La décision prise par Trump de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem ne favorise pas le règlement du conflit israélo-arabe. Pas plus qu’elle ne le rend impossible…
Le 4 juin 2008, un futur président des États-Unis affirmait : « Jérusalem restera la capitale d’Israël, et elle restera unifiée. » Il s’appelait Barack Obama. Bien évidemment, comme tous ses prédécesseurs, il s’empressera de changer de position dès son élection. Depuis 1998, les présidents américains successifs ont tous, deux fois par an, mis leur veto au transfert de l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem exigé par le Jerusalem Embassy Act voté à une très large majorité par le Congrès en 1995.
A contre-courant de ses prédécesseurs
Trump avait averti qu’il cesserait cette pratique. Il était d’autant plus déterminé que l’immense majorité des chrétiens évangélistes – dont le vice-président Mike Pence est très proche – a voté pour lui. Mais c’est d’abord et avant tout pour le président américain une question de principe, dans le droit fil de sa décision de retirer les États-Unis de l’Unesco à la suite, justement, des résolutions adoptées sur Jérusalem, qui semblaient en nier l’identité juive du mont du Temple. C’est une manière de dire : « Je tiens mes promesses. » D’autant qu’il avait été agacé d’avoir dû, sur la pression de ses conseillers, renoncer une première fois, en juin, à cette décision. Certes, le transfert de l’ambassade ne sera pas concrétisé avant deux à trois ans, mais c’est parce que les contraintes juridiques et sécuritaires américaines sont très strictes. (Quelques pays suivront Washington : après tout, certains avaient leur chancellerie sur place jusque dans les années 1980.)
Comme on pouvait s’y attendre, il n’y a pas eu de grand soulèvement en dépit de la date de cette annonce – trois jours avant le 30e anniversaire de la première Intifada. Car elle ne change strictement rien au quotidien des Palestiniens et ceux-ci le savent très bien. Quant aux pays arabes, ils ont d’autres soucis en tête : guerre en Syrie, stabilité interne… et défi iranien au sujet duquel ils cherchent plutôt à développer de bonnes relations avec Israël.
A lire aussi : Jérusalem : Trump et Israël « humiliés » par l’ONU ? Pas du tout !
Mais la décision de Trump se veut aussi stratégique. Cet homme dont la stabilité mentale est parfois – non sans raison – mise en doute, a justifié sa décision en disant : « Ce serait folie de penser que répéter sans cesse la même formule produirait maintenant un résultat différent ou meilleur. » Soit l’exacte définition de la folie selon l’aphorisme célèbre, faussement attribué à Einstein, qui veut qu’elle consiste « à répéter la même chose encore et encore en s’attendant à chaque fois à un résultat différent ». Trump se veut donc rationnel : il renverse la table pour produire un résultat politique.
Place aux puissances régionales
Pari risqué pour cette ville qui a rendu fou plus d’un pèlerin. En tout cas, l’on voit mal comment ce pourrait être une véritable percée vers la paix. Trump parie sur le fait que l’Autorité palestinienne est à bout de souffle et est prête à accepter des concessions majeures si l’Amérique fait pression sur elle. On peut en douter. Elle le vit comme une humiliation, pas comme une incitation, et a été ragaillardie par le soutien des pays islamiques. Du côté israélien, il n’y avait pas de demande pour cette « reconnaissance » et un transfert de l’ambassade. Dans les milieux sécuritaires du pays, on y était d’ailleurs plutôt opposé, craignant de nouveaux troubles.
Il aurait été plus sage et peut-être plus fructueux d’attendre le mois de juillet, au moment où, aux termes de la loi de 1995, il aurait dû se prononcer à nouveau sur la question, et d’inscrire l’annonce dans une démarche d’ensemble destinée à débloquer le processus dit « de paix ». Car c’est en ce moment même que le gendre de Trump, Jared Kuchner, s’active pour dessiner les contours d’une nouvelle approche – plus favorable à Israël que les initiatives américaines précédentes, mais avec le soutien de grands pays arabes. Or la relative modération de la réaction saoudienne montre bien que Riyad, soucieuse de se rapprocher d’Israël pour faire face au défi iranien, a désormais une approche réaliste de la question. Et ce rapprochement pourrait être la clé de cette fameuse « approche régionale » du conflit que nombre de personnalités de tous bords appellent de leurs vœux, constatant que trente ans de négociations directes sous patronage américain n’ont rien donné. Seuls les grands pays arabes peuvent faire pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle fasse des concessions douloureuses. Car n’en déplaise à une bonne partie de l’opinion mondiale, la responsabilité des échecs successifs est imputable au moins autant au leadership palestinien qu’à l’intransigeance du gouvernement israélien. Le pari saoudien reste risqué : il signifie prendre le risque d’abandonner la cause palestinienne au bénéfice de Téhéran, du Hamas et du Hezbollah… Au moins a-t-il le mérite de faire bouger les lignes, comme on dit dans les chancelleries.
La fin d’une solution à deux Etats ?
Le terme « reconnaissance » n’a pas de signification juridique : les États sont souverains dans le choix de leur capitale. Ce que Trump reconnaît, c’est la réalité. Au prix d’une « violation du droit international » ? Oui et non. Certes, les résolutions du Conseil de sécurité depuis 1967 ont enjoint les États membres de déloger leurs missions diplomatiques de la Ville sainte. Mais le droit ne dit pas que Jérusalem-Ouest, là où se trouvent les institutions gouvernementales, n’est pas territoire israélien. (Où croit-on que les ambassadeurs nommés en Israël présentent leurs lettres de créance ? Sur la plage de Tel Aviv ?) Ce que Trump balaye, c’est la fiction du corpus separatum, la création d’une entité juridique ad hoc pour Jérusalem, promue par le plan de partage de 1947. Une chimère, un rêve de diplomate hors-sol. Personne ne sait si Jérusalem sera un jour la capitale de deux États ; mais ce qui est certain, c’est qu’elle ne sera pas « la capitale d’aucun État ».
Trump rompt avec la position de l’exécutif américain depuis 1948, mais n’embrasse pas la position israélienne pour autant. Il a pris soin de préciser qu’il ne prenait pas partie sur la question du statut de la ville et des limites de la capitale, les remettant à de futures négociations. C’est au fond assez sage. La position européenne sur le sujet, elle, laisse perplexe : au nom de quoi nous substituerions-nous aux négociateurs pour exiger que Jérusalem-Est soit capitale du futur État palestinien ?
L’idée d’une « re-division » de la ville est-elle même crédible ? Formellement, sa partie orientale n’a pas été annexée (alors que la Jordanie l’avait fait en 1950), mais une loi de 1980 a fait de Jérusalem la capitale « entière et unie » d’Israël. Et depuis 1967, une stratégie d’aménagement urbain et d’implantations a déjà rendu la division quasiment impossible. Au demeurant, la seule capitale de deux États, Nicosie, ne l’est que depuis… l’occupation du nord de l’île par la Turquie en 1974. Comme modèle de règlement diplomatique, on fait mieux. Certes, les Palestiniens n’ont jamais voulu pour capitale un lot de consolation tel qu’Abu Dis, village de la banlieue sud-est – une sorte de Jérusalem du pauvre. Mais leurs soutiens saoudiens semblent être sur le point de les lâcher…
Il y a au fond un paradoxe de la paix au Proche-Orient. D’une certaine manière, jamais elle n’a été aussi proche : la solution à deux États avec des rectifications de frontières – notamment pour l’incorporation des blocs de colonies religieuses proches de la ligne de cessez-le-feu de 1948 – est beaucoup plus largement acceptée qu’elle ne l’était il y a trente ans. Et le développement des implantations existantes en Cisjordanie ne fait pas obstacle à la réalisation de ce scénario. D’une autre manière, jamais cette paix n’a été aussi lointaine : désintérêt et radicalisation du côté israélien, absence de légitimité politique et division du côté palestinien… et, de part et d’autre, une difficulté à envisager de mettre un terme définitif au conflit. À tout cela, la décision de Trump ne change rien.