Carlotta remet à l’honneur un cinéma des années 80 qui fleure bon les vieilles VHS et nos vidéoclubs d’antan. Pour la première salve de cette « collection de minuit », l’éditeur nous propose de l’action pure avec des thrillers urbains portant la griffe de James Glickenhaus et un film guerrier surfant sur la vague du succès de Rambo 2 avec la montagne de muscles Dolph Lundgren.
Passons assez rapidement sur Le Scorpion rouge, sans doute le film le moins intéressant du lot. Les connaisseurs n’ignorent sans doute pas que Joseph Zito n’a jamais fait dans la dentelle, signant d’abord une des nombreuses suites de la saga Vendredi 13 (le quatrième du nom) puis s’orientant vers les films d’action bourrins avec Chuck Norris (Portés disparus, Invasion USA). Tourné juste avant la chute du mur de Berlin et l’écroulement de l’empire soviétique, Le Scorpion rouge est sans doute l’un des derniers films de propagande anticommuniste sortis sur grand écran. Dolph Lundgren y incarne un soldat d’élite de l’armée soviétique chargé de se rendre en Afrique pour abattre le chef d’une rébellion anti-communiste. Sur place, il constate que les pires exactions sont perpétrées par son camp et après moult péripéties, il se rallie à la cause des insurgés soutenus par les Yankees.
Difficile de faire film plus épais et plus schématique que ce Scorpion rouge où se succède la morne routine des explosions, fusillades et bagarres en tout genre. Pour ceux qui, comme moi, ne goûtent guère la testostérone et les armes à feu, le film risque vite d’être très rébarbatif. Et ce n’est pas le jeu monolithique de l’armoire à glace Dolph Lundgren qui changera l’affaire : on a connu des bûches plus expressives !
Après, le temps joue plutôt bien en faveur du film. Si la scène finale est d’un ennui total et sombre dans le grotesque (l’homme seul qui fait exploser un hélicoptère), le film est mis en scène avec efficacité. Face aux montages épileptiques actuels et au sentiment de totale irréalité qu’a entraîné l’arrivée du numérique, on en deviendrait presque nostalgique de ces films de gros bras virils aux découpages classiques. Le côté ultra-caricatural de l’intrigue avec ces cruels soviétiques et cubains qui imaginent les pires tortures pour leurs prisonniers fait pencher le film du côté de la bande-dessinée et il arrive même que l’on se surprenne à rire face à certaines répliques qui valent les célèbres citations de Chuck Norris (« Let’s kick some ass ! » assène doctement notre machine de guerre soviétique).
De la même manière, il est assez amusant de constater que ces films qui exaltent le plus la virilité, la force et la baston témoignent également d’une forte homosexualité refoulée. A ce titre, Le Scorpion rouge étonne parfois par le caractère homo-érotique de son imagerie : le corps sculptural et huilé de Dolph Lundgren filmé sous toutes les coutures ou presque, son petit short qui le fait ressembler à un personnage dessiné par Jacques Martin (l’auteur d’Alix, pas le présentateur de L’école des fans !), notamment lorsqu’il chasse le marcassin à coup de javelot. Tous ces petits détails font que le film n’est pas si désagréable que ça en dépit de son intrinsèque bêtise.
Plus intéressant est Blue Jean Cop de James Glickenhaus, auteur de The Exterminator aussi présent dans la « Midnight collection » (voir ici). Le cinéaste renoue d’ailleurs avec l’univers interlope du New York nocturne et traite de thématiques assez similaires : la justice, la vengeance, les frontières floues entre le Bien et le Mal. On se souvient que The Exterminator dénonçait l’absence de justice et la corruption des élites pour vanter l’autodéfense et la justice individuelle. Blue Jean Cop part d’une situation inverse. Un policier en jean se fait tirer dessus par un dealer noir que tout désigne comme le coupable idéal. Peter Weller est une sorte d’avocat commis d’office chargé d’aider ce suspect qui prétend qu’il n’a agi qu’en légitime défense.
L’intérêt du film, c’est qu’il prend le parti de défendre un sale type. Plutôt que d’opter pour un scénario politiquement correct de la victime (un noir, forcément) expiatoire d’une société raciste, Glickenhaus nous dit que même le pire salopard (il vend de la drogue à des gamins, il a été condamné pour viol) a droit à la justice. Le réquisitoire est d’autant plus fort que la « victime » n’est pas un ange : même s’il mérite la prison pour d’autres méfaits, il doit être défendu dans le cas présent. On constatera néanmoins, avec un certain étonnement, que la vente de drogue (petit couplet moralisateur du cinéaste) semble être un crime plus grave que le viol dont il n’est plus guère fait mention par la suite…
L’intelligence de Glickenhaus, c’est donc de brouiller les frontières entre les notions de Bien et de Mal. Si un petit voyou peut aussi être innocent et mériter une justice impartiale, les flics peuvent aussi être corrompus et user de leurs prérogatives pour faire le Mal. On retrouve alors ce qui faisait le sel de The Exterminator : une vision pessimiste du monde et d’une ville gangrénée par la corruption et l’appât du gain. Pourtant, Blue Jean Cop se révèle aussi plus léger puisque le cinéaste mêle à ça une comédie de reconquête sentimentale entre le commis d’office (Peter – Robocop – Weller) et la juge d’instruction mais aussi un « film de potes » avec un flic viril (Sam Elliott) qui fait la paire avec le chétif Weller.
Ce qui séduit dans le film, c’est son côté « série B » sèche et sans bavure. Le découpage est précis, les scènes d’action n’empiètent pas sur la caractérisation des personnages et le cinéaste filme plutôt très bien son décor urbain
Ce sont aussi ces caractéristiques qui font l’intérêt de Maniac cop, sans doute le plus réussi des quatre films de la collection. On retrouve d’ailleurs le nom de James Glickenhaus mais, cette fois, comme producteur de l’œuvre. A la réalisation, William Lustig que les amateurs connaissent pour l’excellent Maniac. Venu du cinéma d’exploitation (il a commencé par réaliser des pornos), Lustig en a gardé la concision et l’inventivité.
Maniac cop reprend un peu le même argument que son célèbre slasher mais, cette fois, c’est un homme de loi (un flic) qui sème la terreur dans la population en assassinant aveuglément. Les soupçons commencent par se porter sur Jack Forrest (Bruce Campbell) parce que sa femme a été tuée et qu’elle le soupçonnait. Puis on réalisera – je le révèle car ce n’est finalement pas un enjeu dramatique très fort dans le film – qu’il s’agit d’un vétéran flic passé par la case prison, laissé pour mort et qui entreprend de se venger.
Le film navigue entre plusieurs eaux : le thriller urbain de série B (là encore, on est saisi par la précision du découpage), le slasher horrifique avec son psychopathe qui agit dans les recoins sombres de la ville pour faire couler le sang et le vigilante movie à la Glickenhaus puisque le tueur ne fait finalement que se venger.
A un moment donné, une complice du « flic fou » prétend qu’elle l’a aidé parce qu’elle pensait qu’il allait se venger des vrais coupables, des individus corrompus qui l’avaient envoyé au casse-pipe. En montrant les conséquences désastreuses de ces gestes, Lustig prouve l’inanité même de la question de l’auto-justice et de la vengeance.
Maniac cop fait aussi partie de ces films new-yorkais montrant la « grosse pomme » comme un foyer de corruption et de violence. La sécheresse du trait du cinéaste lui permet de dresser le panorama d’une ville où les frontières entre la légalité et l’illégalité sont entièrement poreuses et où l’uniforme de la Loi revêt les pires crimes.
Avec les deux films de Glickenhaus, Maniac cop partage cette économie de série B qui permet à Lustig de parler très précisément d’un état du monde à un moment donné sans avoir recours à de longs discours.
Sec comme un coup de trique, son film est une jolie petite réussite.
Midnight Collection (Éditions Carlotta Films). Sortie en DVD le 6 juillet 2016.
– Blue Jean Cop (1988) de James Glickenhaus avec Peter Weller.
– Maniac cop (1988) de William Lustig avec Bruce Campbell.
– Le Scorpion rouge (1989) de Joseph Zito avec Dolph Lundgren.
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