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Pour un cinéma décomplexé!

Disparition de Bertrand Blier (1939-2025)


Pour un cinéma décomplexé!
Le cinéaste Bertrand Blier, ici photographié à Nice en 2006, nous laisse une vingtaine de films © BEBERT BRUNO/SIPA

Bertrand Blier, le réalisateur français césarisé et oscarisé, né en 1939 vient de mourir à l’âge de 85 ans. Il laisse derrière lui l’empreinte d’un cinéma de qualité, populiste, éruptif et hautement sensible…


Il était le fils d’un acteur argentin de la rue d’Amsterdam, un danseur de mots, de l’ancienne école, celle de Jouvet et du vélocipédiste du XIVème arrondissement. Celle de la diction parfaite, un crayon dans la bouche, et de l’embrouille populaire, de l’esclandre qu’il soit sur le zinc ou chez Molière, sur des tréteaux, de la casse automobile et des amours impossibles. Bertrand, cet anar qui se marrait, barbu barbouze de la comédie dissonante était trop jeune pour s’arcbouter sur les valeurs rances du théâtre filmé de papa et trop lucide pour se laisser embarquer dans les fumisteries hippies. On se demande dans notre époque javélisée où le moindre téton à l’écran est ostracisé et où l’humour noir n’est compris que par une minorité d’humains, comment il aurait pu continuer à tourner dans cette nasse folle. Le monde actuel de la culture, les doigts sur la couture, pétitionnaire, à vocation rééducative ne comprend rien à ce cinéma des entrailles de notre pays qui fanfaronne, carillonne, régurgite son passé avec le brio des désenchantés. Alors, calmos les cinéphiles à bonnet phrygien ! Car, il y a, derrière cette fange à la Villon, cette hallebarde qui arrache des sourires pour ne pas sombrer, ces coups de reins salvateurs à l’arrière des berlines, tous ces combinards aux abois, une esthétique du déclassement, et encore plus loin, au bout du bout, à force d’assauts répétés pour fissurer le mur des indifférents, un romantisme d’écorché, presque primitif. Son cinéma était aussi choquant que sentimental ; par peur d’être submergé par les grandes émotions, Blier pétaradait, il montrait les biceps, roulait des mécaniques, affichait le visage hermétique du réactionnaire en goguette mais personne n’était dupe. Il était du côté des solitaires, il ne beuglait pas avec les masses autoritaires et satisfaites. Il aimait les sorties de piste, les embardées castagneuses ; il aimait provoquer la ménagère et harponner nos petites misères qu’elles soient sociales ou sexuelles, politiques ou économiques. C’est parce qu’il ne respectait aucun totem, qu’il va nous manquer; avec lui, l’air de la discorde passait mieux. Les mauvais garçons, taulards et queutards l’inspiraient, les friches industrielles aux abords des buildings étaient son terrain vague d’expérimentation, toute cette société de consommation en débandade, la lutte des classes sur le plumard et les fins de mois difficiles, il en faisait son lit.

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Le décor de nos quarante dernières années est là, dans sa pâleur et sa froideur, ses mesquineries et ses boursouflures. Lui, le bien né, à l’abri financièrement, a été celui qui a touché au plus près, avec sa caméra, des virilités absurdes, et de cette mouise généralisée dont nous avons héritée. On est tous en cellule, mon p’tit pote. À un moment, faut casquer ! Il aura fait le pont entre le mot et la gueule d’atmosphère. Entre deux époques, celle de Guitry et de Zidi. Il aura toujours pris, tout au long de sa carrière, le parti d’en rire avec la phrase en arme de self-défense et l’ironie mordante, seule richesse des générations surnuméraires. Il se méfiait de l’esprit de sérieux qui gangrène toute activité artistique. L’art se détourne des diseurs de bonne aventure, à la fin, il ne reste que les oiseaux de mauvais augure. Il aimait les ratés et les funambules. Cette misanthropie rieuse a secoué le cinéma cocardier des années 1970, loin des comédies boulevardières et des auteurs miséricordieux. Il conspuait le victimaire. Blier pratiquait un cinéma d’attaquant goguenard, de démystificateur joyeux sous couvert d’une noirceur atrabilaire. Il donnait rendez-vous à Simenon et au Splendid, réunissait la bande du Conservatoire et le café-théâtre. C’est-à-dire le plaisir de la réplique sèche, mitrailleuse, un peu irascible, vacharde, décomplexée, parce qu’il ne faut jamais garder pour soi les bons mots même lorsqu’ils font mal aux adultes et une ambiance dépouillée, presque ascétique. Dans ce corner où il excellait, il ne prenait aucune pincette avec les bonnes gens, il poussait toujours plus loin le bouchon, l’hallali des professions sentencieuses lui donnait le sourire et de l’énergie. Il se mit à dos les bourgeois, les femmes, les instructeurs de morale et tous les démagos du pays. Et pendant ce temps-là, nous étions à la fête, des loulous piquaient une DS, il ne faisait pas bon se promener sans couteau dans les couloirs du métro, Marielle était Donquichottesque, Jacques François sermonneur en chef et puis Josiane et Carole étaient les deux faces d’une même romance en marche.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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