Sacré hier à Roland-Garros pour la troisième fois de sa carrière, le Serbe est devenu le joueur le plus titré de l’histoire en Grand Chelem avec 23 titres.
Il triomphe, il terrasse, il flamboie, il agace, il irrite, il dérange, il clive. Mais il met tout le monde d’accord dès qu’il prend possession d’un court sur quelque continent que ce soit. Vingt-trois grands chelems, qui dit mieux ? Ou plutôt qui dira mieux désormais… À part Djokovic lui-même, peut-être bien ? Bref, l’homme frise le surhomme à maints égards. Ceux qui le côtoient ne cachent pas – en privé – qu’il atteint ce niveau, qu’il s’y maintient avec une telle constance – à trente-six ans – au prix d’une approche quasi obsessionnelle ou névrotique, non seulement de son sport, mais de sa vie même. Voire. On se doute bien qu’un tel parcours ne se réalise pas en se contentant du minimum et moins encore dans le culte de la désinvolture. Certes non. Alors, évidemment, on est tenté de se demander si l’extraordinaire force mentale dont cet immense compétiteur fait montre d’exploit en exploit ne se nourrirait pas d’une autre force, morale celle-là. Voire spirituelle. À peine remis de l’émotion de son vingt-troisième succès en grand chelem à Roland Garros, il prend le micro qu’on lui tend et quel est le mot qui, dans le flux des propos de convention, lui vient aux lèvres ? C’est le mot de « valeurs ». Les valeurs que quotidiennement, confesse-t-il ainsi urbi et orbi en prédicateur missionné, il s’efforce d’inculquer à ses enfants, adorables au demeurant. Son enfance à lui, c’était déjà le tennis. Pratiqué d’emblée frénétiquement. À ceci près qu’il devait jongler avec les bombardements de son coin de Serbie pour caler ses entraînements. C’était la guerre. Les enfants des guerres ne deviennent jamais des adultes comme les autres. Le temps était compté, on enchaînait les tie break plutôt que des jeux entiers ou des sets. D’où peut-être bien son insolente supériorité dans cet exercice encore aujourd’hui ? Cette incursion en territoire de « valeurs » me semble receler un aveu surprenant et magnifique. L’aveu que ce qui le fait se lever chaque matin et se battre jour après jour dépasse de loin les motivations habituelles du sportif, du guerrier des stades où de la piste, juste occupé de force musculaire, d’énergie mentale et de gloire clinquante. Chez lui, il y a au-dessus de cela une implication qui, je le pense, ressortit à une forme de mysticisme. Ce serait cela le vrai grand secret. Et je ne peux m’empêcher de voir en Novak Djokovic, raide de maintien, marmoréen dans la plupart de ses attitudes, une espèce de moine soldat des courts. La raquette est son glaive. Et la coupe des Mousquetaires qu’il brandit, une préfiguration du graal ultime à la conquête duquel il ne cesse de rêver. Et dont il est probablement le seul à connaître le secret. Quelque chose comme le surpassement de l’être au point qu’il n’y a plus rien à prouver, non seulement à quiconque, mais d’abord à soi-même.