Stéphanie des Horts, la reine de la « high-society » revient en librairie avec le portrait d’une aventurière britannique au sang chaud
La liberté n’est plus à la mode. Elle ne fait plus recette en terre de France depuis le tournant de la rigueur en 1983. On la commente abondamment dans des colloques guindés, mais l’expérimente peu dans nos vies quotidiennes. C’est un slogan périmé pour des candidats qui n’ont qu’une seule idée en tête : nous contenir ! Surtout ne pas réveiller la bête immonde qui sommeille en nous. Suivre les règles et mourir d’ennui, voilà le dessein qui attend aujourd’hui les peuples sans sève et sans passion.
Joliment picaresque
Stéphanie des Horts est une féministe pétroleuse pour qui la liberté chérie d’écrire est une façon de relever la tête et de snober la mort. Permis de coucher ! nous dit-elle, en substance, au fil d’une œuvre délicieusement irrespectueuse. Cette année, elle vient d’entrer au jury du Prix des Hussards sous les hourras des mâles estomaqués par son esprit blagueur et son talent d’écrivain. Toutes les héroïnes de cette romancière, valeur sûre d’Albin Michel, ont un point commun : le refus des convenances et la chair éruptive. Stéphanie des Horts raconte les tourbillons d’insaisissables oisives qui répugnent à bosser 35 heures par semaine derrière un hygiaphone et à traverser la foule en anonyme. Chez ces femmes du monde, putains non-dépravées et filles de boutiquiers à l’ambition tragique, s’allonger n’est pas faire acte d’allégeance à un mari ou à une quelconque tutelle financière, c’est prendre le pouvoir à l’horizontale. C’est répondre à l’appel des corps.
Jouir de l’autre n’est pas tromper dans la haute-société britannique d’avant-guerre. Toutes ces aventurières qui chassent le milliardaire du caoutchouc ou le vicomte balourd, le professeur de tennis hâlé ou l’homme politique neurasthénique ne supportent pas qu’une autorité supérieure régente l’empire de leurs sens. La frivolité est leur domaine réservé. Elles n’ont pas à rougir des pulsions lancinantes qui les assaillent, à la nuit venue. La nature ne demande qu’à exulter pour le bien commun de tous. Stéphanie des Horts est la gardienne de leurs alcôves. Quel merveilleux message de liberté d’aimer, sans entrave, sans tabou, à l’heure où la fesse est criminalisée et qu’on défaille à la vue d’un sein dardant d’émoi. De vertueux procureurs pourraient déceler dans les récits de la romancière un dangereux alanguissement des mœurs et une forme de luxure suave qui n’est pas compatible avec la raideur de nos sociétés désormais glaçantes. Sous sa plume chaude et joliment picaresque, le téton est libéré et les chevauchées nocturnes prolongent de quelques heures une fin certaine. Quand les peaux s’aimantent, l’orgasme est un don du ciel qu’il serait discourtois de vouloir cacher. Stéphanie des Horts lève, avec grâce et piquant, le voile sur les pudeurs assassines du temps passé. Elle régale ses lectrices par des destins hors-norme où toutes les valeurs sont brouillées.
Humour et noirceur
Elle rendrait la débauche presque aimable et délectable. Cette moraliste en combinaison de cuir, Emma Peel du portrait sur mesure, s’interdit de juger toutes ces amazones. Elle leur construit, à chaque livre, une stèle en n’abusant surtout pas de réflexions bien-pensantes. On aime les livres de Stéphanie parce qu’ils ne dégoulinent pas de moraline et de sérénades pour nunuches progressistes. Elle pratique une littérature décorsetée qui met sur un pied d’égalité les hommes et les femmes sans nier leurs intimes différences. C’est culotté et salutaire, plein d’humour et de noirceur, d’élan et de tendresse masquée. Chez Stéphanie, les filles modèles sont une invention du démon, seules les garces nous poussent à la rédemption. Dans son dernier récit Doris, le secret de Churchill, l’auteur fraye à nouveau avec le gotha des Années folles et rend grâce au parcours scandaleux d’une amoureuse sans limite. On reconnaît la patte de l’écrivain, dès les premières lignes. Doris Delevingne est une sensuelle qui n’a pas vocation à contrôler son désir. C’est son principal atout. « J’aime le sexe et le sexe m’aime » avoue-t-elle, après un assaut mouvementé. « Doris était belle, elle devient pire. Une fleur du mal, dépourvue de tout sens moral, une amazone, une scandaleuse. Magnétique et frivole […] Sa sensualité déstabilise les hommes et son nom est bientôt synonyme d’allégresse et de volupté » nous précise l’auteur, l’eau à la bouche. Personne ne lui résistera dans ces tempétueuses années 1930. Elle s’offre un capitaine gaillard sur le divan du breakfast, ne fait qu’une bouchée de Valentine Castlerosse, vicomte à la corpulence d’ogre qu’elle épouse de force, vampirise Cecil Beaton et s’attache l’affection du fils de Churchill sur un crissement de bas. Stéphanie n’a pas choisi Doris au hasard. Il suffit de voir la photo qui illustre la couverture : blondeur équivoque à la garçonne, moue circonspecte d’avidité, jambes qui n’en finissent pas et collier de perles sur une blancheur d’albâtre. Cet objet de désir est une arme fatale. Winston Churchill y succombera en la peignant. Sa beauté était abyssale. « Doris est une femme perdue, marquée par la fatalité, et cela, Winston le sait et l’en aime d’autant plus » écrit-elle. Les femmes lestées de bijoux Cartier qui fument des cigarettes égyptiennes à l’arrière des Rolls sur Regent Street sont des êtres sauvages et indisciplinés. Ne vous y trompez pas ! Stéphanie est l’historienne que nous aurions aimé croiser sur les bancs du lycée. S’appuyant sur une documentation solide, jamais ennuyeuse, toujours alerte, elle passe de la chambre à coucher à l’Intelligence Service, avec une virtuosité fascinante.
Doris, le secret de Churchill de Stéphanie des Horts – Albin Michel
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