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Dois-je me plier à « une éthique du silence »?

Le silence est en certaines circonstances plus sage que la parole, dit-on...


Dois-je me plier à « une éthique du silence »?
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Dans notre monde médiatique bavard, qu’on dit affecté par la « brutalisation » du débat, c’est parfois le silence qui est le plus éloquent. Qu’en pense notre chroniqueur, à la tête de l’Institut de la parole ?


Dans le livre de Jean Birnbaum Le Courage de la nuance, il est écrit que « parfois une éthique de la mesure est une éthique du silence ».

J’aime la pensée et l’écriture d’autres, qui vous obligent, quand soi-même on est prêt à les accueillir, à remettre en cause ce qu’on a toujours cru, ce qui vous est apparu tellement naturel que jamais vous ne l’avez discuté. Je me suis demandé, saisi par l’interrogation que cet ouvrage m’a inspirée, si je n’avais pas trop dérogé à cette « éthique du silence » dont je comprenais l’exigence mais que je n’avais guère cultivée.

Zone sensible

Pourtant j’ai admiré et je continue à admirer les personnalités qui opposent un refus ferme aux sollicitations médiatiques nombreuses qui leur sont adressées. Je songe par exemple à Jean-Jacques Goldman, à Mylène Farmer, à Catherine Deneuve ou au si regretté Michel Blanc et, à l’étranger, à Adele, Bradley Cooper ou Bill Murray. Il y a également des intellectuels qui évitent de venir sur les plateaux de télévision parce qu’ils considèrent que cette implication rendrait impossible l’expression de la moindre complexité.

En même temps, et à rebours, tous les jours j’éprouve comme un malaise devant la surabondance médiatique d’autres, qui résulte de la constance des médias – de droite ou de gauche – à inviter les mêmes pour être à l’abri de la moindre imprévisibilité. Et, sur certains sujets, il n’y a pas la moindre surprise. Malgré l’inventivité et la volatilité de l’actualité, il y a en quelque sorte des titulaires…

Oscillant entre ces deux extrémismes, je m’en suis tenu à ce qui me paraissait une évidence : quand on s’efforce de penser, d’écrire et d’user le plus correctement possible de l’oralité, on n’a aucune raison de fuir l’affirmation de soi. Non pas pour extérioriser une quelconque volonté de pouvoir mais, tout simplement, par souci de justifier son existence et par passion du débat d’idées. Il n’y a pas une once de narcissisme dans cette obligation même si on confond souvent ce besoin humain de prendre sa part dans le débat pluriel d’une société et des médias avec une posture vaniteuse.

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Aussi, longtemps, n’ai-je jamais eu l’impression de sortir de ce que ma nature, mes envies, mes idées me dictaient. Cela me semblait être le comportement banal de quelqu’un qui, sans surestimer ce qu’il offrait, se sentait cependant légitime pour le proférer ou l’écrire. Il y avait, derrière cette normalité, à bien y réfléchir, sans doute l’espoir qu’on était attendu, que ce qu’on avait à dire, sans être forcément fulgurant, méritait au moins d’être lu ou entendu.

Pourtant cette « éthique du silence », correspondant à « une éthique de la mesure », m’a questionné, comme si elle touchait en moi une zone sensible et qu’elle représentait une aspiration secrète, un désir jamais assouvi, un regret de n’avoir su déserter l’expression publique ou médiatique au bénéfice d’un silence infiniment porteur de sens.

Mais pourquoi la mesure, une pratique de la nuance devraient-elles conduire au silence, à partir du moment où on s’imagine n’avoir pas à les répudier quand on s’exprime ? Pourtant je perçois clairement des séquences où, sur les réseaux sociaux, oralement ou par écrit, en peu de signes ou plus longuement, j’aurais peut-être dû arbitrer en faveur de l’abstention.

Exister c’est insister

Parce qu’on n’en savait pas assez. Parce que trop s’étaient déjà prononcés. Parce qu’on n’aurait rien ajouté d’essentiel à la masse déjà profuse. Parce qu’à aucun moment on n’était motivé par ce prurit irrésistible de l’adhésion ou de la contradiction, par l’enthousiasme ou l’indignation, par cette légère touche de conscience de soi vous faisant croire à une obligation impérieuse d’ajouter votre pierre. Parce que, surtout, j’avais un tempérament totalement étranger à l’allure d’un silence durable, à la politique du retrait et de l’effacement.

Parce que, pour moi, exister c’est insister et que si, au contraire, on a une vision aussi réduite de son rôle sur Terre et dans la vie, une si piètre conception de son utilité, on serait bien en peine de se juger nécessaire à soi et aux autres. Il faudrait alors se supprimer d’une manière ou d’une autre…

Je vais dorénavant m’attacher davantage, non pas à la mesure (qui n’est ni tiédeur ni faiblesse mais victoire contre l’outrance) mais à son éventuelle conséquence éthique : le silence. Il y a une morale qui prône la liberté d’expression, la volonté d’être soi.

Pourquoi pas une morale du silence éloquent ?

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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