Le discours un peu catastrophiste d’Emmanuel Macron sur l’Europe à la Sorbonne n’a pas convaincu grand monde, et il n’a pas réveillé les dernières consciences susceptibles de voter pour Valérie Hayer en juin. Et si loin de faire un plaidoyer pour l’Europe, le président Macron en avait fait l’oraison funèbre sans le savoir ? Depuis, le chef de l’État propose de mutualiser la dissuasion nucléaire… Analyse.
Le jeudi 25 avril dernier, dans un amphithéâtre sorbonnard aux béances plus visibles que les sièges occupés par un public servile, le chef de l’État a fusionné sa salive avec l’argent des Français pour faire campagne en vue des élections européennes.
Si au mieux cette intervention jupitérienne est de nature à faire sourire, au pire elle nous rappelle tristement que la seule maladie que Pandore a laissée dans sa boîte de malheurs est l’espérance. Ici, c’est l’espérance de réveiller le cadavre fédéraliste qui a rempli l’air d’une salle éminente, qui mérite davantage n’importe laquelle des sonates pour piano que le pathétique concerto pour violons donné par un président de la République au discours aussi agonisant que le projet qu’il défend.
Qui joue avec les peurs ?
Dans le cadre de ces laudes inaperçues à la gloire du Léviathan bruxellois, qui ont fait moins de bruit que les virées antiquaires de Kendji Girac, le futur président de l’Europe a joué sur les éparses cordes chancelantes de sa harpe pour rappeler que la guerre est à nos portes, et que l’ambiguïté stratégique maintenue contre l’ours russe est autant nécessaire que le développement d’une défense européenne. Ce jour-là, c’est encore l’extrême-centre qui a mobilisé l’armée des ombres pour agiter les oriflammes de la peur, le tout dans la phraséologie irénique et vomitive d’un projet européen décivilisateur et dénationalisant.
Pêle-mêle, le chef de l’État nous a fait un remix de la « double-ration de frites » qui caractériserait la République, en tonnant avec un lyrisme digne d’un Bossuet que le « pass culture » communautaire, c’est « ça l’Europe ». Avec Nicolas Sarkozy, le mirage républicain s’est vautré dans une assiette cantinière de pommes de terre enrobées de friture, avec Emmanuel Macron, la chimère européenne se niche dans l’aide à l’achat de mangas qui n’ont jamais poussé un lecteur vers une mention au baccalauréat.
Dans ces verbeuses fluctuations, qui faisaient valser l’auditoire entre l’idéal moisi des Lumières et les frissons causés par l’approche des chars post-soviétiques et la menace d’ogives nucléaires que l’on commencerait à titiller, l’observateur ne peut que plaindre les statues amphithéâtrales qui encerclaient le discoureur présidentiel, forcées d’entendre une autre statue toute ébaubie par sa faculté de parler.
Au-delà des courtoises et féodales marques d’approbation que tel ministre apposait sur ses sourcils ou sur la moue presque convaincue de ses lèvres, c’est bien le président de la République qui semblait jubiler de son propre écho. Enserré dans le cadre désespérant d’une campagne atone et incapable d’éveiller ni les retraités lassés ni la jeunesse moins européenne que française, ce discours était censé réveiller le volcan macroniste qui a fait danser les crédules et les œcuméniques en 2017, mais il n’a ajouté qu’une innocente larmichette dans le magma patriotique qui inonde les intentions de vote.
Europe « puissance »
De ce discours, dont personne n’attendait rien, personne ne retiendra quelque chose. Il est mort dans l’œuf. Et pour cause : aucune ligne ne semblait justifiée, et aucune pensée ne semblait assise dans le fauteuil de la logique. À titre d’exemples, prenons simplement le syntagme brumeux d’une « Europe puissance et prospérité », alors même que la réalité montre que face aux véritables défis (souveraineté industrielle, préservation des nations, vitalité de la civilisation européenne et occidentale, submersion migratoire…), l’Europe n’est qu’impuissance et fébrilité.
Prenons encore la céleste étendue d’une crainte niaise de voir le vieux continent « fragilisé, voire relégué » à cause du conflit russo-ukrainien et de l’étouffement de l’Europe dans le double-étau chinois et états-unien. Cette menace est réelle, mais ce qui fait la mort culturelle de l’Europe, ce n’est pas le conflit entre l’aigle américain et le dragon chinois, c’est le grand-remplacement, le déclin économique, le piétinement constant des souverainetés, le mépris des volontés populaires (cf. le référendum de 2005), la permissive docilité permanente à l’égard de l’islam et l’hébétude de l’usage de droits fondamentaux qui se retournent contre les autochtones.
Le vieux continent ne meurt que parce que son peuple devient vieux aussi, et que sa nouvelle jeunesse n’est pas européenne.
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Face à ces constats qui devraient prendre leur empreinte dans les yeux du chef de l’État comme des lentilles inextricables, il a assuré qu’il fallait aborder la marche du siècle avec « optimisme » et « gravité ». Encore un syncrétisme bancal, qui eût pu sembler attendrissant dans la bouche d’un poète du cercle d’Iéna, mais qui s’avère drolatique dans la bouche du premier magistrat de la République, dont le sacerdoce provient en ligne directe de Louis-Napoléon Bonaparte.
Armé d’un paralogisme déconcertant – qui présente au moins le mérite de faire oublier l’insupportable vocable « en européen » débagoulé ad nauseam – le rhéteur en campagne a fait un numéro de nécromancie en citant Paul Valéry et cette vulgate tellement rouillée que la prononciation de ses premiers mots appelle déjà la fatigue d’avoir à entendre les suivants : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Abracadabra ! Tandis que le poète sétois parlait des vraies civilisations, Emmanuel Macron cercle sa langue d’une rondelle de malhonnêteté et l’aromatise d’un soupçon d’ineptie en déclamant que « Notre Europe est mortelle, elle peut mourir ».
Que de contorsions et de galipettes, ou quelle sottise coupable faut-il démontrer pour établir un parallèle entre l’Europe civilisationnelle, enfantée par la caroline de Charlemagne, la justice et la piété de Saint-Louis, les visions infernales de Dante, l’érudition d’Érasme, le créateur de langue que fut Shakespeare, le génie sociologique de Molière et la royauté littéraire de Goethe, et l’Europe hideusement matérielle tripatouillée par un conciliabule de hauts-fonctionnaires voulant organiser la production du charbon et de l’acier, l’uniformité monétaire, la disparition des frontières, l’hégémonie des accords de libre-échange ou encore la ferme à la fourchette.
Une certaine idée de l’homme
La vraie Europe, qui est en train de mourir, c’est l’Europe chrétienne, tirée du fond des manuscrits du Moyen-Âge et nichée autant dans les crevasses de la pierre de nos églises mourantes que dans l’usure des clochers, du génie des arts et des lettres et du prodige de l’histoire de la pensée. Ce n’est pas pour cette Europe que le Grand amphithéâtre de la Sorbonne a accueilli ce discours. Ce n’était pas pour rendre hommage aux six statues, de Robert de Sorbon, de Descartes, de Lavoisier, de Rollin, Pascal et Richelieu que ce discours a été tenu. C’était pour tirer de son sommeil Valérie Hayer, et pour louer Ursula Von der Leyen !
Autant de siècles passés, autant de décadence, qui nous font passer de la majesté du cardinal de Richelieu à un Emmanuel Macron qui vante des colifichets aussi élevés dans les strates du ciel que « l’endettement commun pendant la crise sanitaire », le « Pacte asile et migration », une « Europe de la majorité numérique à 15 ans », et un « humanisme » dont il n’a manifestement toujours pas saisi le sens.
Le visage béat, il a énonce qu’« être européen, ce n’est pas seulement habiter une terre, (…) c’est défendre une certaine idée de l’Homme ». Le problème, c’est qu’il oublie que les Européens habitent de moins en moins leur terre, et qu’il n’y a pas dans la jungle mondialisée de certaine idée de l’Homme qui tienne sans une certaine idée de la France, que manifestement il n’est pas inspiré d’avoir – sans doute à cause de l’épuisement cérébral induit par la machination d’une Europe fédérale jamais nommée et toujours fantasmée.
Dans un modèle du genre en matière de discours lénifiant et désincarné, qui crée les conditions de germination de ses propres émotions pour avoir peur et faire arborer un visage grave au tribunicien, et une mine inquiète au public-pantin, le chef de l’État-fédéré français n’a fait vibrer que ses poils, et la Sorbonne n’aura ressenti qu’un léger courant d’air. L’espace d’un instant, le Grand amphithéâtre sorbonnard est devenu le petit cercueil de l’Europe. Croyant peut-être fermement à ses élucubrations courageuses sur la nécessité de redonner un nouveau souffle à l’Europe sur laquelle il a vainement tenté un massage cardiaque, Emmanuel Macron a voulu insuffler le vent de la résurrection dans le corps en putréfaction de l’Union européenne. Au final, loin de faire un plaidoyer pour l’Europe, il en a fait l’oraison funèbre sans le savoir.
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