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Les castors, Macron et l’amour du risque

D’une élection l’autre


Les castors, Macron et l’amour du risque
La journaliste Nathalie Saint-Cricq et la députée d'extrème gauche Mathilde Panot, soirée électorale, Capture France 2, 9 juin 2024..

Notre journaliste Céline Pina n’a pas manqué une miette de la soirée électorale à grand spectacle, hier soir. Elle nous soumet et analyse trois scénarios politiques possibles pour le RN et la majorité présidentielle d’ici le 30 juin.


En annonçant la dissolution alors que les résultats définitifs n’étaient même pas tombés, Emmanuel Macron a bien réussi sa contre-soirée électorale. On a assisté en direct à la déstabilisation de ses ministres, et aux tractations de marchands de tapis en mode donjon entre Olivier Faure et Mathilde Panot. Et on a bien vu que c’est LFI qui tient le fouet… Elle s’en est d’ailleurs servie en direct. On a également assisté en direct à la main tendue de Marion Maréchal à Marine Le Pen et constaté qu’Éric Zemmour digérait mal la couleuvre. On a même eu droit à une Valérie Hayer, exaltée, s’essayant au lyrisme antifasciste en mode « ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine ».

RN trop méchant : le retour des éléments de langage habituels

A peine l’annonce de la dissolution était-elle tombée que nous possédions déjà les éléments de langage dont nous allons avoir les oreilles rebattues durant le mois qui vient. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles n’annoncent aucun sursaut mais plutôt la continuation du « business as usual » déguisé en « prise de conscience face à la montée du péril fasciste ». Bref le triste plat que l’on nous sert à chaque élection pour faire oublier que ce qui conduit les Français à voter RN est avant tout le sentiment que les partis dits de gouvernement les ont trahis, travaillent à détruire leur culture et leur mode de vie, le tout en faisant exploser l’insécurité, les injustices et en détruisant leur modèle social sans reconstruire de perspectives économiques et politiques. Mais pourquoi les élus se fatigueraient-ils à le faire quand il suffit de diaboliser son adversaire pour garder son poste ?

Une dissolution justifiée

Cette réaction à laquelle nous avons assisté sur les plateaux est d’autant plus regrettable que cette dissolution aurait pu être salvatrice. D’abord, parce qu’elle est parfaitement justifiée et correspond au bon usage de la Constitution de la Vème République. A partir du moment où son esprit a été abimé, en passant du septennat au quinquennat, on a supprimé la respiration électorale qui permettait au pays d’exprimer son rejet ou son accord quant à la politique menée. De ce fait, les élections européennes sont devenues des sortes de référendums sauvages, nouvelles élections de mi-mandat chargées de transmettre au pouvoir l’opinion populaire. A ce titre, les partis stigmatisés par la classe politique recueillant autour de 40% des voix, on peut dire que le désaveu est massif. D’autant que cette perspective, qui n’a rien d’une surprise, n’a pas fait bouger la moitié des électeurs. Signifiant ainsi qu’ils jugeaient inutiles de se mobiliser contre une victoire du RN. Prendre acte d’une situation où la légitimité du pouvoir est clairement remise en cause et souhaiter une clarification politique est donc la meilleure des réactions. Elle aura échoué avant même sa mise en orbite.

Il faut dire que si Emmanuel Macron est un mauvais président, c’est un habile manœuvrier. En agissant aussi vite et en ne laissant aucun délai à ses adversaires, il sait que sa soi-disant ouverture et clarification ne pourra avoir lieu. En revanche il met en difficulté morale et /ou matérielle, tous ses adversaires. A gauche comme à droite.

A gauche, le refus de la clarification politique, seul moyen de garder ses postes

Avec cette annonce, le président poursuit l’élimination de l’ancienne gauche de gouvernement. Celle-ci, dirigée par un homme sans idée ni caractère, n’a pas les premiers éléments d’une doctrine lui permettant de s’adresser aux Français en leur proposant un chemin. La soudaineté de l’annonce a montré à quel point le roi était nu car en direct, sur le plateau, on a assisté à une reddition complète d’Olivier Faure alors que personne ne lui demandait d’organiser ainsi sa propre humiliation. Mathilde Panot a alors, avec délectation, rappelé à son futur supplétif qu’il allait devoir travailler la souplesse de ses adducteurs et que l’accord électoral se ferait aux conditions de LFI. Aucun problème pour le patron du PS à qui le mode serpillière semble tenir lieu de seconde nature…

L’effondrement moral de la gauche la laisse nue

Mais me direz-vous, Olivier Faure n’a donc aucun problème avec la dérive factieuse, et « antisioniste » de LFI ? Ses références à la violence politique ? Son soutien à un groupe de tortionnaires terroristes, le Hamas, qui a commis un crime contre l’humanité ? Son révisionnisme historique ? Son instrumentalisation du conflit en Palestine pour semer la haine de la France et des Français, décrits comme soutenant un « génocide » alors qu’il n’a pas lieu ? Visiblement non.

Pourquoi ? Parce que dans l’état dans lequel est la gauche, sans union, beaucoup perdront leur poste. LFI le sait, le PS aussi. Reconstruire demanderait alors des hommes et des femmes forts, habités par une vision pour leur pays, capables de prendre leur perte et sans dire un seul mot, se mettre à reconstruire. Le modèle n’est hélas plus en stock. Etant donné le peu de temps restant et le caractère brutal, hégémonique et violent de LFI, l’accord ne se fera qu’à leurs conditions. Le PS y perdra son honneur et toute dignité. Le plus drôle est que ce parti est pourtant arrivé en tête de la gauche lors de ces Européennes. Il n’aura su en tirer aucun bénéfice, y compris symbolique : le leader du parti ayant été soumis par LFI avant même d’être vaincu et la tête de liste ayant un statut politique difficile à saisir. Raphaël Glucksmann n’apparait en effet qu’au moment des élections européennes, pour ensuite quasiment disparaître du paysage. Or le mode alternatif n’est pas idéal pour tisser un lien avec un pays.

Comment peut-on passer son temps à faire la morale et piétiner toutes les lignes rouges qui distinguent l’humaniste de l’arriviste faux jeton ? En faisant croire qu’on ne s’allie avec le diable que pour renverser l’esprit du mal. Ainsi, le PS s’allie avec LFI car il doit combattre le risque de l’arrivée au pouvoir du RN. RN qui, comme chacun devrait le savoir, est l’équivalent du nazisme. L’élément de langage est ici : « On s’est bien allié à Staline pour vaincre Hitler ». Et à ceux qui s’indigneraient d’un tel choix, il suffit de leur expliquer qu’ils sont comme ceux qui disaient « plutôt Hitler que le Front populaire » ! On a vu ce que cela donnait. Sauf que LFI et sa dérive totalitaire n’ont rien à voir avec le Front populaire. Cela fait belle lurette qu’ils ont quitté le terrain du social pour investir celui de la race et des origines.

A droite, inventaire avant liquidation ?

Côté droite, on n’est guère mieux loti. LR ne sait toujours pas s’il est un PS-bis partisan d’une Europe libérale construite contre les nations, ou s’il doit reprendre un discours axé sur le retour à la souveraineté. Le plus simple, en aussi peu de temps, est de rester dans le flou et de négocier une alliance. Et il est plus facile de justifier une alliance au centre qu’avec un RN que l’on n’a cessé de conspuer. Là aussi, en prenant LR de vitesse, le président peut espérer leur forcer la main. Mais la vraie pierre a été jetée dans le jardin du RN.

En effet, en accélérant le calendrier aussi brusquement, le président pose un problème matériel au RN, celui de trouver des candidats dans chaque circonscription. Sachant que ce n’est pas tout de les trouver, il faut ensuite les gérer. Or on a vu ce que donnait l’arrivée en masse de personnes sans éducation ni tenue au parlement. LFI, par ses outrances, a abimé la fonction de député et choqué beaucoup de citoyens. Or, pour le RN, tenir ses troupes est d’autant plus essentiel que symboliquement le mouvement de Marine Le Pen voudrait incarner une France qui reprend en main son destin.

Autre point, la rapidité d’action du président peut ralentir les effets du scrutin, autrement dit, le plafond de verre qui aurait cédé dans deux ans est, selon les calculs de la majorité, juste fendillé aujourd’hui. Cela se révèle doublement utile.

Les éléments de langage du vote castor immédiatement déployés

D’abord parce que l’annonce de la dissolution a dissout aussi les effets du scrutin européen et permet la mise en place immédiate des éléments de langage du vote castor, appuyé en cela par les commémorations du 80eme anniversaire du Débarquement. Et pour maximiser les effets miroir avec la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel Macron se rendait aujourd’hui à Oradour-sur-Glane (87). Faire barrage devient alors le seul moyen d’éviter les réitérations de ce type de massacre. Ce qui est ballot, c’est que le dernier massacre qui rappelle celui d’Oradour a été récemment commis par le Hamas, ce mouvement tortionnaire que certains LFI qualifient de « résistants ».

Autre point, la manœuvre présidentielle de la dissolution surprise empêche de faire aboutir la stratégie de dédiabolisation. Dans les prochains jours, tous les partis vont cibler l’adversaire susceptible de l’emporter, donc le RN, alors que celui-ci n’est qu’au début de son ascension. Il va devoir se justifier d’accusations de « totalitarisme » alors qu’il a mué en parti bonapartiste depuis longtemps, dont la pratique du pouvoir ressemble en réalité aux coups politiques que vient de réaliser Emmanuel Macron : exercice solitaire du pouvoir, effacement de tous les corps intermédiaires, recours au peuple. Simplement cette évolution est récente, quand l’image ancienne, elle, est incrustée dans l’inconscient collectif. Cette dissolution n’est pas sans danger, qu’elle l’amène à arriver au pouvoir trop tôt alors que son entreprise de dédiabolisation n’est pas achevée ou qu’elle le contraigne à gérer un groupe parlementaire à la fois nombreux et marqué par trop d’amateurisme.

L’intelligence manœuvrière au service du vide

On a beaucoup parlé de « coup de poker » face à la décision d’Emmanuel Macron, mais ce n’est pas le va-tout d’un joueur. C’est bien plus cynique et pertinent. Mais, comme tout ce qu’entreprend Emmanuel Macron, c’est aussi stérile et égotiste. L’intelligence manœuvrière n’est jamais mise au service du collectif, de l’intérêt général. Or si c’est la clarification politique qui était demandée, il fallait laisser un peu plus de temps pour que les recompositions s’amorcent. Là, en mettant tout le monde dans la seringue, ce sont surtout les vieux réflexes qui vont être réactivés. Pour quel résultat ?

Première hypothèse : le coup de bonneteau accouche d’une majorité d’opportunité et d’opportunistes

Il y a quelque chance qu’une majorité hétéroclite puisse émerger en réunissant une partie de la gauche allergique à l’alliance avec LFI, un parti qui promeut l’antisémitisme et la violence politique et a ainsi des caractères fascistes bien plus réels que ceux de l’extrême-droite actuelle. Le fait de sacrifier l’intransigeance politique sur l’autel de la solidarité humaniste contre le retour du fascisme permettrait ainsi de donner de l’allure à des ruptures plus prosaïques, liées à la difficulté d’être sous la coupe d’un Mélenchon par exemple. Celle-ci réunirait ainsi les LFI sadisés par leur leader, une partie de l’ancien PS, EELV, l’actuelle majorité et des LR contraints à l’alliance avec Renaissance faute d’accepter de participer à une union des droites. On approfondirait la coalition UMPS qui gère le pays avec la plus totale inefficacité. La manœuvre permettant juste de gagner du temps et de continuer à se goberger avant l’inéluctable chute. Mais elle permettrait de se draper dans les oripeaux de la vertu. Dans ce cadre, aucun projet politique ne devrait émerger. Faire barrage était à la fois le début et la fin de ces rapprochements sans promesse.

Le communiqué que Stéphane Séjourné vient de faire en tant que responsable du parti présidentiel est révélateur sur ce point : rien sur les attentes des Français, rien sur le message envoyé à leurs gouvernants, rien sur la nécessité de répondre à l’insécurité culturelle, physique, matérielle, sociale ressentie par les citoyens. Aucun mea culpa, aucun engagement, aucune proposition. Juste un appel à faire barrage au nom des ventres féconds d’où sortent les bêtes immondes. Le problème c’est que nous l’avons vu la bête immonde. Elle se pavanait à Sciences-po et ailleurs, en instrumentalisant le drapeau palestinien et en crachant sur l’Etat juif. Nous la voyons la bête immonde quand les actes antisémites explosent après le crime contre l’humanité commis par le Hamas le 7 octobre. Cela ne dérangeait pas grand monde jusqu’alors…

La possibilité d’une majorité RN

Que le RN puisse faire la bascule, voire obtenir une majorité relative n’est pas impossible.

Mais est-il prêt à gouverner, surtout après une campagne très violente et la mise en accusation de ses électeurs ? Car on l’a entendu dès la soirée électorale, faute de proposition et de vision, nos élus sombrent dans l’exaltation et une forme d’hystérie. On croirait que le moment les a tous transformé en Jean Moulin. Ils en font des tonnes, se peignent en sauveurs de la démocratie au risque de susciter un fort sentiment d’incrédulité chez leurs compatriotes qui se demandent bien du sommet de quelle réalisation, ils peuvent ainsi jeter l’opprobre sur un autre parti. Cet antifascisme d’opérette est de moins en moins crédible mais il est encore porteur de mort sociale et de risque pour les carrières. C’est son efficacité qui va être testée lors de ce scrutin.

Le plus probable : du chaos à la crise

Et puis il y a le plus probable : un pays ingouvernable qui s’enfonce dans le chaos, des alliances de circonstances qui ne font pas un chemin vers l’avenir. La poursuite du déclin. Jusqu’à la prochaine crise.

En avons-nous encore le loisir, alors que l’ampleur de l’influence islamiste a été révélée par le score de LFI et que le parti fait clairement appel aux quartiers pour renforcer son pouvoir ? En avons-nous encore le loisir alors que le parti leader de la gauche dérive vers la haine antisémite et traite son pays et ses habitants de « génocidaires » ? En avons-nous encore le loisir, quand la population pense de plus en plus que son élite la trahit ou n’est pas à la hauteur ? En avons-nous encore le loisir alors que l’hôpital coule, que les déserts médicaux se multiplient et que les pénuries de médicaments diminuent les chances de vivre des malades ?

Le séisme politique provoqué par le président n’a hélas rien du sursaut salvateur et tout d’un festival de comptes d’épiciers et de calculs d’apothicaires. Un pas de plus dans l’impasse, en somme.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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