Certains faits divers tendent à la grâce et au sublime. On devrait les rapporter en alexandrins, les enseigner au catéchisme et les encadrer pour les vendre aux enchères chez Sotheby’s. On se souvient avec émotion de l’ « accident de masturbation » (la dépêche AFP disait ça…) de l’acteur David Carradine. Impossible d’oublier le cas de cet américain qui eut l’idée saugrenue, et perdante, de jouer à la roulette russe avec un pistolet automatique. On gardera à jamais un souvenir ému pour ces deux gangsters Belges qui sont morts sous les gravas de la banque dont ils venaient de dynamiter la salle des coffres… Qui pourrait oublier cet Allemand qui – voulant condamner une partie de sa cave – s’est rendu compte trop tard qu’il était du mauvais côté du mur qu’il venait de construire et venait de s’emmurer vivant.
Et chaque jour la presse regorge de ces lumineuses illustrations en couleur et en relief de l’intelligence humaine. Il y a quelques jours encore on apprenait qu’un américain du Montana (Etat connu pour son climat rigoureux et sa géographie à angles droits) avait trouvé la mort sur une autoroute alors qu’il cherchait à effrayer les automobilistes dans un déguisement de « Bigfoot » (yéti local à forte connotation yankee), et avec une bonne dose d’alcool et de drogues douces dans le sang…
Mais inutile d’aller jusqu’en Amérique ou sur une lune de Jupiter pour trouver du fait divers de qualité… Ainsi, un titre solennel claquait vendredi dernier à la une de La Dordogne Libre, dont le siège est à Périgueux : « Il se tire une balle dans le dos par accident ». On s’est trop souvent moqué de la prudence un peu bouffonne des magistrats ou policiers qui déclarent couramment à la presse, sur une scène de crime impliquant un cadavre criblé de six balles et pendu par les pieds que « la thèse du suicide n’est pas exclue » ; ou encore, considérant le destin malheureux d’un homme dont on a retrouvé le corps découpé en morceaux dans une poubelle que « l’hypothèse de l’accident de chasse doit être considérée »… Ainsi, on peut vraiment se tirer une balle dans le dos par accident. Le journal régional indique que les enquêteurs ont d’abord cru à une tentative de meurtre… « Il faut dire que l’affaire tient de l’accident improbable.
Le 20 août dernier, les gendarmes sont alertés car un homme présente une blessure par arme à feu dans le dos, à Montpon-Ménestérol. Grièvement touché, l’homme est placé en coma artificiel. Les gendarmes ouvrent une enquête, retrouvent l’arme à l’extérieur du bâtiment où réside l’amie de la victime. » Cette dernière est placée en garde à vue, puis relâchée. L’enquête suit son cours. Le malheureux sort finalement du coma, et révèle l’incroyable vérité… « La victime, qui a été entendue en fin de semaine dernière, avait en fait accroché à sa ceinture, dans son dos, le revolver, un modèle ancien à canon très long. Un faux mouvement, et le coup est parti. Pour preuve, l’homme faisait état d’une brûlure au bas du dos, provoquée par l’évacuation des gaz du barillet. » Moralité, si vous êtes pris d’une subite bouffée onirique à tendance « western » dans votre pavillon de Montpon-Ménestérol et qu’il vous vient l’idée – déjà discutable… – de planter votre artillerie chargée dans votre ceinture au niveau dorsal, pensez surtout à ne jamais vous asseoir sur votre bon sens.
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