L’année 2024, celle des Jeux olympiques et de Notre-Dame, est également celle d’une mémoire qui oscille entre repentance et oubli sélectif. À travers des postures mémorielles controversées, Emmanuel Macron semble avoir davantage alimenté les fractures qu’inspiré l’élan collectif d’une nation en quête de repères.
Les motifs de fierté et d’unité nationales, exprimés lors des derniers vœux présidentiels, auraient pu être satisfaits en 2024, année qui, outre les opportunités des Jeux olympiques à Paris et de la réouverture de Notre-Dame, offrait l’avantage d’être un anniversaire décennal de la libération du territoire national.
Au contraire, à la faveur d’une conjoncture internationale dégradée et d’une situation nationale déstabilisée, l’année écoulée restera comme une des périodes les plus troubles et des plus fracturées de la Ve République, les postures mémorielles présidentielles, subjectives et contrites, n’ayant d’ailleurs pas contribué à exalter ces « forces morales » de la nation, dont pourtant Emmanuel Macron s’est parfois fait le chantre.
Certes, on ne peut attendre de cérémonies mémorielles qu’elles fassent totalement oublier les tensions externes et internes, ni non plus les graves sujets d’ordre sécuritaire et migratoire, financier et économique et, à présent, politique et institutionnel dont notre pays souffre. Du moins pourraient-elles mettre en valeur, ce qu’Ernest Renan (Qu’est-ce qu’une Nation ?) appelait en 1882 la « possession en commun d’un riche legs de souvenirs », indissociable de la « volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». La lente construction d’une conscience nationale ne saurait s’affranchir de la connaissance de ce « long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements », aux antipodes d’actuelles actions de déconstruction historique qui en dénie ou en dénigre les fondements et en efface les signes (rues débaptisées, monuments saccagés).
Quand Emmanuel Macron « bricole » avec l’Histoire
En ces temps de crise identitaire, il n’est honnêtement pas possible de se réclamer « en même temps » de Renan et de Paul Ricœur (La mémoire, l’histoire, l’oubli) – mentor philosophique d’Emmanuel Macron –, qui se défie d’une mémoire constructrice d’identité sur la base de « l’héritage de la violence fondatrice » légitimée par sa « vétusté » et qui signifie « pour les uns, gloire, pour les autres, humiliation ». Opter pour une vision mémorielle polarisée par une altérité idéalisée, ne peut déboucher que sur une quête éperdue de « réconciliation » avec ceux qui n’expriment aucunement de désir réciproque, que sur une mémoire qui, pour être « partagée », finit par s’aligner sur leurs positions, plus idéologiques qu’historiques. C’est le chemin emprunté depuis sept ans – en particulier sur la question algérienne avec le « rapport Stora » –, par celui qui préside aux cérémonies nationales avec, sur la forme, un goût prononcé pour la théâtralisation de récitant.
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N’était-ce pas au fond prévisible dès 2017, au vu de la folle campagne présidentielle où le candidat victorieux s’était lancé, bille en tête, dans ce que Ricœur lui-même aurait dénoncé comme des « abus de mémoire ». Depuis Alger, toute honte bue, il avait provoqué un tollé en qualifiant la colonisation française de « crime contre l’humanité », nécessitant déjà le secours, sous forme de ralliement électoral, de François Bayrou qui prit tout de même ses distances avec une formule « blessante pour de nombreux Français et ne correspondant pas à la vérité historique ». Puis, sans doute dans le but de nazifier sa concurrente, il s’était précipité à Oradour-sur-Glane, en omettant de rappeler que c’est la IVe République qui, au grand dam des survivants, avait soit amnistié, soit réduit les peines des criminels de guerre de ce village martyrisé par la barbarie SS.
Cependant, on ne pouvait deviner, après un long « septennat » pénitentiel, que 2024 marquerait un summum avec trois mea-culpa destinés à « apaiser » des relations bilatérales, il est vrai davantage tournées vers l’exploitation du passé que vers la construction de l’avenir.
La répression d’une révolte de tirailleurs sénégalais en 1944 vient ainsi d’être qualifiée de « massacre de Thiaroye ». Précédemment, l’exécution sommaire du chef FLN, Larbi Ben M’hidi, connue depuis plus de vingt ans par les aveux de Paul Aussaresses, a été proclamée pour les 70 ans de la « Toussaint rouge ». Enfin, lors de la commémoration du trentenaire du génocide au Rwanda, la responsabilité de la France fut confirmée, car elle « aurait pu arrêter le génocide de 1994 » mais « n’en a pas eu la volonté ».
Machine à repentance : en panne !
Toutefois, les résultats s’avérèrent foncièrement plus négatifs que ceux produits habituellement par la pièce remise dans la machine à repentance. Le gouvernement sénégalais a demandé dans la foulée le départ des troupes françaises du pays, suivant en cela un mouvement de retrait général en Afrique. En Algérie, trois semaines après la déclaration élyséenne, fut arrêté arbitrairement le grand écrivain Boualem Sansal, sans susciter de réaction immédiate au plus haut niveau de l’exécutif. Seule satisfaction due à la justice française, la Cour d’appel de Paris vient de confirmer à juste titre, le non-lieu pour une prétendue « complicité de génocide de l’armée française au Rwanda » malgré la prise de position présidentielle périlleuse.
À moins de se satisfaire du rôle d’amoureux éconduit ou d’être inspiré par les pratiques de Sacher-Masoch, on ne peut se complaire dans de telles situations internationalement humiliantes et toxiques pour les générations suivantes, qui ne méritent pas d’être lestées d’une fallacieuse dette morale s’ajoutant à la trop réelle dette financière.
Une parole présidentielle source de confusion
Pourtant, même à propos des deux guerres mondiales plus consensuelles, la parole présidentielle est de temps à autre source de confusion, de division et d’occultation du souvenir national.
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Par exemple, c’est de manière surprenante, que le chef des armées établit le 11 novembre 2023, un classement personnel des jeunes Français morts au champ d’honneur pendant la Grande Guerre selon leurs « convictions » supposées : « croyants et francs-maçons, agnostiques et libres-penseurs, protestants et musulmans, catholiques et juifs ». De surcroît, la panthéonisation de Missak Manouchian, donna également lieu à une entreprise éhontée de réhabilitation du communisme (« parce qu’ils sont communistes, ils ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine »), passant sous silence l’attitude du PCF durant le Pacte germano-soviétique et surtout les dizaines de millions de victimes de ce totalitarisme.
Les commémorations liées à la Seconde Guerre mondiale ont d’ailleurs été surtout orientées vers la Résistance et le débarquement de Normandie, omettant de célébrer dignement les victoires militaires françaises, aussi bien celles liées à la libération de Rome par le corps expéditionnaire français en Italie d’Alphonse Juin, que celles de la Première armée française de Jean de Lattre de Tassigny en France et en Allemagne. Le président aura bien du mal à commémorer en 2025, le 80e anniversaire de la signature de la capitulation nazie sans avoir su expliquer pourquoi nous pouvons éprouver de la fierté à cette renaissance d’une armée française victorieuse, dont l’ossature était formée par l’armée d’Afrique, et à qui nous devons toute notre place de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU.
Islamisme, antisémitisme : Macron attendu au tournant en 2025
L’année 2025 sera-t-elle au moins celle de l’unité dans le chagrin de se remémorer les atroces attentats islamistes qui frappèrent la France dans sa chair il y a dix ans, des tueries de janvier (Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hypercacher de la Porte de Vincennes) jusqu’aux massacres de masse de novembre dans la capitale (Le Bataclan et les terrasses des bars et restaurants) ?
Il est permis d’en douter alors que certains aujourd’hui ne songent qu’à abolir le délit d’apologie du terrorisme. On peut aussi s’interroger sur une réelle volonté politique au sommet de l’État, avec les absences remarquées, en 2023, lors de la marche contre l’antisémitisme à Paris et, en 2024, lors de l’hommage rendu aux Invalides pour les 40 ans de l’attentat du Drakkar à Beyrouth contre l’armée française.
Il ne fallut que quatre ans aux Britanniques pour édifier un « Mémorial de la vague infinie » à Birmingham afin d’honorer les victimes des attentats islamistes en Tunisie (Sousse et Bardo) de 2015 et un autre à Hyde Park pour celles des attentats de Londres de 2005. Face au spectre terroriste ressurgi au marché de Noël de Magdebourg et à la Nouvelle-Orléans, il nous sera malaisé de parler de volonté et d’unité alors qu’aucun simple monument commémoratif n’est sorti de terre à Paris pour se recueillir dix ans après.
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