Rubrique : « Ils ont touché le fond mais ils ont des pelles. » Chaque jour nous apporte un motif d’exaspération et d’accablement. Chaque intervention de ce pouvoir démontre une capacité à transformer en pantalonnade tout ce qu’il touche. Exemple récent donné par un tweet que vient de commettre le ministère de la Justice pour défendre une des mesures contestées du projet de loi « justice du XXIe siècle », la suppression de l’intervention du juge dans les divorces par consentement mutuel. À chaque fois, on se pose la question de savoir s’ils sont vraiment nuls à ce point, ou bien que par mépris des gens ils les prennent systématiquement pour des imbéciles.
La suppression de l’intervention du juge dans le prononcé du divorce par consentement mutuel est une question qui mérite débat. L’institution du mariage républicain été mise à bas par le divorce de masse. Depuis la réforme de 1976 les statistiques sont là pour démontrer que ce qui était vécu avant comme un événement à charge sociale négative est devenu complètement banal.
Au travers d’une procédure empreinte d’une certaine solennité, et marquée par quelques précautions comme la publication des bans, on demande pourtant toujours au maire, de recueillir et par conséquent de vérifier le consentement des futurs époux. Et pour mettre fin à une situation juridique aux conséquences multiples, on voudrait s’en remettre à une simple démarche contractuelle mise en forme par un notaire ? En réfléchissant un peu, on constate alors que ce qui peut être considéré comme une mesure de bon sens pose quand même certains problèmes
Les avocats, qui voient s’enfuir une source de revenus sont contrariés, et c’est normal. Les cathos sont contre le divorce donc leur avis est plein d’arrière-pensées. L’expérience cubaine n’est guère encourageante, puisque qu’après avoir instauré, dans l’euphorie révolutionnaire de 1959 un système de simple déclaration à l’État civil, les barbudos ont précipitamment battu en retraite. Donc, ça discute et ça grince ce qui ennuie la place Vendôme qui ne voit dans cette mesure qu’un moyen de faire des économies. Alors, les bureaucrates ont eu l’idée de twitter pour parler directement au peuple en passant par-dessus la tête des lobbys.
Et cela donne ceci : « le saviez-vous ? #Étymologie Juger= trancher 1 litige Dans un divorce par consentement mutuel, il n’y a pas de litige ; donc pas besoin de juge ». Est-il possible de faire pire ?
Je sais bien que l’enseignement du latin va être bientôt proscrit, mais lorsque l’on parle d’étymologie, il faudrait éviter de se foutre du monde. « Juger » vient de « judicare », de « jus » (droit) et « dico » (dire). Donc juger, c’est dire le droit, ce qu’on apprend en première année de ses études de droit. Alors, dans un premier temps faisons au rédacteur le crédit de son ignorance crasse, et acceptons qu’en écrivant « étymologie », il ait pensé « définition » et regardons de plus près. Mais là, c’est encore pire. La définition de juger est beaucoup plus large et comprend comme synonyme : apprécier, estimer, évaluer, déclarer coupable, condamner, etc. Donc le constat est clair, on nous prendre pour des imbéciles.
Une mesure qu’on tente de faire passer en contrebande
Alors, interpellés par ce cynisme, penchons-nous un peu sur cette proposition que l’on essaie de faire passer en contrebande. Le divorce met fin à un dispositif dont la construction juridique qui relève peu de la volonté des parties. Le mariage est un contrat organisé par la loi. Lorsqu’on le dissout, au-delà des problèmes affectifs et psychologiques qu’il faut affronter, on doit organiser beaucoup de choses. La question des enfants, les résidences respectives, les pensions alimentaires, les prestations compensatoires, la dévolution et le partage des biens mobiliers et éventuellement immobiliers, toutes questions matériellement compliquées et à fortes charge affectives. Le passage devant le juge est destiné à vérifier le consentement non seulement au divorce, mais également à l’organisation de toutes ses conséquences. C’est la raison pour laquelle lors de l’audience toujours appelée dans le jargon « de conciliation », le magistrat recevra les époux séparément. Pour vérifier que le consentement n’a pas été arraché, et ne souffre d’aucun vice tel que ceux décrits par le Code civil pour tous les contrats : l’erreur, le dol, la violence. Chacun aura compris qu’en l’état actuel de la société, ce sont surtout les femmes qu’il convient de protéger, même si l’inverse existe.
Et le juge se penchera aussi sur l’équilibre des conventions qui lui sont soumises. C’est un contrôle a priori de la « commune intention des parties ». Dans un contrat commercial civil banal, ce contrôle relève toujours de l’office du juge, même s’il se produit a posteriori lorsque le contrat lui est soumis. Le mariage républicain n’est pas un contrat banal.
Ajoutons dans un autre ordre d’idées, que lorsqu’une entité publique met fin à un litige par une transaction, après l’avoir fait voter par son assemblée délibérante elle va saisir le juge administratif pour lui demander d’homologuer le protocole et lui donner ainsi force exécutoire. Que de précautions… Inutiles pour des époux ?
Alors, « le saviez-vous ? » nous demande un ministre de la Justice par l’intermédiaire de son twittos. Non Monsieur le ministre, nous ne risquions pas de le savoir puisque c’est faux. En revanche ce dont nous sommes sûrs, c’est que l’on ne peut pas vous faire confiance.
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