Seul, terriblement seul. Donald Trump n’est plus l’homme le plus puissant du monde. Battu, humilié, définitivement acculé face au vide vertigineux de la perte du pouvoir; le grand enfant facétieux qui séduisit tant de laissés pour compte s’est fait tyran immature, starlette de la télé-réalité refusant d’admettre qu’elle devait quitter le loft rempli de caméras qu’a été la Maison blanche pendant ces quatre dernières années.
Tel Néron assistant au grand incendie de Rome depuis ses appartements, Donald Trump a dû se résigner à voir ses partisans lancer l’assaut contre le Capitole, symbole d’une première démocratie du monde devenue première farce mondiale. Pis, il n’a même pas eu le courage d’assumer ses responsabilités, agitant des fraudes qu’il n’a jamais pu prouver concrètement. Quatre de ses supporters sont en effet morts pour lui, convaincus que l’élection avait été truquée et qu’ils étaient les derniers remparts des institutions étasuniennes. Ils ont reçu pour prix de leur dévouement l’honneur suprême d’être traités de « losers », vocable favori du président sortant. Des belles âmes qui hurlaient leur indignation contre les violences policières, ils ne recevront que le mépris ou l’indifférence.
Donald Trump n’avait pourtant pas à rougir, ni de son bilan, ni de son résultat à l’élection présidentielle de novembre dernier. Il avait ainsi annoncé avant tous les autres, sous les railleries des médias officiels et de ses adversaires, qu’il y aurait un vaccin contre le « virus chinois » qui nous permettrait peut-être de reprendre une vie normale avant la fin de l’année 2020. Il ne s’était pas trompé, mais le monde l’a su avec une semaine de retard. Les laboratoires ont-ils volontairement caché cette information pour ne pas donner raison à ce président honni ? Nous ne le saurons jamais, au fond, cela n’importe que peu. Nous ne saurons pas non plus si cela aurait changé le cours de cette élection. En 2016, Donald Trump avait gagné à la surprise générale, bénéficiant d’un élan de sympathie venu du cœur de l’Amérique, d’une Amérique oubliée en passe d’être définitivement reléguée au second plan.
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Une petite partie de cette Amérique l’a soutenu jusqu’au bout, jusqu’au fanatisme ; les plus ardents de ces hommes et de ces femmes étaient d’ailleurs réunis devant le Capitole, prêts à faire basculer le pays dans une révolution, une nouvelle guerre de Sécession. De fait, sécession il y a. Les États-Unis ne forment plus une nation homogène ; les tensions entre les territoires les plus prospères, entre les populations les plus diverses, entre les modes de vie et les systèmes de valeur se font de plus en plus intenses chaque jour. Si Donald Trump est responsable d’avoir fait penser à ceux qui le soutenaient qu’il allait se maintenir pour un second mandat, l’intelligentsia médiatique, numérique et politique est coupable d’avoir jeté de l’huile sur le feu pendant quatre ans. Coupable d’avoir criminalisé les opinions d’une moitié de l’Amérique. Coupable d’avoir invisibilisé les souffrances de ceux qui n’ont pas le droit de souffrir, white trashs ridiculisées par Hollywood. Coupable d’avoir organisé une véritable insurrection dans toute l’Amérique à la suite de la mort de George Floyd.
Parades de freaks
En tout état de cause, il n’était pas illogique qu’il perde en novembre. Avec 74 millions de voix, Donald Trump n’a pas démérité, bien qu’il ait failli dans les États de cols bleus arrachés au forceps à Hillary Clinton la dernière fois. Misant parfois plus sur le show que sur la sincérité, l’ancien président a perdu chez ces travailleurs modestes les quelques voix qui auraient pu lui éviter cette sortie déshonorante. Oui, son mandat a été saboté, c’est le jeu de la politique. Lui-même n’a jamais fait dans la demi-mesure pour évincer ses adversaires dans les affaires ou en politique, ne reculant pas plus devant la violence que devant l’outrance. Une outrance partagée par les plus radicaux des progressistes comme les plus radicaux de ce qui était, usons volontairement du passé, le trumpisme. Des conspirationnistes de Q-Anon aux mémoricides d’Evergreen, nous voyons de grandes parades de freaks que l’Amérique produit de manière industrielle. Pour preuve, le personnage excentrique de Q-Shaman, vêtu tel un David Crockett mutant aux tatouages vikings et indiens qui s’est emparé du micro de la salle du Congrès, avant de se prendre en photo dans les couloirs.
Que voulaient ces gens ? S’agissait-il de fascistes disciplinés à la détermination sans faille, désireux de provoquer un coup d’État comme l’avait voulu le colonel Tejero en février 1981 en Espagne ? Non, il y avait chez ces pauvres hères, embarqués dans un monde parallèle de croyances irrationnelles, que Donald Trump a exploités avec le plus grand cynisme, une touchante naïveté. Ils sont, de la même manière que ces monômes progressistes, les victimes d’un Occident décadent désormais dépourvu de toute verticalité. Un Occident qui, faute de trouver un principe supérieur organisateur, préfère s’abandonner aux bras de Satrapes qu’on croyait autrefois exclusivement orientaux.
Le populisme de Trump est malsain
L’appel au calme lancé par the Donald, dans lequel il a conspué ceux-là mêmes qui l’avaient porté au pinacle, a montré l’aspect le plus pathétique de cet homme. Il semble n’avoir toujours pas compris qu’il n’a été que le véhicule, le porte-voix d’un moment historique pour un peuple américain tenant des traditions des premiers colons qui refusait de mourir. Du césarisme, il n’a gardé que le goût du décorum. Tout ce qu’il a fait sera effacé, définitivement oublié. Pour une raison très simple ; le culte de la personnalité réclame des qualités extraordinaires dont il était dépourvu. Son énergie, sa détermination, son charisme et ses aptitudes au commandement n’ont pas pu combler son déficit culturel et son manque cruel de sensibilité.
Un populisme sain se doit non seulement de répondre aux attentes matérielles d’un peuple mais aussi, peut-être plus encore, à ses aspirations spirituelles. Le populisme bien pensé est émancipateur. Il ne doit pas niveler par le bas ; il ne doit pas flatter les instincts les plus triviaux. Face à un système organisant une révolution permanente articulée autour d’un discours millénariste puissant, l’alliance contre-nature du conservatisme légaliste et d’une forme de populisme populacier échouera toujours à terme. Il est nécessaire de trouver une dialectique commune qui puisse traduire intelligiblement le cri du cœur lancé par les victimes du totalitarisme soft de la globalisation. Non pas en mariant de force les contraires, mais en leur donnant un but commun.
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Il est à craindre que le show à l’américaine du président Trump n’ait durablement freiné le processus. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’Emmanuel Macron a jugé bon s’adresser à la nation à trois heures du matin, dans un « franglish » ridicule que surlignait la présence d’un drapeau américain en arrière-plan, en prenant des airs d’acteur de film catastrophe à petit budget, commentant tel un gouverneur de la Californie un évènement qui était manifestement voué à l’échec. Il a fait cela par goût personnel du spectacle comme par intérêts politiques, comprenant bien que ces échauffourées diffusées en mondovision allaient lui servir d’argument sur le plan domestique.
Twitter relègue Trump au rang de vulgaire troll
Agiter le spectre Trump mettra désormais un terme définitif à toutes les discussions politiques sérieuses, remplaçant l’archaïque point Godwin par un exemple beaucoup plus récent et connu de tous. Dans les mémoires, Donald Trump prendra la place de Dionysus de Syracuse qui chassait les Pythagoriciens. Lui ne chassait pas grand-chose, pas même les progressistes. Il avait au moins le bon goût de ne pas déclencher ces guerres si chères aux faucons de George Bush junior ; souvent d’anciens gauchistes devenus les plus sûrs défenseurs du marché libre, éclairé, dominateur et aveugle. Un marché qui aura le petit doigt sur la couture du pantalon face à Kamala Harris et ses sbires. Un marché qui a bien compris que la « diversité » générait autant d’affrontements que de clients potentiels.
Les géants du numérique et les médias officiels avaient malgré eux bien aidé Donald Trump il y a quatre ans. Ils ont retenu les enseignements de 2016. Ils se sont arrogés des pouvoirs considérables, censurant sans vergogne le président Trump – relégué au rang de vulgaire troll –. Les géants du web sont maintenant les maîtres du monde alors qu’ils ne sont que des prestataires de services… publics et nécessaires. Cette tyrannie numérique aux allures de dystopie cyberpunk se renforcera dans les années à venir puisque ces opérateurs privés détiennent un monopole que nul ne leur conteste, hors la Russie ou la Chine. Il est d’ailleurs possible qu’ils décident d’éliminer Donald Trump de Facebook, Instagram et Twitter à vie. De quoi remettre une pièce dans la machine conspirationniste. On peut d’ailleurs se demander pourquoi aucun État ne semble vouloir régler sérieusement cette question et en finir avec ces Compagnies des Indes aux visées idéologiques manifestes. Comment se fait-il qu’un petit réseau créé pour noter le physique des filles d’une université américaine soit désormais plus puissant que de nombreux États ? S’ils sont capables de se moquer ainsi d’un ancien président, vous pouvez deviner ce qu’ils peuvent faire aux autres… Cette fois-ci, c’est Donald Trump qui a été leur idiot utile. Cruel renversement.
Au fond, nul ne veut de véritable changement : pas plus les antisystèmes issus du système comme Donald Trump que les défenseurs officiels du progrès à tout crin. Le monde tel qu’il est organisé présentement sied fort bien à ces élites consanguines, déracinées et avides, d’où qu’elles viennent. Plus personne ne croit en rien. Jamais dans l’histoire de l’Humanité, les dirigeants de l’Occident n’avaient été aussi puissants et éloignés des intérêts des peuples. La Chine, elle, a conscience de son passé et se projette avec confiance dans le futur. Ce sursaut provoqué par Donald Trump, qui ne fut pas sans quelques éclats dignes d’intérêt, en appellera d’autres. Il faudra toutefois ne pas oublier la leçon. Ne soyons pas des enfants en recherche d’un père tout-puissant qui se montrera toujours défaillant. Ne tombons pas dans le culte de la personnalité. Soyons enfin des acteurs et non des spectateurs.
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