À deux jours du scrutin, le peuple français semble déterminé à poursuivre la phase dégagiste entamée par le président en place lui-même… mais sans lui.
Emmanuel Macron suscite un rejet populaire comme rarement observé dans la Vème République. Ses deux prédécesseurs ont aussi connu des périodes prolongées de disgrâce, sans toutefois n’avoir jamais cristallisé sur leurs personnes une détestation aussi universelle. On peut même se demander si la dernière chose qui puisse réunir un peuple aussi divisé que le nôtre ne serait pas de communier dans le rejet de « Jupiter ».
Rendez-vous manqués
Réunissez un sympathisant de gauche, du Rassemblement national, un jeune, un vieux, un bourgeois et un ouvrier dans un café. Après s’être battus, ils arriveront finalement à la conclusion que leurs maux sont exclusivement dus au jeune monarque qui occupe présentement l’Élysée. La chose est pour eux entendue, Emmanuel Macron est responsable et coupable. Du reste, les ministres de la majorité présidentielle rivalisent eux-mêmes de défiance, refusent de faire apparaitre le président sur leurs affiches, allant jusqu’à lui sommer de se taire durant cette campagne des législatives ! La chose est entendue et a une part d’irrationnalité. Emmanuel Macron n’est plus écouté et pas plus entendu.
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Emmanuel Macron aurait toutefois tort de voir dans le phénomène une simple frénésie collective face à son génie ou un mouvement de foule hystérique qu’il n’aurait pas pu contrôler. Il a, de fait, raté énormément d’occasions et de rendez-vous avec son peuple. Concentrant tous les pouvoirs entre 2017 et 2022, il n’en a absolument pas profité pour démarrer cette « révolution » qu’il appelait de ses vœux lorsqu’il n’était encore qu’un prétendant. Premièrement, il n’a pas écouté François Bayrou qui lui demandait de réformer le mode de scrutin des élections législatives pour passer à la proportionnelle afin que dès 2017 la réalité de la sociologie électorale se retrouve au Parlement national. Une erreur qui a frustré une partie de l’électorat qui compte bien désormais poursuivre la phase dégagiste entamée par le président… sans lui.
On va dans le mur, tu viens ?
Ensuite, il n’a pas non plus tenu de référendum après la crise dite des gilets jaunes et les consultations populaires qu’il avait pourtant commandées. Il a pensé pouvoir « acheter » les Français à plusieurs reprises en saupoudrant aides et subventions directes, accroissant par la même occasion le mur de la dette dans lequel est en train de foncer le pays au risque d’une aggravation dramatique du « spread » avec l’Allemagne. Sur les sujets d’immigration et de sécurité, d’identité aussi, il a péniblement joué le symbolique face à la réalité, n’allant jamais au bout d’intentions qui sur le papier semblaient intéressantes, tant en 2018 avec la loi Collomb que plus récemment avec la « loi Immigration » qu’il a volontairement laissée censurer par le Conseil constitutionnel.
En 2022, élu malgré une importante progression de Marine Le Pen qu’il espérait pourtant réduire, il n’a pas provoqué de dissolution dès après le deuxième tour de la présidentielle ainsi que l’y invitaient ses proches conseillers. Résultat, il a perdu sa majorité absolue. Depuis lors, il n’a eu de cesse de pratiquer un pouvoir autoritaire qui a achevé de dégoûter un peu plus les Français, multipliant les 49.3 et les interventions télévisées…
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Dernièrement, Emmanuel Macron n’a pas su mesurer la montée du Rassemblement national et de la droite, traitant avec légèreté les sujets qui font le succès de ses opposants.
Alors que rien ne l’y obligeait, il a décidé une dissolution au pire moment, sur un temps très contraint, comme s’il avait souhaité punir les Français et son propre camp. Sa « grenade dégoupillée » a été lancée avant ces fameux Jeux qu’on nous présente pourtant quotidiennement comme engageant l’honneur et l’image de la France dans le monde. Bref, Emmanuel Macron a raté maintes occasions de se faciliter la tâche. Son centrisme est devenu une chape de plomb, lui interdisant de choisir entre les aspirations de la gauche et celles de la droite, lui aliénant en conséquence les deux bords. Il n’a pas été le chef que le quinquennat demande, mais un arbitre des élégances distribuant bons et mauvais points à une population infantilisée. Omniprésident jupitérien arrivé au pouvoir sur la promesse de la déconcentration des pouvoirs, il récolte le prix que tout monarque dépeint en tyran a dû affronter dans l’histoire française.
Injuste ? Sûrement partiellement, mais la faute lui en revient.