À peine revenu de ma Suisse natale, la rumeur parisienne m’a chuchoté les noms du probable prix Goncourt, Patrick Deville, et celui de l’écrivain par qui le scandale ne manquerait pas d’arriver, Richard Millet. Je me suis aussitôt procuré : Peste et Choléra, ainsi qu’Éloge littéraire d’Anders Breivik. Le premier est une biographie, aussi surprenante que talentueuse, d’un de mes compatriotes vaudois, le biologiste Alexandre Yersin qui a découvert le bacille de la peste et vécu au Vietnam où il est considéré aujourd’hui encore comme une légende. On comprend que Patrick Deville ait mis en exergue à son livre ces deux vers de Jules Laforgue :
» Ah! oui, devenir légendaire,
Au seuil des siècles charlatans ! »
Entrer dans la légende : Anders Breivik a tenté le coup en Norvège. Les meurtriers de masse se bousculant en ce siècle charlatan (mais quel siècle ne l’est pas ?), il lui manquait une caution littéraire. Il l’a trouvée avec Richard Millet qui brigue la place convoitée d’écrivain le plus haï de France. Il est parvenu en une vingtaine de pages souvent brillantes à obtenir ce dont rêvent tous les auteurs : une page dans Le Monde où le troupeau des bienpensants bêle son embarras. Car Richard Millet n’est pas n’importe qui : éditeur chez Gallimard, il a à son actif quelques prix Goncourt et une solide réputation d’écrivain ne mâchant pas ses mots. Fallait-il pour autant plaider la cause d’Anders Breivik, tout en condamnant les massacres commis par ce croisé anti-islamiste ? Avouons que nous nous sommes délectés à la lecture de cet opuscule, sans partager pour autant les analyses socio-politiques souvent farfelues de Richard Millet. Peu importe d’ailleurs : qu’un écrivain dise ce qu’il pense et qu’il le dise avec talent est devenu si rare que nous sommes prêts à prendre sa défense, même si le soldat Breivik ne mérite sans doute pas d’être sauvé. Et félicitons dans le même élan la justice norvégienne de l’avoir reconnu responsable de ses actes. À vrai dire, c’est la seule chose qui lui tenait vraiment à cœur. On ne se lance pas dans une entreprise aussi insensée pour être in fine discrédité par la psychiatrie. Et concluons avec Alexandre Yersin qu’entre la peste et le choléra, l’humanité est bien mal lotie. Une seule solution : la fuite. Dans la science, la littérature…ou le crime.
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