Accueil Société Les djihadistes ne sont pas des victimes de nos sociétés « postcoloniales »

Les djihadistes ne sont pas des victimes de nos sociétés « postcoloniales »


Les djihadistes ne sont pas des victimes de nos sociétés « postcoloniales »
"Marche pour la dignité" à Paris, octobre 2015. SIPA. 00728849_000004

André Versaille publie en ce moment un feuilleton sur le site du Monde, intitulé: « Les musulmans ne sont pas des bébés phoques »

Pourquoi la révolte de jeunes, à laquelle nous assistons en France et dans l’Europe de l’Ouest, s’est traduite par une radicalisation religieuse musulmane fanatique, et non, par l’adoption, par exemple, d’une idéologie ultragauchiste ou fasciste ?

Le politologue spécialiste de l’islam Olivier Roy[tooltips content=’Auteur notamment de Le Djihad et la Mort, Paris, Seuil, 2016.’]1[/tooltips] parle d’une « révolte générationnelle nihiliste ». Il estime que ce n’est pas l’islam qui s’est radicalisé, mais les jeunes radicaux qui se sont islamisés, et que ceux-ci auraient tout aussi bien pu jeter leur dévolu sur une autre idéologie. Il ajoute que « le terrorisme n’est pas une conséquence du salafisme ». Quant à l’efficacité du discours salafiste, Roy l’explique par sa valorisation, chez ces jeunes, de ce qui devrait au contraire les déprécier, à savoir leur ignorance de la religion musulmane. Cette impéritie devient un gage d’innocence : ce que tes parents t’ont transmis n’est pas le véritable islam (l’absence de fanatisme dans la foi des parents témoigne de la dégénérescence de leur croyance) ; nous allons t’enseigner la vraie Voie de Mahomet, et tu la comprendras mieux qu’eux parce que tu n’es pas contaminé par un islam corrompu. En les sortant symboliquement de leur indigence culturelle, les salafistes font accéder ces jeunes au rôle de détenteurs et de passeurs de la vérité divine. On comprend, dès lors, la perte chez ces derniers de tout sentiment de respect pour leurs parents, et l’imminence de leur rupture avec la famille.

La fabrique des crétins?

Que certains jeunes Français, de culture musulmane ou convertis, mus par un mélange de malaise et de haine diffusé notamment par les réseaux sociaux, se soient saisis de la religion musulmane pour donner un semblant de sens à leur révolte est bien sûr tout à fait probable. Cependant, à considérer cette radicalisation comme un phénomène uniquement générationnel et propre aux sociétés occidentales (ce sont nos jeunes, et c’est notre système qui en a fait des djihadistes, entend-on parfois), sans tenir compte de l’environnement mondial qui voit la sphère islamique se radicaliser un peu partout dans le monde, revient à considérer, à l’instar d’Edwy Plenel, le problème du djihadisme en France comme franco-français. Est-il si évident que des jeunes de banlieue ne subissent pas (ou très peu) l’onde de choc produite par la vague djihadiste mondiale ? Olivier Roy signale que beaucoup de ces jeunes ignorent pratiquement tout de l’islam. Je veux bien le croire, mais est-ce significatif ? Nombre de soixante-huitards et post-soixante-huitards se sont engagés dans des combats gauchistes ou communistes sans avoir lu Marx.

Étant donné la prégnance exercée, aujourd’hui encore sur nombre d’esprits, par l’idéologie tiers-mondiste, on ne s’étonnera pas de voir des tenants de celle-ci se mêler du débat. Ainsi, pour contester la vision d’Olivier Roy, le directeur de recherche au CNRS, François Burgat[tooltips content=’Directeur de recherche CNRS à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam), auteur notamment de Comprendre l’islam politique, Paris, La Découverte, 2016.’]2[/tooltips], invoque-t-il la mémoire de la colonisation : voir « dans les djihadistes français “des pieds nickelés” “nihilistes”, des individus invertébrés totalement coupés de leur milieu, ne permet pas […] de penser la responsabilité – essentielle – des non-musulmans. Olivier Roy énonce d’une manière bien peu convaincante le postulat de cette imperméabilité supposée des djihadistes vis-à-vis des stigmatisations en tous genres subies par leurs coreligionnaires […]. La colonisation ? Ils ne l’ont pas connue ! Nos bombes ? Elles n’ont rien à voir avec les leurs ! Le monde musulman ? Ils ne le connaissent pas ! » Et Burgat d’ajouter, comme on pouvait s’y attendre : « Je considère que nous sommes en réalité les partenaires indissociables de cette violence trop simplement qualifiée d’“islamique” par les uns, de “nihiliste” par les autres. […] Le recours à la violence sectaire fait donc suite à des dysfonctionnements majeurs du “vivre-ensemble” européen ou oriental qui poussent ces individus à la rupture. […] La question n’est donc pas pour moi de combattre les djihadistes mais d’arrêter de les fabriquer. »

L’ « indigénisation » de la République

Et voilà : les milliers de djihadistes français ne sont que le produit de nos dysfonctionnements postcoloniaux… Question : s’il s’agit d’une réponse à la situation postcoloniale dans laquelle les musulmans se sentent étouffés, d’où vient, comme le demande Olivier Roy, que les djihadistes « tuent bien plus “d’hérétiques” que de “croisés”, sans même voir que nombre de ces “hérétiques”, en l’occurrence les chiites pro-iraniens, partagent leur rejet d’Israël et leur haine de l’impérialisme occidental (ce que Burgat ne peut expliquer, à moins de parler de malentendu ou d’aliénation au sens marxiste) ».[tooltips content=’Olivier Roy, Le Djihad et la Mortop. cit.‘]3[/tooltips] Question subsidiaire : qu’en est-il des djihadistes belges, allemands ou hollandais, citoyens de pays où il n’existe pas de contentieux colonial avec le monde arabe ?

A lire aussi: Le colloque sur « l’islamophobie » de l’université Lyon-2 n’aura pas lieu

N’est-il pas évident, comme le dit Gilles Kepel, que si l’on veut comprendre ce nouveau terrorisme qui sévit en Europe de l’Ouest il faut d’abord prendre en compte la radicalisation de l’islam qui bouleverse le monde musulman et mesurer l’influence du discours salafiste hégémonique exporté dans les banlieues ? Mais cette démarche se heurte à notre interdit idéologique : la volonté, d’un côté, de diluer le djihadisme dans une radicalisation « nihiliste » somme toute « banale », de l’autre, de l’expliquer par des « dysfonctionnements majeurs du “vivre-ensemble” européen », témoigne de notre peur, encore et toujours, d’être accusé d’islamophobie. Une fois de plus, nous nous égarons dans le déni et l’autocensure ; nous écartons toute interrogation quant à l’utilisation idéologique de l’islamisme ; nous excluons l’analyse critique d’un phénomène qui contredit notre vision dominants / dominés ; nous refusons de voir combien le djihadisme, par l’exportation en Europe de sa dynamique salafiste, incite à la contestation violente de nos valeurs démocratiques. Et une fois de plus, nous choisissons de mettre en cause notre culture « blanche néocoloniale » que nous voulons à tout prix tenir pour responsable de la radicalité dans laquelle s’est engouffrée une frange de la jeunesse française de culture musulmane, sans voir que nous nous rendons complices des religieux salafistes et des Indigènes de la République dans leur projet de destruction de la démocratie laïque.

Retrouvez André Versaille sur son blog, Les musulmans ne sont pas des bébés phoques

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