Daoud Boughezala. Le samedi 10 juin, vous animerez le colloque que l’association Exil H et la revue Eléments consacrent à Dominique de Roux (1935-1977) à l’occasion des quarante ans de sa disparition. Rendrez-vous hommage au romancier, au pamphlétaire auteur d’Immédiatement ou au fondateur des éditions de l’Herne ?
Olivier François[1. Critique littéraire, Olivier François collabore régulièrement à la revue Eléments.]. A vingt ans, Dominique de Roux confiait « un besoin incessant d’être un autre, plusieurs autres ». Initiateur de l’aventure contre-encyclopédique des Cahiers et des éditions de L’Herne, polémiste chargeant les faussaires de la littérature et de la politique, gaulliste irrégulier rêvant d’Empire, conseiller politique de Jonas Savimbi, témoin capital de la révolution des Œillets, lecteur, écrivain et stratège, Dominique de Roux ne fut pas l’homme d’une seule cause ni d’une seule voie, mais il menait de front tous ces engagements. Ecrire, éditer, faire éditer, mener un combat politique et métapolitique, interroger les convulsions de son époque, était pour lui une seule et même action, avec ce souci essentiel, écrivait-il, de briser « les formes mortes », pour retrouver « la fraternité sanguine du monde, la réalité du monde ». Nos intervenants, Pierre-Guillaume de Roux et Gabriel Matzneff, François Bousquet et Laurent Schang, Philippe Barthelet, Pascal Sigoda et Didier da Silva évoqueront donc lors de cet hommage toutes les facettes de cette œuvre et de cette vie mais en restituant son unité et sa cohérence, l’esprit qui les animait.
Dominique de Roux a édité des artistes aussi divers qu’Ezra Pound, Witold Gombrowicz ou Allan Ginsberg. De l’auteur des Cantos au chantre de la Beat Generation, y a-t-il un dénominateur commun ?
A l’origine des éditions de l’Herne, il y a une volonté très péguyste de refuser cet esprit fossilisant, sectaire et partisan qui pourrit, particulièrement en France, la littérature autant que la politique, et ces virus de l’esprit que sont les scolastiques universitaires, les pensées habituées, les réductionnismes idéologiques, et tous les agents du simulacre qu’ils se prétendent révolutionnaires, conservateurs ou réactionnaires. On retrouve toujours là ce refus des « formes mortes » qui animait Dominique de Roux, « formes mortes » c’est à dire cannibalisation de la réalité par la représentation, les poses et les gloses, spectacles de la révolte ou d’une tradition réduite à la répétition d’un slogan et d’un catéchisme, idoles vétustes du progrès et du sens de l’histoire. Ce refus était pour l’auteur de L’Ouverture de la chasse une condition pour retrouver une littérature et peut-être une politique qui ne soient plus un apanage de professionnels de la profession, un jeu d’ambitions sordides, un ordre mort et indivisible, mais un véritable et aventureux « chemin de vie » si l’on veut employer un terme évangélique. Dans Départ, texte fondateur de la revue Exil écrit en 1973, Dominique de Roux déclarait qu’il entendait fonder une « Cité de résistance païenne contre les institutions de l’oppression et du paraître » et chercher à « rendre compte de ce qui existe en deçà et au delà de l’écriture. » Le fondateur de l’Herne tenait en ce sens une ligne assez rimbaldienne. La vraie vie est ailleurs !
La rencontre avec Ezra Pound, la Beat Generation et ce vieux démystificateur de Gombrowicz s’est imposée d’elle-même. Ils étaient des frères d’âme pour cet homme qui ne voulait marcher qu’« aux conditions les plus démentielles », méprisait les littérateurs de chambre et de chaire, ne divisait pas l’écriture de la vie et de la quête spirituelle. Ajoutons, qu’avec eux, il ignorait impérialement la stérile opposition réactionnaire ou progressiste entre la fidélité envers le passé, la plus longue mémoire et la volonté de dépasser le présent pour imaginer un monde nouveau, transfiguré. Ezra Pound a irrigué son œuvre en lisant, relisant et méditant les poètes de l’antique Chine et les troubadours de la vieille Provence. Allen Ginsberg passait de Tao en Bouddha, s’inspirait parfois des bardes celtiques, Kerouac renouait avec ses racines bretonnes et rêvait de chouannerie, mais ils n’étaient pas pour autant de sages et stériles gardiens du temple. « Il n’y a point de futurisme qu’un passéisme ardent n’ait d’abord animé » écrivait il y a cent ans Charles Maurras…
Issu d’une famille maurrassienne, Dominique de Roux se réclamait d’un « gaullisme révolutionnaire », non sans moquer les étudiants de 68 qui se « prennent pour Hegel et finiront dentistes ». Peut-on le qualifier d’anarchiste de droite ?
Le moindre réactionnaire se proclame aujourd’hui anarchiste de droite quand il moque les déclarations aberrantes de la pauvre Najat Vallaud-Belkacem, qu’il se donne des frissons en tweetant une citation de Léon Daudet ou qu’il a trinqué une énième fois à la santé d’Antoine Blondin. Il y a des expressions qui finissent par puer pour paraphraser Nietzsche, et anarchiste de droite en est une. Dominique de Roux n’était pas un tonton flingueur et se situait à une autre hauteur. Lecteur en profondeur de Georges Bernanos et de René Guénon, il ne peut se laisser réduire à des catégories politiques modernes toujours réductrices et insatisfaisantes. Antimoderne, il l’était, si la modernité c’est le règne de la quantité, la démonie de l’économie, ce « Mufle-Roi » que dénonçait Dimitri Merejkovski au lendemain de la Première guerre mondiale, cette démocratie universelle qui prétend clore l’histoire et remplacer les peuples par des troupeaux de monades. Mais il méprisait la droite du fric et l’extrême droite du ressentiment, la droite obsédée de dynamisme et d’innovation comme la droite des fusilleurs qui rêve d’ordres policiers et militaires. Issu d’une famille maurrassienne, Dominique de Roux s’est voulu gaulliste après 1965. Le mot est désormais piégé, lui aussi galvaudé par l’usage.
Un « gaulliste révolutionnaire », écrivait-il dans les années 1960. N’est-ce pas un oxymore ?
Le « gaullisme révolutionnaire » de Dominique de Roux me semble relever davantage de l’esprit de Résistance du 18 juin, de la souche bernanosienne, que de l’ordre industriel et consumériste instauré et défendu par les technocrates de la Vème république, à l’ombre d’un képi glorieux. Son gaullisme singulier rêvait d’Empire, de révolution mondiale, de subversion et de contre-subversion, de retour du roi, d’ordres invisibles… Ce n’était pas un souverainisme à l’usage de petit-bourgeois inquiets pour nos centrales nucléaires et notre balance commerciale. Dominique de Roux, chose rare pour un écrivain qui avait 10 ans en 1945, mis ses convictions et ses visions à l’épreuve de l’histoire et de la guerre. Son engagement dans les maquis de l’UNITA témoigne de son courage. Il ne se payait pas de mots.
Outre le colloque du 10 juin, quelle est l’actualité de Dominique de Roux ?
Son fils Pierre-Guillaume de Roux a récemment réédité La France de Jean Yanne et le Le Gravier des vies perdues, un hommage poétique à Ezra Pound écrit en 1974. La Revue Littéraire, dirigée par Richard Millet, aux éditions Léo Scheer, a publié dans son dernier numéro des pages inédites du journal intime tenu par Dominique de Roux entre juillet et octobre 1962, année décisive de la préparation du Cahier Louis-Ferdinand Céline. L’aventure des premières éditions de l’Herne, telle qu’elle fut pensée et initiée par son fondateur, inspire toujours de jeunes éditeurs. Dominique de Roux est toujours présent. Notre hommage en sera, je l’espère, une preuve.
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