Jeudi, en début d’après-midi, Zale Thompson, 32 ans, s’est précipité, une hache à la main, sur quatre policiers qui patrouillaient dans le Queens. Deux policiers ont été touchés – dont un grièvement – avant que leurs collègues ne dégainent et n’abattent l’agresseur. Ce matin, la police newyorkaise et le SITE (centre américain de surveillance des sites islamistes) ont informé la presse que Thompson présentait le profil d’un islamiste aux idées extrémistes. Ainsi, ce SDF avait diffusé sur sa page Facebook sur sa page un appel en arabe à la lutte armée. Si l’on peut se demander s’il comprenait ce qu’il publiait, une vidéo qu’il a postée sur YouTube il y a un mois dissipe nos derniers doutes : l’ancien marine y déclare que « le jihad est une réponse justifiable à l’oppression des sionistes et des croisés ».
Un peu plus de 24 heures après l’agression perpétrée par Zale Thompson, Michael Zehaf-Bibeau, un Canadien de 32 ans qui se faisait appeler Abdul et dont l’extrémisme était tel qu’il avait été exclu d’une mosquée de la banlieue de Vancouver, tuait un militaire en faction devant un monument aux morts, puis pénétrait dans l’enceinte du Parlement. Tirant en tous sens, il terrorisait la ville, voire le pays tout entier, avant de se faire tuer. En juillet dernier, « Abdul » avait été empêché in extremis d’embarquer sur un vol à destination de la Turquie afin d’accomplir son jihad en Syrie aux côtés de l’Etat islamique. Relocalisant son Jihad à Ottawa, il a retourné sa violence contre la société canadienne. Jamais deux sans trois, dit-on : la semaine du jihad avait justement été lancée par Martin Couture-Rouleau, un canadien de 25 ans, que la presse de son pays qualifie de « sympathisant de Daech ». Ce « fan » de l’Etat islamique, converti à l’islam le plus extrémiste il y a un an, se faisait appeler Ahmad. Lundi, il a écrasé avec sa voiture deux militaires canadiens dans le parking d’un centre commercial, avant de se faire tuer à l’issue d’une course-poursuite avec la police.
On dit qu’il n’y a pas de lien entre ces trois personnes dont les chemins ne se sont jamais croisés. C’est évidement faux. Ils ont tous les trois répondu au même appel : un jihad à la petite semaine, au coin de la rue avec les moyens du bord. En l’occurrence, l’appel au combat n’est pas une métaphore. Il y a un mois, l’Etat islamique avait appelé les musulmans du monde entier à tuer des ressortissants des pays – , notamment Américains et Français – engagés dans la coalition internationale mise en place pour le combattre en Irak et en Syrie.
Dans un appel bien précis, enregistré en arabe puis traduit en anglais et français, Abou Mohammed al-Adnani (Taha Subhi Falaha, de son vrai nom), porte-parole de l’EI, a exhorté ses fidèles à passer à l’acte : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen – en particulier les méchants et sales Français – ou un Australien ou un Canadien, ou tout autre citoyen des pays qui sont entrés dans une coalition contre l’État islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière […] Tuez le mécréant qu’il soit civil ou militaire ». Il donne ensuite des instructions sur la manière de mener le Jihad sans armes ni explosifs : « Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le ». Les deux Canadiens et l’Américain qui se sont attaqués, avec ce qu’ils avaient sous la main, aux porteurs d’uniformes dans des pays engagés contre l’EI ont scrupuleusement suivi ces instructions.
Nous sommes donc devant une vague d’attentats « système D ». Et les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là : il est probable qu’il n’y ait pas de solutions efficaces à ce mode opératoire sans doute appelé à se banaliser. Si les lieux sensibles – gares, aéroports, bâtiments publics etc. – bénéficient déjà d’une protection étroite, désormais, partout, tout un chacun est une cible ambulante. C’est bien le problème.
Ce type de terrorisme artisanal n’est pas planifié comme l’était le terrorisme du XXe siècle par des stratèges qui envoyaient des commandos exécuter leurs ordres. Nous sommes devant une mode d’action « citoyen » où chaque fêlé greffe ses pathologies psychologiques et ses griefs personnels sur une « cause », certes vague mais extrêmement mobilisatrice. Autrement dit, l’islam est devenu une marque qui incarne le refus absolu, le rejet de tout et l’alibi d’une rage, peu importe son origine, qu’on ne peut plus contenir.
Par une sorte de coïncidence, les premiers à avoir identifié le potentiel radical de l’Islam, il y a un siècle, étaient aussi Américains. Dans le Détroit des années 1920, certains noirs issus de l’exode des descendants d’esclaves fuyant la misère et les lynchages des Etats du Sud, ont fondé la Nation de l’Islam (NOI). Sans s’embarrasser de considérations les fondateurs de la NOI, Wallace Fard Muhammad et Elijah Muhammad, utilisaient l’islam comme voie de rupture totale avec une culture américaine pétrie de christianisme. La référence islamique les faisait notamment changer radicalement de prénom et de nom. Les « noms d’esclaves » (souvent tirés de l’Ancien et du Nouveau testament) laissaient place à des prénoms arabes et coraniques (Cassius Clay devenant Mohamad Ali). L’islam permettait ainsi à ces noirs américains de faire un pas de côté, de sortir d’une histoire et d’en intégrer une autre. Un peu moins d’un siècle plus tard, la boucle semble bouclée. Avec pour toute substance un rejet absolu de l’Occident (tout ce qui a trait à la chrétienté, au judaïsme et à la modernité), l’islam radical revient en Amérique du Nord via Internet pour transformer marginaux et délinquants en soldats d’Allah et justifier toutes leurs revanches et règlements de compte – réels et surtout imaginaires.
*Photo:Justin Tang/AP/SIPA.AP21642599_000002
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