Depuis une dizaine d’années, elles ont disparu des radars. Dans les rues, leur éradication est programmée sous l’effet croisé de la pollution et de l’enfumage politique. Elles concentrent sur leur frêle carrosserie toutes les avanies. Elles semblent avoir accepté benoîtement leur rôle de paria, de repoussoir totémique, de monstre nocif responsable de tous les maux de la société. Elles ont le capot large pour se sacrifier sur l’autel du progressisme ! Et dire que pendant cent ans, elles ont incarné un monde meilleur offrant toujours plus de confort, de sécurité, de vitesse, décloisonnant des territoires entiers et inspirant les artistes. Tout ça, c’était avant le grand bond en arrière. Le retour à la bicyclette, aux cars, au transport de troupe et à l’homme qui marche ! L’éloge de la lenteur est sur le papier séduisant mais à l’heure de la globalisation triomphante, il faut choisir son camp : le sur-place ou la concurrence ouverte.
Les prolos anti-écolos
Il est curieux d’entendre les mêmes défenseurs d’un monde sans frontières et sans barrière douanière crier au scandale écologique quand le banlieusard ose prendre sa voiture pour aller bosser ou que le retraité fait ses courses avec son break de dix ans d’âge, à la campagne. Le tribunal pénal international leur pend au nez. Irresponsables individualistes, profiteurs et pilleurs des richesses minières ! La liberté de se déplacer serait-elle donc réservée à quelques privilégiés ? Vu le niveau de nos finances publiques et face à un état plus dérégulateur que bâtisseur, personne ne croit sérieusement au lancement de grands programmes de rénovation du rail, par exemple. Car, contrairement à l’image véhiculé, l’automobiliste n’est pas un idéologue borné, il sait s’adapter et varier ses modes de locomotion. Donnez-lui des transports en commun dignes de ce nom, c’est-à-dire sûrs, fiables et propres, il les prendra avec plaisir sans pour autant abandonner « son bolide », le réservant à d’autres moments de son existence. 57 % des français ont ainsi déjà copulé in vivo dans un habitacle clos, c’est ce qu’on appelle l’auto-partage. Le voyage est pluriel comme l’amour ! Les voitures ne feraient donc plus fantasmer la jeunesse de France, avide de numérique et d’économie collaborative.
Montrez une Ferrari ou une Porsche à un adolescent en pleine crise identitaire et vous verrez sa réaction, son monde va s’ouvrir vers de nouveaux horizons. Fini les soirées à se palucher sur sa tablette, la vie va commencer ! (Johnny Hallyday/1963). Les médias, les édiles et le camp du « bien » se sont fait leur religion : bannir l’auto ! On a beau leur dire qu’elles sont l’expression d’une autonomie de mouvement et que, bien souvent, dans nos provinces, elles occupent un rôle social assurant ainsi une forme de dignité à de nombreux citoyens. Le permis de conduire étant l’un des rares diplômes à n’avoir pas perdu de sa valeur symbolique. Leur sort est jeté : à la casse ! Les voitures sont même désormais absentes des publicités à la télévision. Étrange phénomène où, pour vanter leur dernier modèle au catalogue, les constructeurs pratiquent la dissimulation, l’esquive comme le fumeur honteux allume sa cigarette en cachette. Les marques font tout pour ne jamais montrer une voiture à l’écran.
Les grandes marques désertent Paris
Pendant vingt secondes, le téléspectateur a vu des paysages, des animaux sauvages, des smartphones, on lui a parlé de connectivité, de respect de l’environnement, de mensualités, d’usage mais de roulage jamais, il en est hors de question. Alors quand le Mondial démarre, on court Porte de Versailles dans l’espoir d’approcher des caisses et des hôtesses accortes, sans aucunement culpabiliser. Les vieux phallocrates que nous sommes, n’ont pas des pudeurs de douairières. On aime les voitures de sport, les échappements libres, le cuir Connolly et les fragrances d’huile de ricin, le tout dans une ambiance de kermesse, sono à fond et chromes apparents. Mais qu’est-ce qu’on apprend, à peine la première moquette rouge foulée, que Ford, Mazda, Volvo, Rolls-Royce, Lamborghini, Alpine, Bugatti, Bentley ont déserté Paris. Les raisons de cette désaffection sont multiples : stratégie commerciale, coût d’installation, rentabilité et aussi l’air du temps. Il souffle mauvais sur la Capitale. Paris fait désormais la part belle aux gammes moyennes et basses, Genève se réservant les stands plus luxueux. Exit le rêve automobile ! Et puis, on voit fleurir un peu partout des marchands de solutions mobiles et la magie ne fonctionne plus vraiment. Nos yeux d’enfants pleurent, nous avons perdu nos repères de baby-boomer. Il faut pousser jusqu’au Hall 8 pour voir de « vraies » voitures et l’exposition consacrée au cinéma. On respire à nouveau : la 403 cabriolet de Columbo, l’Estafette des Gendarmes, la DS du Mentalist, la R8 Gordini de Ventura, la Porsche de McQueen, l’Alfa du Lauréat ou la Lancia du Fanfaron et on se dit que décidément, c’était mieux avant ! Tant pis si on passe (encore) pour un vieux con.
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