Directrice d’école et élue LR en Seine-et-Marne, Dorothée Moureaux a été suspendue suite à un tweet dénonçant l’antisémitisme musulman. Dans son propre intérêt, soutient l’Education nationale, approuvée par la justice administrative.
L’histoire commence le 16 février 2019. Dorothée Moureaux, 58 ans, conseillère municipale LR à Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne), directrice d’école élémentaire dans la même commune, conseillère du grand Paris, réagit sur son compte Twitter aux insultes antisémites proférées contre Alain Finkielkraut boulevard du Montparnasse, à Paris, en marge d’une manifestation de gilets jaunes : « Un déferlement de haine envers #Alain Finkielkraut. Honte à eux. Le 19/02, rassemblement contre l’#Antisémitisme. Il est temps de mettre au pas les #musulmans qui sont les premiers à insulter les juifs. Les extrêmes de droite comme de gauche ne sont pas en reste ».
Une journaliste du Parisien repère le tweet et contacte la conseillère. Dorothée Moureaux précise sa pensée: « Quand je parle de les mettre au pas, il s’agit simplement d’appliquer la laïcité ». L’individu qui a insulté Alain Finkielkraut, précise d’ailleurs le Parisien, « est connu des services de renseignement pour avoir évolué dans la mouvance radicale islamiste ».
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Suite à l’appel de la journaliste, Dorothée Moureaux va pourtant effacer son tweet. Difficile de savoir quel aurait été son sort si elle l’avait assumé, mais il ne fait aucun doute que, juridiquement, rien ne l’obligeait à se renier. Les quatre lignes manquaient de nuances, comme tant de tweets, mais critiquer l’islam n’est pas interdit. Sur le fond, Dorothée Moureaux rappelait une évidence quantifiée par la Fondation pour l’innovation politique dans une enquête publiée en novembre 2014: « les musulmans sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne des Français à partager des préjugés contre les juifs ». Et même si Dorothée Moureaux avait tenu un propos authentiquement polémique, elle en avait le droit. Les tribunaux ont posé depuis longtemps que la liberté d’expression des élus était fondamentale, quitte à aller objectivement trop loin. La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 7 septembre 2017, a infirmé les condamnations pour diffamation d’un conseiller municipal qui avait accusé d’escroquerie, sans preuve, le maire et la première adjointe du Broc (Alpes-Maritimes) !
Lâchage en règle
Hélas, autour de Dorothée Moureaux, les supports vont être rares. La tête de liste LR aux municipales à Moissy, Christian Duez, prend immédiatement ses distances avec sa colistière, dans le Parisien : « je ne suis pas du tout d’accord avec ce discours (…) elle écrit parfois plus vite qu’elle ne pense ». Dorothée Moureaux est écartée de la liste LR. Elle est inondée de messages d’insultes et de menaces.
L’Education nationale, sans surprise, la lâche aussi. Son profil Twitter mentionnait sa qualité de directrice d’école, mais elle ne la rappelait pas dans le tweet qui a allumé la mèche. Dès le 20 février, pourtant, Dorothée Moureaux est convoquée à la direction départementale des services de l’Education nationale de Seine-et-Marne, où l’attendent la directrice académique, une inspectrice, la secrétaire générale et la directrice de cabinet du recteur. L’accusée fait valoir qu’elle a parlé en qualité d’élue, mais peine perdue, la messe est dite. La sanction tombe le jour-même : quatre mois de suspension, qui vont se transformer en bannissement à bas bruit, sous la forme d’un retrait d’emploi. Dorothée Moureaux ne retrouvera jamais de poste de directrice titulaire. Elle devient remplaçante, avec la certitude de le rester jusqu’à la retraite, une perte de revenus significative à la clé. « En définitive, mes collègues et les parents d’élèves sont ceux qui m’ont témoigné le plus de solidarité, se désole-t-elle. Je n’avais jamais eu de blâme, je crois que j’étais appréciée… » Des courriers que Causeur a consultés en attestent.
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Le 16 avril 2019, le procureur de la République de Paris lui adresse un rappel à la loi, affirmant que son tweet tombe sous le coup de la loi pénale. « Remettre au pas », ce poncif de salle des professeurs, devient une « provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence ». Comme la coupable a fait des « excuses publiques » dans une vidéo mise en ligne le 20 février, le parquet renonce aux poursuites.
Dorothée Moureaux a tenté de contester les sanctions de l’Education nationale devant le tribunal administratif, avec le concours d’un avocat marseillais, vers lequel l’a orientée la Fédération nationale de l’enseignement. Le jour de l’audience, le 17 mars 2021, l’avocat n’est pas venu. Elle a pris la parole seule devant les magistrats. Une carrière d’un côté, un tweet de l’autre, un quart d’heure pour faire pencher la balance. Rendue le 21 avril, la décision du Tribunal administratif de Melun tue le suspense dès le préambule. Les juges écrivent que Dorothée Moureaux a posté un message « stigmatisant les musulmans ». A propos des juifs, curieusement, ils parlent des « membres d’une autre communauté confessionnelle ». Hypocritement, ils relèvent ensuite que Mme Moureaux était « elle-même menacée ». Conclusion, le rectorat l’a sanctionnée pour assurer sa sécurité. Elle est déboutée. Partant visiblement du postulat que Samuel Paty suspendu serait encore en vie, l’Education nationale et la Justice recommandent en quelque sorte de se coucher très tôt. Le vrai racisme ne se nicherait-il pas dans cette vision des musulmans comme un bloc d’intolérance, incapable d’encaisser la moindre critique ?
Dorothée Moureaux l’avoue sans fard, elle n’a plus les ressources pour attaquer en appel cette décision lourde de conséquences pour elle, et préoccupante pour la liberté d’expression, en particulier dans la communauté éducative. « Quel gâchis, soupire-t-elle. Quand je pense que l’académie de Créteil cherche désespérent des directeurs et des directrices d’école ! »
Peut-être un jour faudra-t-il se demander pourquoi.
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