Il y a tout juste un an, David Cameron et Nick Clegg tenaient leur première conférence de presse commune. Tapes sur l’épaule, confidences susurrées à l’oreille, Cameron et son vice-premier ministre libéral-démocrate rivalisaient de minauderies, trop heureux d’avoir fait son affaire à ce ronchon de Gordon Brown. Good bye le Labour, pourtant traditionnel allié des Libéraux-démocrates. Intronisés couple de l’année, Nick et David semblaient indispensables l’un à l’autre. Issus des mêmes écoles et du même milieu, les deux jeunes loups éclaboussaient les spectateurs de leur beauté so british.
À l’époque, Cameron avait manqué de peu la majorité alors que Clegg voulait faire passer à toute force la réforme du système électoral censée lui ouvrir les portes du pouvoir. Leur marché se voulait avant tout pragmatique : « grâce à moi tu deviens Prime Minister ; en retour tu m’offres sur un plateau le référendum qui renverra aux oubliettes de l’histoire le plus vieux système électoral du monde, le First Past The Post (FPTP) ». Dix candidats, celui qui arrive en tête rafle tout, quel que soit son score. Pas très démocratique, mais diablement efficace. Résultat de ce scrutin ultra-majoritaire : depuis Mathusalem ou presque, deux partis se partagent le pouvoir au Royaume-Uni.
Clegg le trouble-fête
Un an et un mariage princier plus tard, le jardin de roses du Ten Downing street résonne encore des embrassades du tandem gouvernemental. L’exécutif au beau fixe ? Ce serait sans compter avec l’arrivée tonitruante de Nick Clegg, ce roi médiatique à la couronne d’épines.
Pendant la dernière campagne législative, le temps de trois débats télévisés, le sémillant lib-dem avait réussi à brouiller les cartes à coups de sourires cajoleurs, de petites phrases piquées à Barack Obama et de discours simples ponctué de « them ». Eux, les rancis, les produits périmés de la vie politique britannique tranchaient avec « me », mes dents blanches, mon idéalisme de bon aloi et le vent de fraîche folie que je faisais souffler sur l’élection.
Les Brits en avaient fait l’arbitre des élégances. Très habilement, avec un zeste de cynisme bonhomme qui laissait présager un sacré métier derrière l’apparence lisse de gendre idéal, Clegg avait tranquillement fait monter les enchères. En échange du soutien des députés libéraux, le nouveau premier ministre conservateur avait concédé un poste de Deputy Prime Minister[1. Equivalent britannique de vice-premier ministre] à Clegg, des ministères-clés pour ses amis et surtout l’assurance d’un référendum sur le système électoral.
L’annus horribilis de Clegg
Depuis, les roses se sont fanées. Consternés par ses reniements permanents, son aplomb à la limite de l’impudence et ses erreurs de jugement monumentales, les Anglais ont à 70% rejeté le référendum dont Clegg avait fait la clé de son avenir. Autrement dit, il vient de perdre son pari, et d’humiliante façon. Le « vote alternatif » introduisant une forte dose de proportionnelle ne passera pas. Plus qu’un homme, la vox populi britannique a rejeté un texte. À l’instar du Traité Constitutionnel Européen, le projet proposé était lourd, obscur et compliqué à mettre un œuvre. À tel point qu’un esprit chagrin ou mal tourné n’hésiterait pas à accuser David Cameron d’avoir intentionnellement fait rédiger par ses services ce condensé indigeste. Honni soit qui mal y pense, bien sûr. En tout cas, le changement attendra.
Que croyez-vous que fit l’inénarrable Clegg après cette claque monumentale ? Il démissionna ? Vous n’y êtes pas du tout. Whitehall vaut bien une messe. Nick a décidé de se « radicaliser » en s’opposant par tous les moyens à la réforme du système de santé porté par Cameron. Partout Clegg s’effondre, rendant illusoire la pérennisation d’une coalition de centre-droit modéré qui n’a jamais existé ailleurs que dans les rêves du Guardian. Cameron et Clegg n’avaient d’ailleurs pas un seul point d’accord idéologique. Tout les séparait et tout les sépare encore : l’avenir des établissements financiers et la scission entre banques d’affaires et de dépôt, l’environnement (les Lib-dems sont des écolos convaincus), la charte des droits fondamentaux, la réforme cruciale du système de santé où Cameron voudrait introduire une forte dose de choix et de concurrence entre les médecins, le nucléaire, l’immigration, la guerre en Libye…. N’en jetez plus.
Cameron : la force tranquille
On peut apprécier ou non le programme des Conservateurs, mais force est de constater que le chef des tories tient le cap au 10 Downing Street. Tranquillement, il avance ses pions avec une assez redoutable maîtrise. Le Premier ministre n’a pas besoin d’une crise politique en ce moment. Ni d’élections anticipées. Assurés d’être battus ou sérieusement mis en danger, les parlementaires lib-dem n’ont d’autre choix que de le suivre. Bravo Maestro. À cynique, cynique et demi.
David Cameron dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Elu pour assainir les finances et tailler dans les dépenses publiques, il assainit et taille. Bon an mal an, les Anglais suivent, serrant les dents et leur ceinture en silence. Un coup à hue, un coup à dia, Clegg qui avait promis de ne pas toucher aux droits d’inscription à l’université accepte leur triplement au motif « qu’il ne connaissait pas la réalité ». Tout en prononçant une diatribe enflammée contre le nucléaire après Fukushima, alors que Cameron vient de commander de nouvelles centrales à Areva pour assurer l’indépendance énergétique du Royaume-Uni… Finalement, en politique, l’amateurisme et le cynisme peuvent aussi se payer cash.
Et pendant ce temps…
Et le Labour, le grand parti d’opposition ? Favorable à la réforme électorale… mais hostile à Clegg, il peine à trouver place et arguments. Dans son fief écossais, à l’occasion des élections municipales organisées en même temps que le référendum, le Scottish national party d’Alex Salmond a raflé la mise, faisant craindre une sécession dans la foulée des flons-flons nationalistes du mariage royal. Un comble. Certes, le Royaume en a vu d’autres, mais l’opposition travailliste peine à retrouver son assise populaire.
Quand il l’estimera opportun, David Cameron appellera les électeurs aux urnes et se débarrassera facilement de son embarrassant allié. Si… les Brits ont encore un ou deux crans à leur ceinture.
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