« La seule famille qui existe est la traditionnelle. Pas de progéniture artificielle ou d’utérus en location : la vie coule de son propre flot, il y a des choses qui ne devraient pas être changées ». Frigide Barjot ? Eric Zemmour ? Ou encore Michel Onfray, dans un scandaleux et énième tressautement réactionnaire ? Non, Domenico Dolce et Stefano Gabbana, tandem emblématique de la grande maison italienne Dolce & Gabbana, par ailleurs en couple dans la vraie vie jusqu’en 2005.
La bombe a été larguée dans un entretien accordé au journal italien Panorama ce 12 mars 2015. Loin des discours relativistes qui théorisent sur les liens du cœur et « la famille qu’on se choisit », les deux compères font l’éloge du sang et rappellent en outre que « la famille n’est pas une mode passagère, mais un sentiment d’appartenance surnaturel ».
Ces propos, qui ne sont pas sans rappeler ceux de Guido Barilla en 2013, ont fait bondir les associations militantes. Le site LGBT Italia News a, le premier, vivement réagi par une longue lettre et un appel au boycott relayé par le hashtag #BoycottDolceGabbana.
La poudre est jetée, le feu commence à prendre, le scandale est imminent et même Elton John s’est empressé d’annoncer sur Instagram qu’il ne porterait plus jamais de vêtements de la marque, escorté et soutenu par d’autres célébrités telles que Courtney Love et Victoria Beckham.
Il y a quelques jours déjà, à l’occasion de la Semaine de la Mode de Milan, le défilé Dolce & Gabbana avait fait grincer quelques dents : à notre époque de femmes sans utérus, la maternité y était scandaleusement mise à l’honneur. Ce fut une procession de mannequins vestales portant des nouveau-nés dans leurs bras frêles et de belles robes brodées des mots « Je t’aime Maman ». Bianca Balti, magistrale et féline égérie de la marque, y faisait elle-même parader sa grossesse rayonnante.
Cela n’avait pas été du goût de tout le monde. Peu après, dans LePlus de l’Obs par exemple, Charlotte Barbaza s’inquiétait. Rappelant à juste titre que la place de jeunes bambins n’était peut-être pas sous le feu des projecteurs et des regards observateurs, elle critiquait le tournant réactionnaire opéré par le tandem : un défilé à son goût un peu « sexiste », probablement « conservateur », en tout cas « gênant ».
Renvoyer la femme à l’une de ses facettes les plus naturelles, et par là-même l’une des plus épanouissantes, en effet, quelle provocation !
Quelle provocation aussi, de la part des deux inséparables créateurs, que de marteler à longueur d’entretiens et de créations leur immense respect pour la figure maternelle. « Je ne peux imaginer mon enfance sans ma maman. Je pense aussi qu’il est cruel d’arracher un bébé à sa mère », clamait il y a peu Stefano Gabbana, qui se dit farouchement opposé à la gestation pour autrui (GPA), tandis que Domenico Dolce reconnaissait n’être « pas convaincu » par ceux qu’il nomme « les enfants de la chimie » ou encore « les enfants synthétiques » produits par des méthodes artificielles.
Ce qu’il faut retenir, dans les propos de nos deux Italiens, ce n’est pas tant l’allégeance à la famille traditionnelle (hautement contestable tant ses fondations patriarcales sont strictement culturelles) que celle faite aux liens du sang et à sa figure éternelle trop souvent malmenée par la modernité : la mère. Car les liens du sang, c’est elle.
« Mère sûr, père pas sûr », répète la sagesse populaire comme on martèle un aveu de la nature. « Maman », répète et balbutie l’enfant à peine investi du pouvoir de la parole, se nichant contre le sein de celle qui est la source de tous bonheurs et de tous maux.
La première femme de la vie d’un homme, celle qui donnera son visage à toutes les autres, qui forgera par son amour et son désamour l’adroit ou l’écroulé, le sain ou l’infirme, le magnanime ou le tortionnaire.
La première femme de la vie d’une femme, celle qui élève ou flétrit les féminités naissantes, condamne à l’ombre ou à la lumière les destinées des jeunes pousses dont elle a la charge.
Initiatrice des rêves et des cauchemars, gardienne des mondes, source potable ou toxique, Eve, Folcoche ou Amalthée, de son vrai nom : Maman.
C’est une mystérieuse histoire qui commence avant même la venue au monde, c’est un sanctuaire silencieux dans lequel nul ne saurait s’introduire sans danger.
Et c’est cela que Dolce & Gabbana sont venus répéter à ceux qui croyaient pouvoir l’oublier. Ils sont la mauvaise conscience d’une société qui ne veut pas qu’on discute de son égoïsme sur la place publique, qui aimerait qu’on la laisse faire ses bêtises en feignant de n’avoir rien vu et qui fustige ceux qui viennent poser les doigts sur ses hématomes.
Car notre société n’aime pas les mères, bien qu’elle s’en défende. Elle n’aime pas les mères car elle n’aime pas la nature et les liens du sang.
Elle n’aime pas ce qui lui paraît injuste car en bonne coquille vide, elle n’a ni Dieu ni ciel pour lui expliquer le pourquoi des choses.
Naturellement, elle déteste le destin, alors il va sans dire qu’elle hait de toutes ses forces la maternité, ce fleuve qui suit sa route sans dévier de son cours.
A l’heure où tant de femmes peinent à concilier tous les rôles que la société les somme d’endosser, hallelujah ! La mère est sans égaux et sans rivaux. C’est Dolce & Gabbana qui vous le dit.
A une époque où les mères sont arrachées à leurs nouveau-nés après 4 mois de congé maternité afin que des inconnues puissent s’occuper d’eux et que les premières puissent retourner gentiment gagner leur croûte, merci, enfin, de remettre cette figure sur le piédestal dont elle a été sauvagement chassée. Le ciel vous le rendra en mille.
Le vent tourne, la nature reprend ses droits et la mode s’incline. Dolce & Gabbana prend le large et se démarque de la morale « progressiste » en vigueur dans les sphères artistiques. Nul doute que ces propos bienvenus feront tempête. Peut-être coûteront-ils même assez cher à l’illustre maison, qui s’empressera dans les jours qui viennent d’arrêter l’hémorragie, par un communiqué consensuel ou par le silence médiatique. Mais ils permettront au moins d’instiller un peu de nature, de sagesse et d’air frais là où il n’y a qu’efficience, civilisation, béton et néons urbains.
*Photo : Antonio Calanni/AP21416581_000005
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