Trump et Corbyn, les poils à gratter


Trump et Corbyn, les poils à gratter

jeremy corbyn donald trump

Donald Trump et Jeremy Corbin font de plus en plus peur. Editorialistes et politiciens de tout poil pointent du doigt le désastre, voire le danger pour la démocratie que représentent ces deux hommes au sein de leurs pays respectifs : les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Pourtant, les électeurs ne semblent pas du même avis et continuent, pour le moment, à plébisciter le « connard laqué » (selon l’affectueux jeu de mots de Roland Jaccard) et le socialiste « ringard ».

Tous deux détonnent car ils ne viennent pas de la nomenklatura: Corbyn est un marginal au sein du Labour, dernier représentant d’une frange du parti condamnée à rester dans l’ombre, tandis que Trump, incarnation du « self-made man » avait autrefois soutenu Hillary Clinton. Tous deux tiennent un discours protectionniste même si leurs buts sont bien différents : stopper l’immigration pour l’Américain, mettre le capital au pas pour l’Anglais.

Véritables deus ex machina, les deux hommes ont fait exploser deux partis politiques gangrénés par l’immobilisme. Par leurs prises de positions provocantes et iconoclastes, et les réactions qui les ont suivies, ils ont réintroduit des clivages qui semblaient avoir disparu.

C’est Donald Trump qui donne le premier coup de boutoir lors de sa déclaration de candidature : « Quand le Mexique nous envoie ses habitants, il ne nous donne pas les meilleurs d’entre eux… Ils envoient ceux qui ont des tas de problèmes, qui amènent leurs problèmes avec eux. Ils amènent la drogue, le crime. Ce sont des violeurs. Même si certains, je l’avoue, sont des gens bien ». Par ces propos, celui qui se surnomme « The Donald » s’attire les foudres d’une bonne partie de la presse américaine et des cadres de son parti. Mais il gagne aussi le soutien d’un grand nombre d’électeurs républicains, séduits par la crudité de paroles qui ont fait le tour du monde. Pourtant, quelques semaines plus tard, une vieille intervention télévisée de l’anglais Jeremy Corbyn, déterrée à l’occasion de sa percée dans les sondages, fait pâlir l’aura de maître de la provocation que s’était construite le milliardaire américain : « Oui [les membres de Daech] sont brutaux. Oui, certaines choses qu’ils ont faites sont assez effroyables. Pour autant, certaines actions des Américains à Falloujah ou ailleurs sont tout autant effroyables ».

Autant dire que ces deux personnages ne se distinguent pas par leur sens de la mesure. Mais c’est bel et bien leur excès qui fait leur succès. Cependant, pour les commentateurs, le pic de popularité qu’ont connu les deux hommes politiques ne peut pas être durable.

Il faut dire que Donald Trump et Jeremy Corbyn manquent de crédibilité. Alors, quand ils commencent à faire surface dans les flots médiatiques, on raille d’abord leur inexpérience politique, leur incapacité présumée à s’imposer dans le débat d’idées et à diriger un potentiel gouvernement. Les deux partent en effet de loin.

Jeremy Corbyn, se présente d’abord à l’élection de chef de son parti pour faire plaisir à ses camarades, les derniers « vrais » socialistes du Labour Party. Il obtient, in extremis, les parrainages nécessaires de la part de députés voulant promouvoir le pluralisme au sein de leur organisation mais ne croyant guère à ses idées anti-austérité. Crédité de 7% dans les sondages, il peine d’abord à décoller. Mais, le 10 août, dans un sondage Yougov, il se retrouve avec 53% des intentions de votes travaillistes, devant Andy Burnham, deuxième avec seulement 21%. Dans le même temps, Donald Trump lui stagne à 2% dans les estimations jusqu’au jour où il prononce sa fameuse phrase sur ses voisins mexicains. A partir de là, de saillie en saillie, il avance à toute vitesse dans la course à la primaire républicaine pour la présidentielle américaine. Premier des 16 candidats mi-juillet devant Jeb Bush (alors à 13%), on lui prédit l’avenir d’un feu de paille. Beaucoup jurent même alors qu’il ne pourra pas se maintenir à ce score jusqu’au premier débat du 6 août ou que, de toute façon, il s’effondrera après cet évènement devant marquer le début des choses sérieuses. Sauf que le débat est en fait largement dominé par Trump qui monopolise la parole et s’envole encore dans les sondages. Fin août, il se trouve à 29%.

Alors, faute de les voir s’éclipser, comme ils le désiraient, les journalistes agitent le chiffon rouge de la menace populo-démago-totalitaire pour discréditer les deux hommes. Quand on parle de Donald Trump aux Etats-Unis, les heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire ne sont jamais très loin. Le HuffPost rapporte, par exemple, cette déclaration d’un consultant du Parti Républicain Alex Castellanos : “Ma famille et moi avons quitté Cuba à la fin des années 1950 pour fuir ce genre de leaders ». Pour Thomas Friedman, du New York Times, Trump est un nouveau Joseph McCarthy, ce sénateur républicain qui lança la chasse aux sorcières soviétiques dans les années 50. Pour ce qui est de Corbyn, Tony Blair, ancien leader très « social-libéral » du Labour dans les années 90 et Premier Ministre britannique de 1997 à 2007, déclare que son élection serait un arrêt de mort pour leur parti car bien évidemment sa victoire est impossible (les prochaines élections générales au Royaume-Uni auront lieu en 2020, autant dire que Tony Blair dispose d’une véritable prescience !). Enfin, quelques journalistes se prennent au jeu de la prévision la plus farfelue et nous présentent un avenir où Corbyn dirigerait le Royaume-Uni. Selon les versions, le pays est devenu une sorte de Soviet islamiste où l’Islam est enseigné de force, un régime communiste dans lequel les anciens gouvernants ont été envoyés « au goulag » ou alors devenus les serviteurs du nouveau Premier ministre au 10 Downing Street.

Mais, contrairement à d’autres leaders dits « populistes », Corbyn et Trump ne viennent pas de formations excentrées sur l’échiquier politique et devraient donc pour cette raison être considérés avec plus de sérieux. Le Labour et le Parti républicain sont des institutions centenaires et conquérir l’électorat de ces partis permettrait à ces deux hommes de rassembler, par la force des choses, des personnes ayant des opinions politiques plus conventionnelles (selon les standards de leurs pays respectifs). Et, au-delà de leurs prises de positions polémiques, Trump et Corbyn sont deux hommes de terrain. Corbyn connaît les réalités sociales de très près tandis que Trump, en bon entrepreneur, a l’expérience des subtilités de l’économie pratique. Autant dire qu’une fois arrivés au pouvoir, ces deux hommes sauraient sans doute faire preuve de plus de sagesse que pendant leurs campagnes. Mais plutôt que de tirer des plans sur la comète, il vaudrait mieux se réjouir d’une chose qui fait si peur à nos journalistes : la réintroduction d’une goutte d’incertitude dans notre avenir politique.



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