Emmanuel Macron nous avait habitués à des discours moins creux, et en tout cas formellement mieux élaborés que celui prononcé devant ses soutiens au soir du premier tour. Analyse.
On pourrait concevoir une séance de cours qui s’intitulerait : « révisons nos figures de style avec Emmanuel Macron ».
C’est si vrai qu’elle est prête : je me suis amusée à décortiquer la déclaration du président candidat au soir du premier tour de l’élection présidentielle. En ce dimanche 10 avril, ce qui m’a frappée, c’est la très grossière élaboration stylistique de son propos, cousu de répétitions. Or, c’est bien connu, les figures de répétition ont un effet fortement émotionnel.
Répétition de mots : le cerveau n’a que faire de recevoir deux fois de suite la même information ; ce n’est donc pas à la logique de l’auditeur que l’on fait appel mais à une forme de satisfaction sensible (la même qui fait aimer les refrains). Répétition de structures : là encore, il y a un agrément à se laisser porter, anticipant la suite de la phrase et recevant la satisfaction de cette anticipation.
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En travaillant sur ce texte, je me suis aperçue que ma première intuition était en dessous de la réalité : il m’avait semblé que le discours était très pauvre et misait tout sur les effets ménagés par sa formulation ; mais Emmanuel Macron réalise une prouesse bien plus admirable. Son discours est une forme pure, totalement vide. Qu’on le compare aux prises de parole de Mélenchon ou de Zemmour, le même soir, qui mettent la forme au service d’une densité de contenu et d’une vision personnelle portée par une conviction expressive : Macron s’adresse à nous avec ce ton abominablement doucereux auquel il nous a habitués (et qui, apparemment, convient aux gens…) et ces mots positifs enfilés tels des perles en de longues phrases sans fond, et agissant comme autant de smileys sur un auditoire abruti par le besoin infantile d’être rassuré. Son discours fait penser aux sermons des curés paresseux qui se contentent de jeter en l’air quelques mots (amour, paix, joie, espérance, charité…) et de regarder comment ils retombent : « c’est dans l’espérance de cette paix, soutenue par la joie de l’amour, que se construit la charité ». Mais oui, mais oui…
Voyons plutôt :
Le début du discours opère un mouvement d’ouverture (« mes amis, mes chers compatriotes ») que, par un effet de bouclage, la fin du propos referme dans une cohérence cajôlante (« mes chers compatriotes, mes chers amis »). L’argumentaire minimaliste s’en tient à une logique de réciprocité : « vous pouvez toutes et tous compter sur moi », au début, et « je compte sur vous » en conclusion.
Les énallages de personnes permettent de jeter le flou sur la limite entre les « amis » et les « compatriotes », les « ils » devenant immédiatement des « vous » : « leur confiance, votre confiance m’honore », « toutes celles et ceux qui ont tant donné […] vous avez donné votre énergie ».
Surjouant la posture paternaliste du président heureux du bon fonctionnement des institutions, il fait applaudir ses adversaires. En outre, il débute sa prise de parole avec un gros chiffre (« vous avez été plus de 36 millions ») qui soulève l’enthousiasme de la foule avant de révéler que c’est celui de la participation ; ce n’est qu’en un second temps, dans la même phrase, qu’il remercie ceux qui ont voté pour lui. Ce délayage jubilatoire de mots inutiles est à l’image du reste de son discours : « plus de 36 millions à faire valoir ce droit, ce droit conquis par les générations précédentes, qui est le droit de vote ».
On peut repérer, convoquées jusqu’à la nausée dans une prise de parole assez brève, les figures de style les plus faciles et les plus efficaces :
L’anaphore (lourde car longue) : « Voulons-nous d’une France qui… ? » x 5 ; « Le 24 avril prochain, nous pouvons faire le choix » x 3.
L’épiphore : « ….Merci ! » x 3.
La symploque (qui combine une anaphore et une épiphore) : « Je veux une France qui… . Ce n’est pas nous ! » x 4 ; « que le seul projet… c’est le nôtre ! » x 4 ; « quels que soient… nous tous ! » x 3. C’est lourd, c’est gros, mais ça marche: les gens sont contents…
L’accumulation (de préférence avec les groupes de mots les plus longs à la fin pour un effet de cadence) : « projet de progrès, d’ouverture et d’indépendance française et européenne », « votre énergie, votre travail, vos jours et vos nuits », « le nucléaire, les énergies renouvelables, la sobriété énergétique et la planification écologique », « à la science, à la raison, à la compétence », etc.
Le futur prophétique (qui endort l’esprit critique en jouant sur le besoin de certitudes qu’éprouve tout homme pour étouffer sa peur de l’avenir) : « par l’écologie, les factures de chauffage se réduiront et la voiture électrique pour tous viendra remplacer les coûteux pleins d’essence ».
L’antithèse en hypozeuxe (balancement facile et répétitif qui hypnotise l’auditoire et dispense de toute subtilité) : « une France qui…et pas une France qui… » x 4
A la question « voulons-nous ? », Macron répond « je veux », choisissant de centrer son intervention sur sa personne, avant de se réinscrire dans un « nous » qui efface son ambition personnelle dans un projet collectif : « je mettrai toutes mes forces pour convaincre chacun » devient, deux paragraphes plus loin, « ne ménageons aucun effort […] allons convaincre chacune et chacun » ; mais c’est bien la même idée qui est à nouveau assénée.
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Forme vide, disais-je: ce discours construit l’une des antithèses sus-citées sur une antonymie caricaturale, « progrès » vs « régression » ; au mot « progrès », il associe toutes les catégories imaginables : « une France qui porte des progrès pour chacun, pour nos aînés, pour nos enfants, pour les travailleurs, pour les familles, pour les femmes et notamment les mères seules, pour les précaires », à quoi il oppose un synthétique « une France de la régression pour tous ». On ne sait pas ce que cela signifie, mais il faut seulement en retenir que voter Macron est bien, tandis que voter Le Pen n’est pas bien.
La fin est un grand n’importe quoi :
« Que le seul projet des travailleurs, de tous ceux qui sont au bord du chemin, c’est le nôtre ! Que le seul projet de la France et de l’Europe, c’est le nôtre ! » : le projet des travailleurs ? le projet de la France et de l’Europe ? La préposition « de » est pratique, puisqu’elle permet de relier les mots. Apparemment, elle dispense de le faire d’une manière sensée. Seul compte l’effet.
« Je crois en nous, en nous tous, quels que soient nos parcours, nos milieux, nous tous ! Quels que soient nos origines, nos territoires, nous tous ! Quelles que soient nos opinions et nos croyances, nous tous ! C’est cela la France ! » : pareil, je ne comprends pas. C’est quoi, la France ? A quel élément précis le démonstratif « cela » renvoie-t-il ? Au fait de « croire en nous » ? Ou bien renvoie-t-il à « nous tous » ? Mais dans ce cas, il fallait dire : « c’est nous, la France » ou bien « nous sommes la France ». Bref, c’est bancal.
« Le 24 avril prochain, nous pouvons faire le choix d’une nouvelle époque française et européenne » : une nouvelle époque française et européenne ? Quelle expression bizarre… « Le 24 avril, nous pouvons faire le choix de la France et de l’Europe ensemble » : là, je veux qu’on me dise à quoi se rapporte « ensemble ». Faire le choix « ensemble » : vous et moi ? Faire le choix « de la France et de l’Europe ensemble » ? Ne pouvait-on mieux le dire ? Le choix de la France avec l’Europe, en somme, dans l’idée qu’il incarne les deux à la fois? Il assume si peu cette phrase débile qu’il fait une pause après « choix de la France », de sorte que « et de l’Europe ensemble » arrive comme un cheveu sur la soupe.
Ce « ensemble » est l’équivalent d’une tête jaune avec un sourire. C’est un émoticône adverbial, pour ainsi dire. Et tout est là.
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