Donald Trump est désormais le premier président ou ex-président des États-Unis à être mis en état d’arrestation. Quels sont les chefs d’inculpation ? La mise en accusation a-t-elle des chances d’aboutir ? S’agit-il d’une manipulation politique ? Si oui, au profit de qui et dans quel but ? Analyse.
Lundi 3 avril, Donald Trump a quitté sa villa en Floride pour se rendre à New York. Le lendemain, il s’est présenté au bureau du procureur de district qui l’a mis en état d’arrestation, avant de lui accorder la libération conditionnelle, ce qui lui a permis de rentrer chez lui.
Trump, qui a plaidé non-coupable, fait face à 34 chefs d’inculpation qui portent sur la fraude comptable et concernent une somme de 130 000 dollars (118 300 euros) versée à l’ancienne actrice porno, Stormy Daniels, afin d’acheter le silence de cette dernière.
En 2006, Trump aurait eu une liaison extra-maritale avec cette comédienne et metteuse en scène qui a reçu de nombreux awards dans son secteur d’activité, dont trois fois celui de « favorite breasts » (seins préférés) en 2006, 2007 et 2009. Déjà en 2011, lorsque Donald Trump réfléchissait à une première candidature possible aux présidentielles, Mme Daniels a cherché à profiter de sa prétendue aventure passée (que Trump a toujours niée) en vendant son histoire aux médias, mais sans succès. Ce n’est qu’au cours de la campagne de 2016 qu’elle a obtenu le jackpot. Elle a proposé de tout divulguer au National Enquirer, le tabloïd hebdomadaire, mais le journal a préféré l’aider à négocier un accord de confidentialité avec Michael Cohen, l’avocat du futur président, en échange du versement des fameux 130 000 dollars. L’argent a été transféré à Daniels par Cohen 12 jours avant les élections.
Acheter le silence de quelqu’un n’est pas illégal en soi. C’est la manière dont M. Trump aurait enregistré dans ses comptes le paiement des 130 000 dollars qui est au centre de son inculpation par le procureur new-yorkais, Alvin L. Bragg. Lorsqu’il a pris ses fonctions à la Maison blanche en janvier 2017, le nouveau président a commencé à signer une série de chèques (sur 10 mois) en faveur de son avocat, Michael Cohen, et tirés sur le compte en banque d’un fond qui gérait ses biens. Or, ces paiements étaient libellés « frais juridiques ». Cohen, condamné en 2018 pour évasion fiscale et des infractions aux lois sur le financement des campagnes électorales, a affirmé que l’argent en question représentait un remboursement pour la somme versée à Mme Daniels. Le fait de ne pas déclarer que cet argent avait été dépensé pour faciliter une campagne électorale serait plus grave encore que la simple fraude comptable.
Tiré par les cheveux ?
La mise en accusation de M. Trump n’a pas apporté de grande révélation. L’affaire de Stormy Daniels et des 130 000 dollars était connue du grand public depuis longtemps. Ce qui est nouveau est la stratégie adoptée par le procureur. Normalement, la fraude comptable est classifiée comme une simple infraction (ou « misdemeanour »), punissable par une amende. Bragg a décidé de présenter ses accusations comme des crimes (« felonies »), chacun desquels peut être puni d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à quatre ans.
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Pour faire ce tour de magie, le procureur a été obligé de prétendre – et devra prouver – que la fraude comptable a été commise par Trump dans l’intention de préparer des crimes plus graves. Bragg n’a pas encore précisé lesquels mais a donné des pistes. Ainsi, Trump aurait eu l’intention, soit de tromper les services fiscaux de l’état de New York, soit – plus grave encore – d’influencer le résultat d’une élection fédérale. Pourtant, une intention n’est pas facile à prouver, et selon l’avis de nombreux spécialistes juridiques, la stratégie du procureur est risquée. Même The New York Times, journal de référence des Démocrates, ne cache pas le scepticisme exprimé par un grand nombre d’experts. Par exemple, le ministère public devra démontrer qu’acheter le silence d’une ancienne maîtresse représente une dépense de campagne plutôt qu’une dépense personnelle. Et puis, s’il est vrai qu’une fausse déclaration sur des comptes de campagne au niveau fédéral est un crime, le procureur d’un Etat a-t-il le droit d’invoquer le droit fédéral quand il n’est pas habilité à poursuivre quelqu’un au nom de ce droit ? Quel que soit le résultat, le procès risque de durer.
À qui profite le crime ?
Donald Trump, ses soutiens au Parti républicain et ses électeurs les plus fidèles prétendent que cette inculpation ne représente pas autre chose qu’une campagne de persécution politique dirigée contre lui. Juste ou injuste, couronné de succès ou non, ce procès constituera une distraction sérieuse pour celui qui brigue la nomination des Républicains pour les élections présidentielles de 2024. En principe, une condamnation n’empêcherait pas M. Trump de candidater une nouvelle fois, mais la bataille juridique pourrait drainer beaucoup de son temps, de son énergie et de ses ressources.
S’il s’agit d’une machination politique, le bénéficiaire serait évidemment le Parti démocrate, Joe Biden en tête, qui aurait l’intention de se représenter en 2024. M. Trump n’a pas eu beaucoup de mal à convaincre ses supporteurs que c’est une simple mise en scène destinée à le discréditer. Après tout, il a déjà fait l’objet de deux procès d’« impeachment » ou de destitution initiés par les Démocrates, l’un en décembre 2019 (pour avoir prétendument mis le gouvernement ukrainien sous pression afin qu’il lance une enquête sur son rival, Joe Biden) et l’autre en janvier 2021 (pour son rôle dans l’attaque du Capitole le 6 janvier). À chaque fois, il a été exonéré par le Sénat, alors sous contrôle républicain. Du point de vue des trumpistes, ce nouveau procès n’est que le prolongement d’une campagne lancée il y a longtemps.
On peut donc affirmer que la mise en accusation de M. Trump aura pour effet immédiat de polariser et de diviser encore plus l’électorat américain. Est-ce qu’il y aura un gagnant dans cette situation ? Selon un sondage réalisé pour CNN, les sympathisants démocrates et républicains se partagent de manière plus ou moins prévisible : 94% des premiers approuvent la mise en inculpation tandis que 79% des derniers la désapprouvent. Globalement, 60% des Américains pensent que la mesure est justifiée, bien que 76% croient que la décision avait une dimension politique et 52% une dimension politique très importante, et seuls 37% sont convaincus que les actions de Trump étaient illégales plutôt que contraires à la déontologie. Parmi les électeurs indépendants, 62% approuvent la décision de l’inculper. Les conséquences vraisemblables ? Il est encore plus probable que Donald Trump soit investi par le Parti républicain comme son candidat présidentiel. Mais, étant donné l’attitude des électeurs non-alignés, il est probable qu’il perde cette élection. Ce qui serait le résultat idéal pour les Démocrates, Joe Biden en tête. Il ne faut pas oublier, pourtant, que M. Trump fait l’objet d’une enquête en Géorgie où il aurait essayé d’exercer une influence illégale sur le résultat des élections en novembre 2020. Si cette enquête aboutit aussi à une mise en accusation, plus solide que celle de New York, cela pourrait encore faire dérailler sa campagne pour 2024. Que le procès actuel soit injuste (probable), que le gagnant soit Joe Biden ou un autre Démocrate (encore probable), le perdant, s’il y en a un, pourrait être, non seulement Donald Trump, mais le « Grand vieux parti » républicain lui-même. Dans ce cas, la stratégie du procureur new-yorkais, délibérée ou non, se sera révélée diabolique.