Robert Badinter, mort la nuit dernière à l’âge de 95 ans, suscitait une adhésion et une déférence même chez ses adversaires politiques les plus résolus, observe notre chroniqueur.
La mort est inéluctable mais il est des disparitions, même tardives, qui au-delà de l’affliction des proches et des amis bouleversent l’opinion publique, suscitent l’émotion et le regret de beaucoup. Robert Badinter appartient à cette catégorie des morts qui ne seront jamais remplacés parce que précisément au cours de son existence il aura été unique.
Il y a une obligation de réserve, de décence et de dignité qui interdit d’aller immédiatement sur le terrain de la contestation, des réticences et des polémiques même si plus tard il n’y aurait aucune honte à en aborder certaines.
Aujourd’hui, c’est la personnalité exemplaire que je tiens à saluer et qui demeurera comme une incarnation de vertus multiples et de dons indiscutables.
Certes, qualifié de grande conscience, tel un symbole des Lumières dont la France s’enorgueillit d’être la représentante emblématique, Robert Badinter a occupé tant de fonctions et fait briller tant de talents que ce serait le réduire que de voir seulement en lui un être désincarné seulement obsédé par les valeurs, les principes et les droits de l’Homme.
Sénateur socialiste, fidèle mutique de François Mitterrand, social-démocrate convaincu et souvent convaincant, adepte d’une modération politique et sociale engagée mais jamais méprisante ni péremptoire, juriste de très haut niveau, professeur qui a marqué les esprits de ceux qui l’ont écouté et appris de lui, garde des Sceaux dont la direction honorait la magistrature, dont j’étais, et exerçait, sur le Parquet, quelle que soit l’appréciation de sa politique pénale, une autorité acceptée, avocat à l’éloquence âpre et, pour le pénal, voué quasiment à une seule cause, président compétent et respecté du Conseil Constitutionnel, écrivain et essayiste de forte argumentation et de haute volée sur les sujets et les thèmes qui renvoyaient à sa douloureuse conscience historique, à sa volonté de ne pas laisser sombrer la mémoire de l’horrible, au combat de sa vie contre la peine de mort, à sa curiosité et à sa passion citoyennes pour tous les débats où il était question de l’honneur et de la dignité de l’homme, personnalité qui, quoi qu’on en ait, suscitait une adhésion et une déférence même de ses adversaires les plus résolus, Robert Badinter a, jusqu’à 95 ans, magnifié, sur tous les plans, ce dont la nature et sa formation l’avaient doté.
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Je ne voudrais pas trop focaliser sur l’abolition de la peine de mort en 1981 qui lui a permis, avec le soutien courageux et paradoxal d’un François Mitterrand (qu’on songe au ministre de la 4ème République qui avait fait beaucoup décapiter!), de gagner sa quête éperdue d’une humanité résistant même aux pires des crimes et à la pulsion de l’échafaud. Cette victoire magnifique pour la civilisation, on la lui doit. Ce n’est pas quelque chose de conjoncturel mais l’expression d’une société qui a su enfin « s’empêcher ».
Faut-il oublier ce qu’il a accompli, pour lutter contre toutes les inégalités et les discriminations, en faveur de la dignité homosexuelle ?
Impossible aussi d’occulter sa dénonciation d’une gauche déraisonnable et extrême et son entêtement à ne jamais désespérer de la raison humaine et de la République.
S’il fallait résumer d’un mot ce que l’existence et la carrière d’un Robert Badinter ont eu d’unique, ce serait que partout, à quelque moment que ce soit, dans les temps rudes comme dans les périodes tranquilles, dans les honneurs comme dans la discrétion, dans les consensus comme dans les affrontements, non seulement il n’a jamais démérité mais n’a jamais été pris en défaut d’enseigner aux autres ce que lui-même se serait dispensé de pratiquer.
Une rigueur à son égard, donc un modèle pour beaucoup.
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