Après l’Assemblée nationale le 23 juillet, le Sénat vient de voter la disparition de la redevance audiovisuelle dans le cadre des mesures de soutien au pouvoir d’achat. La suppression de cette redevance, qui rapportait plus de 3 milliards par an, n’est pourtant pas seulement une question financière, mais pose des questions de fond sur le rôle du service public audiovisuel et son fonctionnement actuel.
Alors que nombre de députés et de sénateurs ont souligné le rôle d’un service public audiovisuel garant de la qualité du débat public, la fragilisation de ses ressources et le risque d’une mainmise de l’État ne suscitent aucune réaction dans la population. France Télévisions ou Radio France n’étant plus considérés comme un service public au service du pluralisme de l’information, mais comme les courroies de transmission d’un entre-soi très parisien, leur possible disparition programmée n’entraîne donc aucun sursaut démocratique.
Ni fleurs ni couronnes
La redevance audiovisuelle est donc en train d’être enterrée dans l’indifférence générale. Certes, les employés du secteur audiovisuel public ont protesté contre ce projet du gouvernement, certes des tribunes ont été publiées dans la presse, mais jamais cette question n’a fait réagir le grand public. Pourtant, les raisons invoquées pour défendre le maintien de la redevance n’étaient pas dénuées d’une certaine noblesse. Il s’agirait, derrière la question de son financement d’assurer l’indépendance de l’information, laquelle est une des conditions de la démocratie. Une condition qui ne pourrait être remplie selon Jean-Noël Jeanneney, si les ressources du secteur public dépendent du bon vouloir du gouvernement. Comme ce serait le cas si celles-ci devaient être compensées par un prélèvement sur la TVA. Supprimer la redevance serait ainsi abaisser à terme le niveau culturel de la nation, le pluralisme de l’information et la qualité du débat public selon l’historien qui fut président de Radio France.
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Un argumentaire que l’opposition de gauche a opposé dans l’hémicycle aux raisons invoquées par le gouvernement pour justifier sa mesure, mais qui ne rayonne guère en dehors du microcosme de l’Assemblée nationale, tant la réalité du service public de l’audiovisuel illustre mal les vertus dont on le pare à gauche du parlement…
Des réactions sur les réseaux sociaux révélatrices de la désaffection des citoyens
Les réseaux sociaux sont une source d’information toujours partielle et souvent partiale, mais ils permettent de mieux comprendre ce qui s’est joué et la raison d’une telle indifférence des Français.
Les réactions des internautes face à cette nouvelle ont le mérite de la clarté, elles s’expriment même avec une virulence non dénuée de ressentiment. L’audiovisuel public n’a pas été défendu car il est vu, au mieux, comme semblable, en plus miteux, à l’offre commerciale privée. Au pire, il est ressenti comme porteur d’une orientation idéologique particulière et non comme un garant du pluralisme. Il lui est au contraire reproché de censurer ou d’ignorer certaines familles de pensée ou de pratiquer lui aussi, comme les chaînes d’opinion, une forme de diabolisation envers ceux qui ne partagent pas son idéologie. Accusé d’être au service d’une vision du monde qui s’auto-qualifie de « progressiste », ses pourfendeurs ne lui imputent pas pour autant d’être une courroie de transmission du pouvoir. L’idéologie que diffuserait le service public n’est pas vue comme une propagande au service d’un gouvernement. Le service public audiovisuel est décrit comme le réceptacle d’un ordre moral progressiste et de la culture boboïsante des élites parisiennes.
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Loin d’être perçu comme au service d’une information de qualité, ou d’une mission culturelle, il serait un des révélateurs de la scission entre bloc élitaire et bloc populaire selon l’expression du politologue Jérôme Sainte-Marie. Loin d’être un miroir de la société, il ne reflèterait que les obsessions d’un parisianisme étroit. À écouter ses plus sévères pourfendeurs, l’audiovisuel public se serait même donné la mission de rééduquer le peuple, sans même que cela soit une commande de l’État. Pourquoi ? Simplement parce qu’il est l’émanation d’un entre-soi social et culturel, déconnecté de la réalité de la société française. Le jugement est très dur. Il n’en reste pas moins qu’il est parfois difficile de distinguer l’apport réel du service public comparé à l’offre commerciale privée, tant les deux paraissent obéir aux mêmes logiques.
Une absence de vision du rôle du service public audiovisuel dans le débat démocratique
Derrière la question du financement, c’est dans les faits la question de la mission du service public audiovisuel qui est donc posée. Pour nombre de Français, celui-ci ne la remplissant pas, qu’il soit fragilisé ou puisse disparaître, n’est pas une grosse perte. Cette désaffection du service public provoquée par un fonctionnement devenu illisible et paraissant sans lien avec l’intérêt général est une question qui dépasse largement celle de l’audiovisuel public. Il y a un certain cynisme de nos gouvernements successifs, de droite comme de gauche vis-à-vis de la question du service public en général. La critique récurrente, qui consiste à dire que, sous prétexte d’adaptation à la mondialisation, l’État est un train de casser un modèle solidaire qui traduit dans le réel les liens immatériels qui unissent les membres d’une même nation, parait se transcrire dans les faits. De la SNCF à EDF, en passant par l’hôpital ou l’école, l’État, loin d’être garant d’une promesse républicaine, offrant un patrimoine social à tous ses citoyens grâce à un service de qualité, parait désorganiser son fonctionnement à coups d’injonctions contradictoires, de sous-investissement, d’engagements européens aberrants et, surtout, d’absence de vision stratégique. Quelle doit-être la mission d’un service public de l’audiovisuel ? En quoi celui existant ne la remplit pas ? Que faudrait-il pour garantir le pluralisme de l’information et la transmission de nos valeurs culturelles afin que le service public audiovisuel soit un acteur essentiel du débat démocratique ? Voilà les questions seules à même d’assurer la pérennité d’un service essentiel. L’avenir du service public, qu’il soit audiovisuel ou non, passe par la capacité à retrouver le lien avec l’intérêt général et à le traduire en principes et idéaux à transmettre. Or aujourd’hui la plupart de nos représentants sont des administrateurs de situation, des gestionnaires du moment, ils paraissent bien incapables de redonner un sens à l’action publique, on se demande même s’ils ont ne serait-ce qu’une vague idée de ce qu’est France à défaut d’en avoir une « certaine idée ».
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Ce qui est en train d’achever le service public audiovisuel, au-delà d’une organisation sans doute critiquable, c’est que la société, comme ses représentants, n’a plus une conscience homogène d’elle-même. Celle-ci ne sait plus quel idéal elle porte et à quel pacte social elle adhère. Faute d’avoir conscience de ce qu’elle a à transmettre, elle ne peut avoir de vision culturelle autour de laquelle structurer une politique. Les représentants politiques n’en ont aucune à proposer non plus et nos députés de l’opposition se contentent de sauter comme des cabris en alertant sur le risque démocratique, sans faire de propositions convaincantes pour autant. Ce ne sont pas les questions de financement qui sont en train d’achever ce service public, mais bien le fait que nul ne sache lui redonner un sens et le faire partager à nos concitoyens.
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