement penser à des acteurs connus du théâtre politique, du présent ou du passé récent. Un choix que l’auteur assume pleinement : « C’est que la vie, en particulier la vie politique, est parfois plus romanesque et plus rocambolesque que la littérature », écrit-elle en avant-propos. Le chef de l’État au moment des évènements est décrit comme un homme jeune et moderne, qui avait gagné beaucoup d’argent chez un banquier d’affaires, peu enclin à écouter ses interlocuteurs, toujours prompt à s’auto-justifier et à s’exonérer de toute responsabilité quand des problèmes surviennent, sans convictions bien arrêtées si ce n’est un « attrait pour les évolutions sociétales les plus débridées » : toute ressemblance avec l’actuel locataire de l’Élysée serait évidemment fortuite… Faut-il en conclure que l’auteur situe l’action de son roman avant l’expiration du mandat présidentiel en cours ?
Céline Cléber. Douce France, éditions du Toucan, 2025. 426 pages
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !