Il était écrit que la crise de la monnaie unique, pudiquement appelée « crise de la dette » pour ne pas écorner l’intime conviction des eurocroyants, finirait par secouer la robuste Allemagne. Et pour cause : ce grand pays exportateur réalisant une bonne partie de ses ventes au sein de l’Union européenne, dont 40% dans l’eurozone, il était inévitable que les cures d’austérité imposées par le couple Merkozy aux insoumis du Club Med finissent par priver le fameux « made in germany » d’une partie de sa clientèle. Ainsi, alors que les Allemands avaient battu des records de croissance en 2010 – 3,6%, contre une moyenne de 1,7 % dans la zone euro –, la croissance allemande pour 2012 vient d’être revue à la baisse, avec un taux prévisionnel estimé entre 0,7% et 1% selon les instituts.
De surcroît, l’Allemagne et la France étaient les garants en dernier ressort de la survie de l’ensemble et les principaux assureurs du FESF (Fonds européen de stabilité financière). Or, on le sait, la France est sur le point de perdre son cher « triple A ». Son « rating » est mauvais et son « spread » s’envole. Les anglophones et les banquiers comprendront. Traduction pour les non-initiés : on est mal barré.
Au final, l’Allemagne pourrait se retrouver dans le rôle peu enviable d’unique assureur d’une zone économique en pleine Bérézina. De quoi vivement entamer la confiance des marchés, au risque de nuire à son « rating » et de dégrader son « spread », par exemple avec la Grande-Bretagne, ainsi que cela s’est d’ailleurs produit vendredi 25 novembre. Dès lors, une seule conclusion s’impose : « wir gehen in die Mauer ». Les germanophones comprendront. Les banquiers pas forcément. Pour les autres, notez simplement ceci : on est mal barré.
C’est en toute discrétion que notre partenaire allemand vient d’ailleurs de gérer un « ratage complet de son adjudication de Bunds », selon l’expression fleurie choisie par le site de l’Agefi. Pour ceux qui ne parlent ni l’anglais, ni l’allemand, ni le volapük de Goldman Sachs, cela signifie que l’Allemagne a eu du mal à trouver des emprunteurs pour acheter ses obligations. En fin de semaine dernière, elle a en effet proposé pour six milliards d’euros de « Bunds » au taux de 1,8%. Berlin n’a finalement réussi à en vendre que 3,8 milliards, à un taux réévalué à 1,96%. Le solde, quant à lui, a été souscrit par… la Bundesbank[1. La banque centrale allemande].
L’achat de titres de dettes par une banque centrale… Ne s’agit-il pas là de la fameuse « monétisation » interdites par les traités européens parce qu’inflationniste ? Nous avons dû nous tromper dans l’interprétation de l’article 123 du traité de Lisbonne, qui semble pourtant stipuler : « il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres (…) d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union (…) l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est également interdite ». Las, ce sabir de juristes ne doit pas être intelligible aux locuteurs du baragouin abscons des banquiers.
Pourtant, l’affaire semblait faire consensus outre-Rhin. Nous en voulons pour preuve l’inflexibilité de la chancelière Merkel lors du sommet tripartite de la semaine dernière, où elle opposa un nein sans concession à ses interlocuteurs Monti et Sarkozy.
Le premier plaidait pour la mise en place d’Eurobonds, solution à caractère fédéral, dont on se félicitera qu’elle ait été écartée. Le second pensait profiter de la dynamique en cours de révision des traités pour faire retoucher les textes relatifs au statut de la Banque centrale européenne. Nicolas Sarkozy souhaite en effet – avec raison – que la BCE soit désormais autorisée à monétiser, exactement comme le font la Réserve fédérale aux Etats-Unis, la banque centrale d’Angleterre au Royaume-Uni, et même- l’air de rien- la Bundesbank en Allemagne !
Ainsi donc, l’Allemagne s’autorise à violer les textes qui proscrivent explicitement la monétisation des dettes publiques. Mais elle se réserve ce droit de manière exclusive. Pas question, en effet, que cette possibilité utilisée par la « Buba », se voie étendue à la Banque centrale européenne, et donc à l’ensemble des vilains laxistes de la zone euro. Pour ces derniers, un seul mot d’ordre : austérité, austérité, austérité.
La plupart d’entre nous ont déjà compris. Les autres, notez simplement ceci : on se paie allègrement notre tête.
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