Accueil Politique Chef de guerre, chef de la diplomatie? Calmez-vous, ça va bien se passer!

Chef de guerre, chef de la diplomatie? Calmez-vous, ça va bien se passer!

Les frontières du "domaine réservé" du chef de l'Etat français


Chef de guerre, chef de la diplomatie? Calmez-vous, ça va bien se passer!
Jean-Noël Barrot et Emmanuel Macron à Paris, 24 octobre 2025 © Lafargue Raphael-Pool/SIPA

Tensions internationales. Emmanuel Macron, toujours prompt à théâtraliser son rôle, a endossé le costume du chef de guerre le 5 mars. Cheffer, c’est son dada, et il ne manque jamais une occasion de le rappeler, surtout quand il s’agit de diplomatie et de défense. Mais attention, même en matière militaire, sous la Ve République, le chef décide souvent… à condition que d’autres signent derrière lui ! Grande analyse.


Jacques Chirac avait l’habitude de dire qu’ « un chef c’est fait pour cheffer ». Le 5 mars, durant près d’un quart d’heure, le président Macron a essayé de démontrer qu’il s’inscrivait dans les pas de son illustre prédécesseur. Il a donc adopté la posture du chef de guerre mais aussi, l’une ne va pas sans l’autre sous la Ve République, de chef de la diplomatie. Il nous avait fait un coup similaire pour nous annoncer le confinement. Le coup de menton est son arme favorite quand il veut impressionner ! Calmez-vous, M. le président !

Domaine réservé !

Depuis quelques mois, une petite musique est jouée, notamment du côté de l’Elysée, qui laisserait à penser que « le domaine réservé » posé par Jacques Chaban-Delmas dans les années 60, est de retour même dans une période de cohabitation hybride. Mais que disait exactement l’ancien maire de Bordeaux ? Au début de la Ve République, le parti gaulliste n’est pas majoritaire, et M. Chaban-Delmas, qui a été élu président de l’Assemblée nationale contre l’avis du général de Gaulle en 1959, décrit un « secteur réservé ou présidentiel » qui « comprend l’Algérie, sans oublier le Sahara, la communauté franco-africaine, les affaires étrangères, la défense ». Il ajoute que, face à cela : « Le secteur ouvert se rapporte au reste, un reste, d’ailleurs, considérable, puisqu’il réunit les éléments mêmes de la condition humaine. Dans le premier secteur, le gouvernement exécute, dans le second, il conçoit ».

Comme le précise notre collègue D. Rousseau, « dans le texte de la Constitution, le domaine réservé n’est écrit nulle part ». C’est une pratique qui l’a mis en place, impulsée par le présidentialisme. Chaque président s’y est, plus ou moins, référé. Comme le soulignait Georges Pompidou : « je puis affirmer qu’il n’y a pas de domaine réservé, et cela dans aucun sens, qu’en toutes matières, pour l’impulsion, la ligne générale, la continuité, je tiens le rôle du chef de l’État pour essentiel ».

Voyons un peu ce qu’il en est et surtout clarifions les choses d’un point de vue constitutionnel. Nonobstant le « domaine réservé », le gouvernement dispose lui aussi, de par la Constitution, de prérogatives qui touchent aussi à ce fameux « domaine réservé ». Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation (art. 20 de la Constitution). Cela implique d’être aussi actif en matière de politique étrangère et de défense. Mais attention : hors cohabitation cet article 20 doit être lu différemment : le président détermine et le gouvernement conduit. La cohabitation permet en revanche de recourir à une lecture plus parlementaire. Au titre de l’art. 20 également, le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée.  Cela signifie notamment qu’il y a un ministre en charge de la Défense. Enfin, le Premier ministre, chef du gouvernement, est aussi responsable de la défense nationale au titre de l’art. 21.

C’est pour toutes ces raisons, qu’il faut  préférer la notion de « domaine partagé » à celle de « domaine réservé ». D’autant plus que, et c’est là-dessus que l’on va s’attarder, tous les pouvoirs présidentiels sont soumis en ces matières au contreseing ministériel du gouvernement. Que d’observateurs et surtout d’acteurs politiques, souvent de premier niveau, méconnaissent cette règle essentielle à l’exercice des pouvoirs sous la Vè. Etudions à présent cette dernière qui s’applique au « domaine réservé » pour en faire un « domaine partagé ».

Origines du contreseing ministériel

C’est une très ancienne règle monarchique qui voulait que les actes du roi soient contresignés (y compris ceux relatifs à la guerre). Il y avait un ministre en charge des Sceaux qu’il apposait sur les actes royaux afin de les authentifier. Il n’est qu’à regarder les émissions historiques pour constater que lorsqu’est présenté un acte royal il y a toujours un sceau (rouge de préférence). Il s’agit du cachet officiel dont l’empreinte est apposée sur des actes pour les rendre authentiques ou les fermer de façon inviolable. Ce sceau est aussi l’empreinte faite par ce cachet. La cire, le plomb portent cette empreinte. Et si, aujourd’hui,  le ministre de la Justice et aussi Garde des Sceaux, c’est toujours pour cette raison. Son rôle est d’authentifier par un sceau de la République une révision constitutionnelle.

A partir de la IIIè République, le contreseing généralisé sur les actes présidentiels sert toujours à authentifier l’acte mais aussi,  et même surtout,  à « transférer la responsabilité de celui qui signe vers celui qui contresigne » (Thèse Du contreseing sous la Vé République, R.Piastra ; ANRT Lille, 1997).

Bien évidemment, cela se situe dans le contexte du régime parlementaire qui est consacré en France dès 1870 et qui sera perpétué sous la IVe République et, à un degré moindre, sous la Vè. Cela signifie donc que l’essentiel des actes du président de la République est soumis au contreseing ministériel du Premier ministre et des ministres. Sous les IIIè et IVè Républiques c’est un contreseing généralisé même sur les actes liés à la défense et à la diplomatie. Alors qu’avec la Vè, à côté des pouvoirs partagés, on a une nouvelle et inédite catégorie, les pouvoirs propres c’est-à-dire dispensés de contreseing.

A lire aussi: L’État de droit, c’est plus fort que toi !

C’est l’art. 19 de la Constitution de 1958 qui définit ces pouvoirs propres et partagés. Ainsi, il énonce que «les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ». Afin de n’avoir pas à y revenir, précisons ici ce qu’est un ministre responsable. Il s’agit de celui qui exerce des compétences sur le domaine visé par l’acte présidentiel (en particulier l’exécution du texte).  Naturellement, le contreseing du ministre est obligatoire. Le refuser équivaut à sa démission. Pour l’exécution de la loi Evin (10 janvier 1991, relative à la lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme), M. Charasse, comme il nous l’a confié, avait ponctué son contreseing d’un « à regret ».  Le clin d’œil du fumeur de cigares en quelque sorte ! Le Secrétariat général du gouvernement dut reprendre le texte que l’intéressé signa (normalement cette fois-ci). 

Les  pouvoirs présidentiels partagés sous la Vè

La liste des pouvoirs partagés est implicitement donnée par l’art. 19. Il s’agit : du pouvoir de nomination des membres du gouvernement (art. 8-1), de la présidence du Conseil des ministres (art. 9), de la signature des ordonnances ainsi que les décrets délibérés en Conseil des ministres (art. 13), du pouvoir de promulgation des lois et de la demande d’une nouvelle délibération (art. 10), des nominations aux emplois civils et militaires (art. 13), de la convocation du Parlement en session extraordinaire et clôture de la séance (art. 30), des pouvoirs en matière de diplomatie et de défense, et du droit de grâce individuelle (art. 17).

Dans le droit fil de notre axe d’étude, étudions plus spécialement deux pouvoirs partagés capitaux en particulier si l’on s’en réfère à l’actualité : les pouvoirs diplomatiques et les pouvoirs de défense.

Les pouvoirs diplomatiques

Selon l’art. 13 C, le président procède à certaines nominations, notamment « les ambassadeurs et envoyés extraordinaires ». Ces derniers doivent être approuvés par le Parlement et, bien entendu, le décret de nomination doit être contresigné par le Premier ministre et les ministres responsables (ndlr : responsables de l’exécution du texte). Comme on le constate, le président n’est pas libre de ses choix conditionnés qu’ils sont par le contreseing et par l’aval parlementaire. En cohabitation, il est évidemment encore plus contraint.

Selon l’art 14, le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui. Là encore, les nominations doivent être contresignées.

Selon l’art. 52 C, le président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification. C’est cet article qui consacre le président de la République comme « chef de la diplomatie ». On remarquera que c’est lui qui conduit la délégation française dans toutes les rencontres internationales ou européennes d’importance. Mais, c’est bien le Premier ministre qui dispose de l’administration (art. 21) y compris de celle du ministère des Affaires étrangères. C’est donc lui qui propose à ce titre la nomination des ambassadeurs, et il n’est pas contestable que la négociation d’un traité s’inscrit pleinement dans la « politique de la nation  déterminée et conduite par le gouvernement » (art. 20).

Hors période de cohabitation, le président a la haute main sur la diplomatie. Il y a une verticalité décisionnelle incontestable. En cohabitation, même hybride comme celle que l’on vit actuellement, cette hiérarchie doit être relativisée. Il y a même une dyarchie ou plus exactement une horizontalité décisionnelle.  Actuellement, on voit que M. Barrot, en charge du quai d’Orsay, et assez actif sur la scène internationale. Ce qui semble arranger M. Bayrou, enferré dans les affaires internes. Il est incontestable que c’est M. Macron qui a activé l’UE sur le dossier ukrainien. Mais être en première ligne contre la Russie après avoir dit voici deux ans qu’il ne fallait pas rompre avec elle, peut laisser assez perplexe. De même on ne peut que s’interroger sur la ligne de conduite de l’Elysée à tout le moins erratique sur le dossier algérien. On ne le dit pas assez, mais la gestion des OQTF relève aussi du chef de l’Etat lorsqu’il y a blocage sur les laisser-passer consulaires (titre de voyage exceptionnel délivré aux ressortissants algériens non immatriculés afin de leur permettre de rentrer en Algérie suite à la perte ou au vol de leurs passeports). Quand il le fallait, Jacques Chirac négociait en direct avec son homologue algérien (laisser-passer contre visas, en quelque sorte). Il en fit de même avec ses « amis » marocains Hassan II puis Mohamed VI. Comme Emmanuel Macron ne sait pas gérer le dossier algérien, les OQTF sont systématiquement refusés, refoulés chez nous où ils peuvent continuer à se livrer à des exactions.

En cohabitation, le domaine diplomatique est assez sensible aux rapports personnels entre l’Elysée et Matignon. S’ils sont bons et que la répartition l’est aussi,  la politique est « fluide ». S’il y a hiatus,  c’est plus compliqué. La période actuelle nous parait plus relever du second cas que du premier.

Répétons ici que tous les actes diplomatiques du président de la République sont revêtus des contreseings d’usage (notamment Premier ministre et ministre de la Défense). Cela ne va pas toujours de soi en cohabitation (à ce titre, la première de 1986 à 1988 fut plutôt tendue !). « Quand un diplomate dit ‘oui’, cela signifie ‘peut-être’ ; quand il dit ‘peut-être’, cela veut dire ‘non’ ; et quand il dit ‘non’, ce n’est pas un diplomate »… (Henri Louis Mencken).

Les pouvoirs militaires

L’article 15 énonce que « le président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ». En France, le chef des armées est l’autorité suprême pour les questions militaires. C’est essentiellement son élection populaire qui légitime son rôle éminent auprès des militaires. L’image la plus symbolique est le défilé des troupes le 14-Juillet. C’est vers le président que convergent tous les regards des militaires.

Malheureusement, dès le premier 14-Juillet où il officié, en 2017, le président Macron a envoyé un signe assez  négatif mais révélateur à toutes les autorités militaires françaises. Lors de la campagne présidentielle de 2017, il s’engage à porter le budget de la Défense à 2% du PIB pour 2025, engagement que le général Pierre de Villiers prend très au sérieux. Cependant, la réduction des dépenses publiques votée par le Parlement prévoit une diminution du budget de la Défense en 2017, ce que le chef d’État-major critique vivement devant la commission de la Défense. Ses propos fuitent dans la presse, ce qui marque le début d’une détérioration de ses relations avec le palais de l’Elysée. Pierre de Villiers (chef d’État-major des armées, le plus haut grade de l’armée française) est ensuite limogé de sa fonction le 19 juillet 2017, par le chef de l’Etat, et il quitte le ministère des Armées pour accéder à la retraite. Dans deux ouvrages, le général de Villiers a exposé une vision assez largement approuvé par le corps militaires ainsi que le grand public (Servir, Fayard, 2017 et L’Équilibre est un courage, Fayard, 2020). Il faut en outre préciser que tous les hiérarques militaires ont été choqués de ce limogeage qui n’a aucun précédent. Cela a entrainé une perte de confiance certaine et durable  entre le chef des armées et ses troupes.

Lorsque l’on envisage les pouvoirs militaires de président, ce sont deux choses. D’abord la loi de programmation militaire (LPM). En matière de finances publiques, il s’agit d’une loi visant à établir une programmation pluriannuelle des dépenses que l’État consacre à ses forces armées. S’il est un domaine où les choix présidentiels sont majeurs, c’est bien là. Car les choix stratégiques et d’équipements, c’est lui qui les fait. Même si le contreseing s’applique également. Ainsi, après plusieurs semaines de débats, la loi de programmation militaire 2024-2030 a été définitivement adoptée par le Parlement le jeudi 13 juillet 2024. Le texte prévoit une enveloppe de 413,3 milliards d’euros pour les armées. Selon le ministre de la Défense Sébastien Lecornu, cette LPM porte l’ambition de transformer les armées pour permettre à la France de faire face aux nouvelles menaces et de maintenir son rang parmi les premières puissances mondiales.

Il s’avère que la crise en Ukraine révèle ces dernières semaines qu’il va falloir faire plus. Dans sa déclaration du 5 mars, le président Macron a énoncé que face aux menaces (Russie et désengagement américain), « nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables ». Il a ensuite précisé : « J’ai demandé au gouvernement d’y travailler le plus vite possible. Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage ». Cet effort a été calculé. Il est de l’ordre d’environ 80 milliards. Le grand problème qui se pose, c’est comment financer ? Si l’on suit le processus budgétaire, la LPM ayant été votée en juillet, il conviendra de voter une loi spéciale pour la modifier. Vu la composition de l’Assemblée, cela risque de ne pas être une sinécure.

Second axe important des pouvoirs militaires présidentiels, l’opérationnel. C’est d’abord l’engagement de troupes françaises sur des zones étrangères. Cet engagement relève de la décision du chef de l’Etat. De de Gaulle à Macron, il en a toujours été ainsi. Bien sûr, le décret présidentiel d’engagement revêt les contreseings de rigueur. Cela pose parfois problème (ex : démission de Jean-Pierre Chevènement en 1991, opposé à l’opération militaire en Irak). C’est aussi le désengagement de soldats (ex : Mali en 2024). Mais, là encore, engager ou désengager des troupes se fait sur la base de décrets contresignés. En 2021, environ 13 000 militaires assuraient la sécurité du territoire national, de pays amis et de ses installations stratégiques.

Mais il faut préciser ici que selon l’art 35 C, « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention ». Bien évidemment c’est au président,  assisté des conseils et comités qui l’entourent, de gérer l’intervention. Toujours sur la base de décrets contresignés. Chacun se rappelle que, depuis 1939, la France n’a plus été confrontée à une guerre. Pour le conflit en Ukraine, et contrairement à ce qui est véhiculé çà et là dans divers médias,  la France comme les autres Etats européens qui aident l’Ukraine n’est en aucun cas un pays belligérant. La belligérance c’est prendre part directement à une guerre. Serait belligérant le pays qui engagerait tout moyen humain (soldats) ou matériel (char) contre la Russie.

Il faut maintenant dire un mot de ce que notre collègue Samy Cohen appelait « le feu nucléaire ». Ce dernier repose sur la dissuasion nucléaire. En France elle est fondée sur notre capacité à infliger des dommages inacceptables à un adversaire qui voudrait attaquer. La dissuasion repose sur la possession de l’arme nucléaire mais aussi sur la capacité à l’utiliser par différents moyens terrestres, maritimes et aériens (Nicolas Roche, « Pourquoi la dissuasion », PUF, 2017). Désormais les textes concernant la dissuasion nucléaire sont contenus au Titre Ier (Articles R*1411-1 à R*1411-18) du Code de la Défense.  La France possède environ 300 têtes nucléaires. Ce qui la classe au 4è rang mondial.  Depuis l’origine la doctrine nucléaire française, fixée par le général de Gaulle, implique que l’emploi de l’arme ne vaut que si un adversaire s’en prend aux « intérêts vitaux du pays ».

A lire aussi: Pierre Lellouche/Ukraine: une guerre pour rien?

Il existe un paradoxe essentiel que peu d’observateurs soulignent. En l’état actuel de notre Constitution, les pouvoirs militaires sont, comme nous l’avons souligné ci-dessus, contresignés. Dès lors l’engagement du « feu nucléaire » aussi. Bien évidemment une attaque qui menacerait nos « intérêts vitaux » ne supporterait la lenteur formaliste de la procédure des contreseings. Mais impliquerait une réactivité basée sur le chef de l’Etat et les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale. Le décret d’engagement contresigné des forces pourrait être à la limite élaboré a posteriori. Ainsi que nous l’avons proposé dans notre thèse sur le contreseing sous la Vè, il serait aussi possible d’ajouter un article constitutionnel sur l’engament des forces nucléaires dispensé du contreseing (J. Guisnel, B. Tertrais, Le président et la bombe, O. Jacob, 2016).

Dernier point sur ce « feu nucléaire » : récemment Friedrich Merz, futur chancelier allemand, s’est dit favorable à se mettre sous notre « parapluie nucléaire ». Le Premier ministre polonais également. De son côté Emmanuel Macron s’est dit prêt à « ouvrir la discussion » sur l’élargissement à l’Europe de la dissuasion nucléaire française. Mais il a, à bon droit, précisé que le « bouton nucléaire » resterait une prérogative française (et élyséenne). Même s’il nous faut impérativement demeurer souverains en la matière, il est impossible de ne pas intégrer, vu l’évolution de la scène internationale, de plus en plus belliqueuse, que nos « intérêts vitaux » comportent aussi une dimension européenne. Depuis de Gaulle chaque président de la Ve République a défendu une dimension européenne de la dissuasion nucléaire à sa façon. Il n’a jamais été question de «partager» l’arme ultime, mais de considérer les «intérêts vitaux» de la France. Et puis, très prosaïquement, pourquoi ne pas envisager de « protéger » des
Etats qui le veulent moyennant une « rétribution » (un budget annuel, par exemple) ? Cela nous permettrait aussi d’entretenir et d’enrichir notre arsenal et même d’augmenter le budget Défense.  Mais attention :  « Si on étend le parapluie nucléaire, ça signifie qu’on est prêt à utiliser des armes nucléaires pour protéger potentiellement un État européen ou un État de l’OTAN. Mais ça signifie qu’en contrepartie, on s’expose à un risque de représailles de la part d’un État », souligne Christophe Wasinski, professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Des actes non soumis au contreseing sous la Vé : pouvoirs propres

L’article 19, on l’a dit,  sépare deux types de pouvoirs : les pouvoirs partagés, soumis au contreseing ministériel, et les pouvoirs propres non soumis à ce contreseing. Les premiers sont classiques en régime parlementaire alors que les seconds sont totalement nouveaux. Celui qui a inspiré les pouvoirs propres au général de Gaulle, c’est Raymond Janot, résistant et conseiller d’Etat,  il s’est spécialisé très tôt en matière institutionnelle. Comme il nous l’a confié lors de notre travail doctoral, il fallait « donner au chef de l’Etat des pouvoirs qui lui permettent d’agir seul dans certaines circonstances particulières ».

Ainsi ont été mis en place :

  •  l’art 8-1 : la nomination et la fin de fonction du Premier  Ministre
  • l’art. 11 : le référendum
  • l’art 12 : la dissolution
  • l’art. 16 : les pleins pouvoirs constitutionnels.
  • l’art. 18 : le droit de message
  • l’art. 54, 56, 61 : les rapports du président avec le CC (nominations, saisines).

A noter que, très marqué par la dévolution des pouvoirs à Pétain en 1940, le général tint particulièrement à la possibilité pour le président de recourir à des pleins pouvoirs en cas de crise grave. Comme nous l’a confié encore M. Janot, le général était persuadé qu’avec l’art. 16 le gouvernement aurait été en mesure en 1940 de ne pas céder à Pétain et de tenir face à l’envahisseur allemand. « Rien n’est moins sûr » nous précise l’intéressé.  Parmi les pouvoirs propres, ne figure aucun article relatif à la diplomatie ou à la guerre. Pour la simple et bonne raison, qu’au titre du régime parlementaire,  ils appartiennent à la catégorie des pouvoirs partagés comme on l’a vu ci-dessus.  

Il faut préciser que l’usage des pouvoirs propres est aussi fonction de la conjoncture politique. Hors cohabitation, c’est-à-dire en logique présidentialiste, la prééminence du chef de l’Etat est affirmée. En cohabitation elle est plus… mesurée. Présider c’est « cheffer » en matière de politique interne mais aussi externe. Toutefois la Constitution ne permet pas de s’arroger des pouvoirs que l’on n’a pas. Et surtout elle implique d’en partager certains avec le gouvernement. Depuis la fin de son premier mandat (Covid oblige), beaucoup de citoyens mettent en cause la manière de présider d’Emmanuel Macron. Et ce, aussi bien dans l’opposition que dans la majorité. Il apparait évident qu’on est de plus en plus dans un exercice isolé du pouvoir. Et la situation générée par la dissolution n’a rien arrangé. Bien au contraire. Qui dirige vraiment ? Sur la scène internationale, les initiatives françaises sont toujours décalées. Emmanuel Macron réunit à Paris les responsables militaires de pays européens. Certes. Dans le même temps ou presque, la paix se dessine entre Ukrainiens, Américains et bientôt Russes. Et l’UE n’y est pas. La France, encore moins. D’autant moins qu’après avoir clamé haut et fort qu’il ne fallait pas rompre le dialogue avec la Russie (position raisonnable s’il en est), le président Macron la désigne comme danger principal. Que pèse-t-il par rapport au maître du Kremlin ? L’image de la France est particulièrement dégradée en Russie. Tout comme elle s’est dégradée aux Etats-Unis. Et dans tant d’autres endroits… La junte algérienne nous humilie à chaque dossier d’OQTF. Un ex-diplomate de nos connaissances, qui a commencé sa carrière sous l’ère de Nicolas Sarkozy, nous a confié n’avoir jamais vu une politique étrangère aussi « erratique ».

Et puis, est-ce franchement digne d’un « chef » d’affoler la population comme il l’a fait dans son discours du 5 mars qui se voulait de mobilisation générale ? La Russie était dans son viseur. C’est un peu ridicule, selon nous. Cette dernière, en bientôt trois ans, n’a pas été capable de prendre Kiev et elle arriverait aux portes de Paris ? L’islamisme intégriste est un danger bien plus grave, qui a fait des dizaines de morts en France alors que la Russie aucun, observent l’opposition politique. Mais là, il ne faudrait rien dire, banlieues obligent. M. Bellatar veille… Pour conclure : « On ne mène pas une politique étrangère avec des clins d’œil et des ronds de jambe… » (Jacques Vergès).



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent « Make Industry Great Again »
Article suivant Affiche “antisémite” de LFI: selon Mélenchon, c’est la faute à l’extrême droite!
Maître de conférences en droit - Université Clermont Auvergne

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération